L’étymologie, exclusivement latine, ne pose aucune ambiguïté. L’adverbe *prope désigne ce qui relève de l’à-peu-près, du “pas tout à fait”. Ce qu’exprime le vocabulaire de l’approximation. Tout est dans ce “presque”, dans l’inachèvement du mouvement que cela suppose.
Ainsi se fomente une éventuelle frustration. D’où le désir d’aller plus loin encore dans la proximité. C’est la cas de la science, qui doit être regardée comme plausible, objet d’applaudissement, mais ne saurait être prise pour une vérité incontestable, vérité approximative jusqu’à son inévitable et prochaine remise en questions multiples.
On est dans le domaine du presque, *skhedon en grec, du pas-prévu, de l’improvisé, *skhedios, latin *schidium poème improvisé, dont sont tirés l’esquisse et le sketch anglais.
La proximité peut être géographique, telle la paroisse, *paroikia en grec, où les maisons accotées l’une à l’autre délimitent une circonscription ecclésiastique où s’exerce le ministère d’un curé.
Ou encore astronomique, avec des distances très relatives entre les constellations. Proxima du Centaure, dans la Voie Lactée, est la plus proche du système solaire, elle n’est qu’à – notons la restriction ! – 4,23 années-lumière de la Terre, alors que la Lune n’en est qu’à une seconde !
La proximité est juridique, quand on sait que “jurer” chez les Latins induisait de s’approcher jusqu’à le toucher de l’objet sacré, une menace à prendre au sérieux parce que le parjure apporterait la malédiction céleste sur l’objet ou la personne.
La proximité linguistique et phonétique offre une source précieuse d’analyse du rapprochement historique des langues. Ainsi, l’un des dialectes encore parlés en Sardaigne, le logoudorien, est resté la langue la plus proche du latin antique communément parlé, à l’origine des langues romanes. D’autant plus authentiquement préservé que l’isolement insulaire a évité les interférences avec les langues des envahisseurs.
La notion du “proche” a suscité, de tout temps, une intense réflexion.
Proche comme la fin des temps qu’annoncent les calamités liées au déséquilibre des saisons ou au délire des hommes.
Proche de la terre comme ce qui constitue la nature même de l’homme, humble voire humilié.
Proche comme ce dont on ne peut pas s’éloigner, ce à quoi on ne peut pas se soustraire. Telle est la nécessité, du latin *ne-cedere, ne pas reculer.
Proche du corps, tel le savon qui sanctionne une relation à la propreté, donc à la pureté, qui fait reculer la saleté du péché. Ce qui faisait dire aux puritains pointilleux : “La propreté est proche du divin”, tout en se méfiant d’une proximité trop intime entre la main et le corps même… Et ils ne se faisaient pas faute d’en formuler le reproche, c’est-à-dire de ramener sans cesse ce trouble de chair à la conscience des pécheurs.
Irréprochables, ces puritains ? On pourrait s’interroger sur la bienveillance du regard qu’ils portent sur leur prochain. Une bénévolence d’autant plus approximative qu’on ne saurait nier la difficulté qu’il y a à fréquenter de près les autres humains. Le vocabulaire religieux a sacralisé le terme de prochain, en en faisant l’objet d’une injonction. Aimer son prochain comme soi-même. Un voeu pieux, bien souvent. D’ailleurs, à bien y réfléchir, le véritable amour ne serait-il pas d’aimer son prochain “comme il est lui-même”, c’est-à-dire sans lui marchander ses vertus ou ses vices ?
Comment résister à l’évocation de la “cravate à Capet” en usage dans “l’abbaye de monte-à-regret”, qu’institua Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), ce brave médecin soucieux d’épargner les lenteurs et les maladresses du bourreau aux condamnés en passe de décapitation ? Ce qui faisait dire de lui : ” Monsieur Guillotin, ce grand médecin, que l’amour du prochain occupe sans fin “…