Entre le bassin de Cavaillon et celui d’Apt et faisant partie du parc naturel régional du Luberon, Oppède-le-Vieux , souvent dénommé simplement Oppède, commune située dans le département de Vaucluse, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et les Oppédois sont fiers de beau patrimoine historique.
De leur église Notre-Dame-Dalidon, au des ruines (tour et murs) d’un château médiéval, en passant par la maison Gabrielli, mais aussi la chapelle des Pénitents blancs dans le vieux village, mais surtout de leur célèbre carré magique SATOR dans une des petites ruelles…
SATOR, carré magique, quésaco ?
Le carré Sator est un carré magique contenant le palindrome latin SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Ce carré figure dans plusieurs inscriptions latines, la plus ancienne connue qui a été trouvée à Pompéi ne pouvant être postérieure à l’an 791.
L’énigme formée par le sens de cette inscription a intrigué de nombreux savants et suscité diverses hypothèses, utilisant des interprétations exégétiques juive ou chrétienne et provoquant le scepticisme sur une signification de l’inscription de la part d’historiens de la Rome antique.
Sa disposition
Les 25 lettres de cette phrase de cinq mots, ici inscrites dans un quadrillage, lues de n’importe quel coin à son opposé, forment un palindrome. Chacun des cinq mots est répété quatre fois dans ce carré, de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas et de bas en haut.
S A T O R
A R E P O
T E N E T
O P E R A
R O T A S
ou, présenté en sens inverse, en gardant les mêmes caractéristiques :
R O T A S
O P E R A
T E N E T
A R E P O
S A T O R
La lecture est rendue possible horizontalement et verticalement parce que chacun des termes de la phrase est un acrostiche, un mésostiche ou un téléstiche de l’ensemble des cinq mots.
Il faut noter que le changement de l’ordre de lecture n’altère en aucun cas le sens de la phrase du point de vue grammatical latin. En d’autres termes, si la place des mots n’est pas la même, la signification est identique. Le carré peut également être lu en boustrophédon, à nouveau sans altérer la signification du carré.
Sa traduction
Le carré est composé des cinq mots suivants :
Sator : laboureur, planteur, semeur ; ou métaphoriquement créateur, père, auteur (au nominatif : c’est donc le sujet) ;
Arepo : signification inconnue en latin, toutefois ce mot en langue gauloise signifie « charrue »2 (cas inconnu, peut-être ablatif singulier : complément circonstanciel de moyen) ;
Tenet : [il/elle] tient (du verbe tenere) ; ou il tient en son pouvoir, voire maintient (3e personne du présent) ;
Opera : œuvre, travail, soin (ablatif singulier : complément circonstanciel de manière) ;
Rotas : roues ou rotation, orbite, révolution, cycle (accusatif pluriel : c’est le COD) .
Le mot Arepo est un hapax : il n’apparaît nulle part ailleurs dans la littérature latine. Il est probable qu’il s’agisse d’un nom propre, éventuellement inventé pour faire fonctionner le palindrome. Sa similitude avec arrepo, venant de ad repo, « je rampe vers », est probablement une coïncidence.
Il n’est pas certain que la phrase ait réellement un sens en latin. La traduction la plus probable serait : « Le laboureur Arepo dirige les roues (c’est-à-dire une charrue) avec adresse. » Est également possible : « Le semeur tient avec soin les roues (de sa charrue). » Une autre cependant, plus proche de la mystique du carré magique, surtout si on la rapproche des premiers chrétiens, pourrait être, si l’on tient compte de la similitude entre arepo et arrepo — qui signifie également et entre autres « être terre à terre » (selon dictionnaire Gaffiot) — : « le créateur, par son caractère terre à terre, maintient l’œuvre de rotation ». Diverses interprétations sont possibles si l’on sort du strict contexte « laboureur » et « roue ». Comme c’est un carré magique, il y a autant d’interprétations que de sens de lecture, ce que la langue latine favorise naturellement.
Quelques interprétations juives…
Nicolas Vinel pour sa part estime en 2006 que l’hypothèse d’un cryptogramme juif utilisant l’arithmétique pythagoricienne est légitime.
… et chrétiennes
Felix Grosser, en 1926, interpréta le carré comme un signe de reconnaissance utilisé par les premiers chrétiens afin de se reconnaître entre eux sans pour autant se montrer à la vue de tous par crainte de la répression. Grosser faisait la lecture suivante : les lettres de ce carré constituent une anagramme, qui, disposée en croix, donne deux fois : Pater noster, auquel on ajoute deux fois les lettres « A » et « O ». Ces dernières pouvant représenter « l’Alpha et l’Oméga » cité dans l’apocalypse de saint Jean : « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin ». Par ailleurs, TENET forme une image de croix, ce que suggère en plus la forme du T.
L’archéologue Amedeo Maiuri en déduisit la présence d’une communauté chrétienne à Pompéi. Cette théorie reposerait sur des anachronismes : les chrétiens du Ier siècle prieraient en grec et les symboles du Tau, de l’alpha et de l’oméga seraient postérieurs à la destruction de Pompéi en 79. Jérôme Carcopino publie en 1948 un article intitulé Le christianisme secret du carré magique, qui constitue une étude critique du carré et des interprétations connues jusque-là.
L’épigraphiste italienne Margherita Guarducci a indiqué dans ses travaux l’importance en épigraphie paléochrétienne de la lettre T (ou tau) d’une part, et d’autre part des lettres A O et O A (alpha oméga/ oméga alpha). Selon elle, la lettre T, en plus de sa valeur littérale, est souvent utilisée en symbole graphique représentant la croix. En plus, dans le cas du carré Sator, cette lettre T représentant la croix est utilisée quatre fois, aux quatre extrémités d’une croix formée par les mots TENET se croisant. Les 4 croix forment ainsi une grande croix. D’autre part, Marguerite Guarducci a montré qu’à cette époque de coexistence des alphabets latin et grec, les lettres A et O sont souvent utilisées juxtaposées, pour signifier Alpha et Omega, le commencement et la fin, suggérant le seigneur, partageant l’avis de plusieurs de ses confrères. Dans le carré Sator, de part et d’autre de chaque T de la croix, se trouvent tantôt A et O, tantôt O et A ; Marguerite Guarducci formule l’hypothèse que si A O signifie commencement / fin, alors les occurrences O A pourraient signifier fin/commencement, ce qui selon elle symboliserait la résurrection.
Contempler le carré SATOR, c’est possible aussi, en France et de par le monde. En Auvergne-Rhône-Alpes, en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais aussi en Angleterre, en Syrie, au Portugal, en Italie, en Hongrie, en Suède, au Brésil, etc.
Le carré magique et ses utilisations connues : Aurillac – aide aux accouchements/Allemagne – guérir la rage et fait danser (Albert le Grand)/Brésil – guérir les morsures de serpent (tatouages)/Hongrie – talisman de protection/Égypte – talisman de protection/Italie – enfants abandonnés/France – utilisations initiatiques/Islande – sert à guérir
Sources : Office du tourisme, Wikipédia, Wikimedia Commons, Alain Le Ninèze* SATOR: L’énigme du carré magique (Acte Sud, 2008)
*Agrégé de lettres classiques, Alain Le Ninèze enseigne le français et les langues anciennes à Paris. Il a publié plusieurs essais et romans. Il est aussi l’auteur de L’Amour, fou (Autrement, 2004), La Petite Maîtresse d’école (Le Seuil, 2006).