sam 23 novembre 2024 - 02:11

Maîtres, qui êtes-vous dans cette Loge?

De l’ancien français maistre, lui-même issu du latin magister : celui qui gouverne, qui dirige, qui commande ; celui qui a des domestiques ; celui qui enseigne ; personne d’une grande science; d’un talent reconnu ; titre d’un artisan admis à la maîtrise ; titre donné aux avocats, aux notaires…

Cependant, si le maitre est à la fois magister et dominus, l’unité des traductions ne donne pas le même sens : le premier tend à la liberté de ses élèves, le second vise plutôt l’asservissement.

Yves-Albert Dauge dans un article intitulé Les Quatre Maîtres, Typologie du Maître spirituel (Cahier n°17 de la Revue Epignosis ) définit successivement le Maître humain extérieur comme , le Médiateur invisible ou supraterrestre, qui nous guide sans avoir à passer par la psyché; le Maître personnel ou intérieur; notre Je éternel dont le rôle est décisif; et le Maître essentiel, Dieu, qui est le fondement et l’aboutissement de toutes les maîtrises.

Quand le mot maître est utilisé comme adjectif, il caractérise celui qui joue un rôle capital, essentiel. Être maître de quelque chose signifie que l’on peut en disposer librement.

Dans les traditions de l’Orient et du Moyen-Orient le maître a reçu son chemin de son maître et le transmet à ses disciples. Le maître ne se désigne pas comme tel, c’est le disciple qui fait le maître.

Indépendamment de la hiérarchie des fonctions, les anciens initiés avaient une hiérarchie de grades. Ainsi, les Isiades passaient par trois degrés d’initiation : les mystères d’Isis, ceux de Sérapis, ceux d’Osiris. Après le temps d’épreuves, les initiés d’Éleusis devenaient mystes, puis époptes. Les Pythagoriens avaient trois grades : auditeur, disciple, physicien ; les premiers chrétiens, trois aussi : auditeur, compétent, fidèle ; les manichéens, trois également : auditeur, élu, maître. Les seuls mithriades en avaient sept : soldat, lion, corbeau, perse, bromius, hélios et père.

Dans les corporations de métiers, le maître, non content de pratiquer l’Art avec une dextérité consommée, et de savoir résoudre toutes les difficultés techniques, doit encore se montrer capable d’en raisonner la théorie. «Le véritable Maître n’est pas l’esclave des règles traditionnelles de l’Art : il les applique parce qu’il en discerne nettement la raison d’être. Il a su remonter jusqu’aux principes fondamentaux de la Beauté, pour concevoir la suprême philosophie du Beau, dont découlent toutes les lois de la construction universelle.» Peu à peu, dans la plupart des pays, la maîtrise tendit à devenir un privilège. Il fallut, pour l’acquérir, fournir des preuves sérieuses d’instruction et d’habileté dans le métier; son obtention fut en outre soumise à des conditions pécuniaires assez onéreuses, le nombre de ses titulaires fut limité; elle devint même héréditaire.

À l’exemple de toutes les initiations, la Franc-maçonnerie bleue d’aujourd’hui a trois grades, ceux d’Apprenti, de Compagnon et de Maître.

Le franc-maçon qui a atteint le 3ème degré de l’initiation maçonnique porte le titre honorifique de maître comme cela est explicite dans le Rite York : «nous allons lui conférer le sublime grade de Maître maçon

Le nom mystique du maître est épopte, ce qui veut dire «parfait voyant». Il porte aussi le nom de Gabaon, emprunté aux Gabaonites qui étaient les gardiens de l’Arche d’Alliance, emblème des traditions et de la science.

Ce ne fut pas toujours le cas.

En 1726, la Loge Dumbarton Kilwining décrit son installation en mentionnant la qualité des Frères présents, à savoir : le Grand-Maître (Maître de Loge), sept Maîtres, six Compagnons et trois Apprentis. En 1730, la Grande Loge d’Irlande publie son livre des Constitutions dites de Pennell. Il y est décrit, de manière officielle, un système en 3 grades : apprenti, compagnon et maître. Rappelons que les Constitutions dites d’Anderson de 1723, à Londres, avait défini une Maçonnerie en 2 grades (apprenti et maître), que c’est en 1730 qu’est attesté, par une divulgation, et pour la première fois en Angleterre, le 3ème grade de maître qui s’était propagé dans les loges spéculatives depuis 1725. Cette divulgation sera condamnée par la Grande Loge de Londres en 1733, et que c’est seulement en 1738 que le grade de maître sera officialisé dans la 2ème édition des Constitutions anglaises. En fait c’est l’introduction du 2ème grade «fellow» entre le 1er et celui considéré, avant, comme second. C’est pour ce nouveau grade de maître que sera créée la légende d’Hiram.

