Arbres, tomates, amandes n’échappent pas à l’émondage, quand il s’agit de leur ôter une peau ou les surgeons dans une écorce jugée épaisse, de tailler les branches annexes ou la cime pour favoriser l’inflorescence. L’amande émondée en sort toute blanche et lisse.
L’adjectif latin *mundus désigne ce qui est propre, soigné.
Le mondain tient à passer pour un élégant, soucieux de son apparence, vestimentaire, verbale et gestuelle, sans éviter l’ostentation et l’afféterie d’une excessive mondanité. On témoigne peut-être d’une certaine indulgence amusée envers le masculin, alors que la demi-mondaine ne jouit guère d’une réputation de bon aloi, non parce qu’elle aurait échoué dans sa tentative d’honorabilité, mais parce qu’à en faire trop, faute de maîtriser les codes de décence, l’usurpation ne passe justement pas inaperçue…
Le péjoratif *immonde, en revanche, est stigmatisé sans pitié. Il marque la saleté comme l’immondice dont on se détourne avec dégoût.
Le latin, pour signifier lexicalement émonder, a aussi recours au verbe *tondere, tailler, dépouiller. On coupe ce qui dépasse, on tond un arbre, au moine sa tonsure…
Il s’agit de trancher ce qui dérange, et la racine indo-européenne *kastr- évoque précisément cette idée d’émondage. D’où la castration imposée à celui qui garde la couche royale sans faire concurrence au pouvoir de son détenteur… Ou bien le castrat, qui évitera la présence fort dérangeante de l’élément féminin dans les choeurs de la cour pontificale. Péché, immondice…
La même idée quasi végétale se retrouve dans le verbe *putare, très rural à l’origine, par lequel le latin exprime le processus de tri entre ce qui reste et ce qui tombe, ce qu’on nettoie pour revivifier la croissance. Amputation d’un tronc qu’on “taille autour”, dispute et disputation contradictoire au coeur des querelles théologiques.
Pour en revenir au sémantisme qui a amorcé cette réflexion, émonder, on n’y verrait peut-être pas immédiatement le lien, pourtant étymologique, avec le monde ! Et pourtant. Ainsi le latin *mundus, ce qui est taillé, émondé, désignera par extension l’ensemble des corps célestes, l’univers lumineux. On peut voir la même translation dans le grec *kosmos, d’abord la parure, puis l’univers tout entier dans ce qu’il a d’organisé.
De quoi s’interroger sur le spectacle qu’offrent notre monde actuel, l’espace mondial et les effets de la mondialisation. Un monde propre et soigné ? Voire…
Annick DROGOU
Moins pour plus. Les corps sont penchés vers les ceps de vigne. Les mains font pression sur les sécateurs, les gestes sont rapides et précis. Rien de mutilant dans cet émondage, au contraire, dans la confiance du geste expert, il y a l’espérance de la récolte que produira la vigne dans quelques mois. Derrière l’effort, les sourires disent l’amour du métier. On élève la vigne comme on élèvera le vin à venir. Comme un travail d’éducateur, qui patiemment sait tout à la fois contenir et encourager la plante. Prendre soin et révéler.
Tout le paradoxe de l’émondage est là. Dans la main de l’homme qui taille et limite pour mieux développer. Le travail d’émondage exige d’être répété dans le cycle des saisons, compliance de l’homme et de la nature acquise dans la transmission de génération en génération d’hommes et d’arbres. Débarrassé, soulagé de ses sauvageons, cet arbre portera de meilleurs fruits. Il trouvera sa force et sa vigueur en lui-même.
Émonder, comme une philosophie de vie. Vaincre ses passions, disent les uns ; ascèse, répondent les autres. Retour à l’essentiel, simplicité de nos vies à émonder de tous les encombrements de nos environnements quotidiens. Émonder sans mutiler pour mieux grandir. Émonder aussi, comme on débarrasse l’amande de sa gangue pour mieux la révéler.
Mais j’arrête là pour émonder ce texte avant qu’il devienne trop bavard. Émonder aussi nos paroles, dans l’espérance de meilleurs fruits.
Jean DUMONTEIL