ven 22 novembre 2024 - 17:11

Des mots, toujours des mots…

Ne pas prendre les mots pour des idées… cette phrase presque devenue une marque de fabrique maçonnique – nous positionne, comme toute l’articulation de notre langage, dans l’un des impératifs de la condition humaine : le questionnement !

Quels sont les signifiants et les signifiés “possibles” de ce donné à dire, à lire, à entendre, à comprendre ?… Les mots sont des idées et les idées sont des mots : nous tournons donc en rond, comme emportés par un vertige lexical ! Les mots nous mènent en bateau, comme celui de l’enfant qui, sous son regard, fait des cercles, indéfiniment, dans le bassin du jardin public !

Il faut donc sortir de notre « cadre de référence », sortir du merveilleux qui nous berce, de la musique des mots même qui nous leurre l’oreille, pour… remettre pied à terre et tenter d’en savoir un peu plus.

Qu’est-ce que le mot, puisqu’il n’est pas la chose, ni à plus forte raison, l’être et l’âme de la chose ? Le mot est un symbole, un symptôme de l’ordre nommé du monde, un scotome, c’est à dire en quelque sorte l’ombre de la chose, car dès qu’il la nomme, il s’en éloigne ! La psychanalyse sait çà.

Constat : nous disposons en nous d’un catalogue, d’un stock de mots limités par notre culture spécifique, donc notre connaissance des choses, pour désigner le monde. Nous l’avons même disposé et aligné dans un dictionnaire. Ce n’est pas pour autant que nous possédons le monde, sous le bras ! En associant ces mots, nous avons créé la chaîne du langage, mais c’est aussi une chaîne à nos pieds, car lesdits mots nous empêchent d’atteindre le cœur des choses. Le mot « chien » désigne le chien mais il n’est pas le chien. Le mot « chien », effectivement, ne mord pas ! Il n’est donc pas le corps du chien. Le mot « table » sur le coin de laquelle je me cogne, n’est pas la table. Le mot est un reflet trompeur, fabriqué par notre regard sur la matière.

Dans le problème à nous posé, il faut bien prendre en compte avant tout que notre pensée est composée de mots, de ces mots de notre catalogue, prothèses dont nous sommes dépendants et partant, prisonniers. Non, le mot n’est pas l’idée, il en est seulement le transporteur, l’idée étant une collection de mots, pour désigner d’autres choses, “ramassées” en concepts, donc en approximations, donc en non-vérités.

Au vrai, nous ne sortons pas du langage, même quand nous disons que « les mots ont dépassé notre pensée » ! C’est simplement elle qui s’est dilatée pour accueillir davantage de mots ! Plus nous parlons d’ailleurs, plus nous élevons un mur entre nous et le monde, un mur composé de « briques de mots »… qui finalement, nous sépare du monde ! Et de l’Autre, cet autre Moi ! Le mot, l’idée que je me fais des choses, m’éloignent même de moi, puisque je ne me connais qu’à travers les mots. Ma chair est mot, avant tout !

Lorsque nous nommons une chose, le mot étant un symbole, nous évacuons par le langage une production de notre imaginaire, donc en soi, un mensonge, une imposture, dira le linguiste en désespoir de cause ! Et méfions-nous : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde ! » relève avec justesse Albert Camus dans un roman de son ami philosophe Bruce Parrain.

Si nous suivons par ailleurs le psychiatre Jacques Lacan, qui propose le symbole, l’imaginaire et le réel, pour désigner l’ordre du monde, nous nous apercevons que cette trilogie est faite d’abord de notre collection de mots. Le symbole c’est effectivement « du mot », l’imaginaire, c’est un ensemble de mots associés et le réel, c’est notre description, notre écriture de ce que nous croyons voir du monde, notre « mondographie » et que nous appelons « réalité ».

Par conséquent, nous ne sommes évidemment pas dans la vérité, tout juste dans la véracité. Et encore : nos attitudes, nos émotions, nos souvenirs, notre mémoire, ne sont que des impressions, des mots, toujours des mots.

Nous sommes condamnés à penser le monde à travers le langage, qui en est la limite. Reste la métaphysique, qu’on l’appelle Dieu ou Grand Architecte… pour dépasser les bornes !

Bref, le monde est un rêve, un mirage. D’où l’intérêt de ce que la nature nous a donné comme « garde-fou » cartésien : le doute. Le doute devant le mot, devant les idées, devant le symbole, devant le mythe, devant la légende. Le doute est la certitude du maçon !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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