Le terme de « catéchisme maçonnique » est communément employé pour désigner les Instructions par questions-réponses qui concluent la presque totalité des rituels. Elles doivent être apprises par cœur et l’on est dûment « tuilé », c’est-à-dire rigoureusement interrogé lors des changements de grade. Il faut répondre sans hésitations et, même s’il ne s’agit pas d’un grand oral car la fraternité demeure, beaucoup sont décontenancés. Les termes du questionnement varient assez peu d’un rite à un autre, l’essentiel des références demeure. Voici quelques exemples de ces catéchismes :
- « Qu’est-ce qu’un Maçon ?
- C’est un homme libre, également ami du pauvre et du riche, s’ils sont vertueux. » (Rite Français moderne) ;
- « Comment faut-il être pour se rendre digne d’être Maçon ?
- Juste, droit, né libre, être majeur, d’un jugement sain et de bonnes mœurs. »
(Rite Émulation) ;
- « Que venez-vous faire en Loge ?
- Vaincre mes passions, soumettre ma volonté (à mes devoirs) et faire de nouveaux progrès en maçonnerie. »
(Rite Écossais Ancien et Accepté).
En fait la méthode du catéchisme, en tant que procédé d’enseignement par échange de brèves questions-réponses qui font appel à la mémoire, avait été imaginée par Luther en 1529 avec son Petit et grand catéchisme et repris par Calvin qui publie, en 1541, son fameux Formulaire (Formulaire d’instruire les enfants en la Chrétienté). Les catholiques reprennent à leur tour l’idée en 1555 avec le Catechismus minor de Pierre Canisius, et en 1566 le Pape Pie V donne un statut au genre en accompagnant d’un motu proprio la parution du Catéchisme romain.
Lucas Cranach (1527-1529) : illustration du troisième commandement dans le Catéchisme de Martin Luther.
C’est néanmoins la fameuse Bibliothèque Bleue de Troyes qui donnera sa popularité à cette forme dialoguée.
Robert Mandrou nous en explique la création dans son ouvrage De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles, (Paris, 1975) : « C’est dans les premières années du XVIIe siècle qu’un certain Nicolas Oudot a l’idée d’utiliser des caractères fatigués et des bois défraîchis pour éditer aux moindres frais des contes, quelques romans médiévaux déjà récrits au cours du XVIe siècle et un certain nombre de vies de saints ; les textes sont repris, simplifiés pour ainsi dire, par des ouvriers typographes, et publiés sans nom d’auteur ni d’autre indication que le titre et le nom de l’éditeur. La formule ainsi définie réussit assez bien pour qu’à sa mort, en 1636, l’opération se soit déjà étendue à une centaine de titres. » Le nom de Bibliothèque Bleue lui viendra de la couverture bon marché des livres, un carton souple de couleur bleu foncé. L’idée sera, bien entendu, copiée par d’autres éditeurs du XVIIIe siècle, dont Garnier, et on la retrouve aujourd’hui actualisée dans Le livre de poche et autres collections de même type…
Or, parmi les ouvrages de la Bibliothèque bleue, il en est un dont le succès ne s’est pas démenti durant plus d’un siècle, c’est L’enfant sage à trois ans, contenant les demandes que lui fit l’empereur Adrien et les réponses de l’enfant. Il s’agit d’un texte du début du XVIe siècle qui empruntait au catéchisme de Calvin le mode d’expression par demandes et réponses. Il est clair qu’autant l’empereur que l’enfant sont des personnages fictifs, le prestige du premier servant de faire-valoir au second, un enfant qui n’avait pas « l’âge de raison » et dont les réponses, très doctes, ne peuvent qu’émerveiller le lecteur. Voici le début du dialogue ; l’orthographe a été conservée.
- « D. : L’Empereur. Comment est fait le Ciel ?
- R. : L’Enfant. S’il eût été fait par main d’homme, il seroit déjà tombé, et s’il eût été né, il seroit mort depuis long-temps.
- D. : Qu’est-ce que Dieu fit premierement ?
- R. : Lumière et clarté en tous tems.
- D. : Comment peut-on entendre que la Trinité soit en un seul Dieu régnant en trois personnes ?
- R. : Par le soleil auquel tu trouveras touts choses, c’est à savoir substance, splendeur et chaleur, qui sont inséparables ; car l’une ne peut être sans l’autre. » Etc.
Ce même procédé se retrouve dans les Old Charges britanniques des XVIIe et début du XVIIIe. L’intention en est toutefois sensiblement différente : il ne s’agit plus d’un étalage de savoirs et de sagesse visant à susciter l’émerveillement, ni d’un procédé mnémotechnique d’apprentissage, mais s’y ajoute un but de reconnaissance, de « tuilage », qui permet de vérifier si celui qui est questionné est réellement franc-maçon.
Cette modalité avait des antécédents, non seulement dans les cultes à mystères, en particulier chez les pythagoriciens qui masquaient leurs secrets sous des sentences anodines, mais jusque dans le récit biblique où est évoqué le mot de passe des Galaadites, le fameux « Shibboleth », que leurs ennemis, les Ephraïmites, ne savaient pas prononcer, ce qui permettait de les démasquer (Livre des Juges 12, 5-6).
Les catéchismes maçonniques relèvent plutôt de l’ « Art de la Mémoire » préconisé par William Schaw (1550-1602) dans ses Statuts destinés à doter la maçonnerie opérative du royaume d’Écosse de règles communes. Ainsi lit-on, dans ses seconds statuts de 1599 : « XIII. Item, il a été ordonné, par le Surveillant général, que la loge de Kilwinning, étant la seconde loge d’Écosse, fasse l’examen de l’art de la mémoire de chaque compagnon et de chaque apprenti, selon leur état particulier, et, au cas où ils en auraient perdu quelque point, de leur faire payer, pour leur négligence, les pénalités qui suivent : les compagnons 20 sh., les apprentis 10 sh. Cela sera versé à la caisse de la loge pour une durée courante d’un an, selon l’usage habituel des loges ordinaires du royaume. » On ne badinait donc pas avec les secrets du métier. D’ailleurs, aujourd’hui encore, le Rite Émulation que pratiquent les Anglais doit être entièrement mémorisé. Cet art de la mémoire a été développé par de nombreux auteurs de la Renaissance, en particulier par Giordano Bruno qui l’a enseigné à Paris – où il se rend en 1582 – au roi Henri III qui sera assassiné en 1589.
Les premiers catéchismes maçonniques apparaissent à la fin du XVIIe siècle avec la naissance de la Maçonnerie spéculative. L’un des plus anciens se trouve dans le Manuscrit d’Édimbourg daté de 1696. Sa provenance écossaise renforce indéniablement la thèse actuelle qui situe en Écosse la source de la maçonnerie spéculative. On y retrouve le schéma qui est toujours le nôtre, mais avec certaines étrangetés.
Par exemple :
- « Qu’est-ce qui rend la loge juste et parfaite ?
- Sept maîtres, cinq apprentis, à une journée de marche de la ville, pour que l’on ne puisse entendre ni l’aboi d’un chien ni le chant du coq.
- Moins de maçons ne rendent la loge juste et parfaite ?
- Cinq maçons et trois apprentis reçus.
- Rien d’autre ?
- Plus on est et plus il y a de la joie, moins on est meilleure est la chère. […]
- Quelle est la clef de la loge ?
- Une langue bien pendue.
- Où repose cette clef ?
- Dans une boîte d’os. »
Si dans ce manuscrit l’existence du grade de Maître n’est pas certaine, elle l’est en revanche dans le manuscrit « Sloane 3329 » daté de quatre ans plus tard, 1700, qui décrit en outre les mots et les signes des Francs-maçons et éclaire certaines énigmes du manuscrit précédent :
- « Qu’est-ce qu’une loge juste et parfaite, ou juste et légitime ?
- Une loge juste et parfaite, c’est deux apprentis entrés, deux compagnons et deux maîtres, plus ou moins. Plus on est, plus on rit. Moins on est, meilleure est la chère. En cas de nécessité, cinq suffiront : deux apprentis, deux compagnons et un maître. Tous réunis sur la plus haute colline ou la vallée la plus profonde dans le monde, là où l’on n’entend ni le coq chanter ni le chien aboyer. […]
- En quoi est faite la clef de la porte de la loge ?
- Ni de bois, ni de pierre, ni de fer, ni d’acier, ni d’aucun autre métal. C’est la langue de bonne renommée qui peut parler devant un frère aussi bien que dans son dos. […]
- Combien y a-t-il de lumières dans la loge ?
- Trois : le soleil, la lune et l’équerre. »
Dans ce même manuscrit, très riche, on trouve aussi quelques indications précieuses comme « la poignée de main, pour les compagnons [qui] consiste à se saisir mutuellement la main droite en pressant avec le bout du pouce la troisième jointure de l’index. » De même la griffe de maître est révélée et le texte ajoute qu’« il est un mot, qu’ils appellent “ Mot de maître ”, qui est Mahabyn, et qu’ils divisent toujours en deux. Ils sont debout l’un contre l’autre, poitrine contre poitrine, pied droit contre pied droit, faisant de leur main droite la poignée de maître, la main gauche appuyant fortement sur le dos de l’autre. Ils restent ainsi le temps de se murmurer à l’oreille l’un Maha, l’autre Byn. »
Légende de l’estampe : « Assemblée de Francs-Maçons pour la réception des Maîtres. Le Grand Maître relève le Récipiendaire en lui donnant l’attouchement, l’accolade et en lui disant le mot du Maître.
Dédié au très Galant, très sincère et très véridique Frère Profane Leonard Gabaon, Auteur du Catéchisme des Francs-Maçons. »
Car le catéchisme n’est pas isolé ; il vient après des explications dont il est le couronnement. Il remplit, en fait, une triple fonction : d’explication de la doctrine du grade, de « tuilage » qui unit les initiés, et de résumé à retenir, comme dans les manuels scolaires de l’époque. Il révèle aussi le Mot de Maçon, « the Mason word », qui n’est pas qu’un mot, mais la façon de le communiquer, tant il est vrai que « l’art n’est pas dans la lettre, mais dans sa manière », dans la façon de dire bien plus que dans ce qu’on dit, comme le savent bien les maîtres de la magie et les guérisseurs qui savent enlever le feu, le zona ou les verrues, eux qui connaissent les liens tissés entre l’homme, la nature, l’univers et Dieu, eux qui ont perçu le mystère de l’Un.
Ces catéchismes ont été des divulgations, mi documents diffusés entre initiés mi révélations anti-maçonniques. On en trouve jusqu’en 1760, avec Les Trois coups distincts, et ils sont à la source de notre histoire…