Les conclusions d’Eugène Félicien Albert comte Goblet d’Alviella, Des origines du grade de maître dans la Franc-maçonnerie, (p.30)   sont : 1° qu’au début du XVIIIe siècle, il n’y avait pour les Maçons spéculatifs qu’une seule cérémonie d’initiation, un seul degré ; 2° qu’après la formation de la Grande Loge en 1717, on organisa deux degrés, en rétablissant sur de nouvelles hases le grade d’Apprenti ; 3° qu’un troisième degré s’introduisit et se propagea graduellement parmi les Loges spéculatives à partir de 1725 ; 4° que l’existence de trois degrés fut seulement sanctionnée par la Grande Loge d’Angleterre en 1733 et qu’elle n’était pas encore universellement acceptée en 1757. Ainsi, en 1733, commencent à apparaître, sur la liste officielle des Ateliers de Londres, des « Loges de Maîtres Maçons ». Ce sont des Loges spéciales, exclusivement composées de Maîtres qui se réunissent pour conférer aux Compagnons le troisième degré devenu «le grade supérieur de la Franc-Maçonnerie symbolique».(p.29)

Les Règlements Généraux du Royaume de France en 1735, intitulés Devoirs enjoints aux Maçons libres articulent, en 39 articles, ce qui va servir de règles à toutes les Loges dudit Royaume. Les quatre premiers concernent plus particulièrement le Grand Maître et les Maîtres de la Loge.

Dans une conférence donnée en 1912, Papus donne une définition du Maître (reprise dans la Revue l’Initiation n° 1, p.6) : «Le Maître est un guide, et il peut se dévouer à l’évolution de trois genres de facultés humaines : il peut diriger l’évolution du courage, du travail manuel ou des forces. C’est bien un Maître, mais celui-là c’est le produit de la société et il s’agit sur la portion physique des facultés humaines. Le second genre de maîtrise vise l’évolution du mental humain. Ce genre de maîtrise est dominé par un envoyé du plan invisible, venant de 1’appartement que les anciens nommaient Hermès trismégiste, et que nous appelons personnellement le Maître intellectuel, caractérisé par les lumières qu’il projette dans tous les plans d’instruction. Enfin, au-dessus, nous trouvons celui qui, seul, a véritablement droit à ce titre de Maître. C’est l’envoyé réel, chargé d’évoluer les facultés spirituelles, celui-là fait appel à des forces que bien peu comprennent et dont bien peu encore veulent suivre les incitations. Celui-là est celui que nous avons appelé un Maitre spirituel, qui a été nommé par Marc Haven, dans sa merveilleuse étude sur Cagliostro, le MaÎtre Inconnu, et par Sédir, dans ses commentaires sur l’Évangile, l’homme libre.»

Cependant, le maître en Franc-maçonnerie n’a ni les compétences ni les accréditations de Salomon, ni les outils et leur connaissance, ni les plans pour pouvoir continuer les travaux du temple. Il n’est pas «l’Architecte», même s’il en endosse ses valeurs, sagesse, force et beauté ; la sagesse dans ses mœurs, la force dans l’union avec ses frères, la beauté dans son caractère. N’ayant pas les mots du maître maçon, il n’a que des mots substitués comme le raconte la légende d’Hiram.

Toutefois, comme l’indique Oswald Wirth, dans son adresse aux maîtres maçons, «en Franc-maçonnerie, nulle autorité n’est supérieure à celle du maître.» même si en loge le vénérable dirige les travaux et les surveillants commandent aux colonnes.

Si, pour le compagnonnage, dans l’atelier opératif,  maître était une fonction hiérarchique, en Franc-maçonnerie, maître n’est qu’un titre du degré atteint. Les fonctions de commandement sont attribuées, ès qualités, aux surveillants : – Pourquoi êtes-vous placés ainsi»- Pour surveiller ceux qui entrent dans le temple et commander à la colonne du nord (ou du sud) et au Vénérable qui dirige toute la loge. – Le Vénérable dirige les frères (et les sœurs) dans leurs travaux maçonniques.»

Au REAA, l’égalité entre les maîtres dans la chambre du milieu est marquée par le fait que l’orateur ne fait pas de synthèse personnelle à la fin des travaux, chaque maître étant responsable de la parole qui circule en loge. Les dialogues des rituels sont d’une courtoisie accentuée, attestant d’un respect de pairs entre les officiers et les membres qui décorent les colonnes.

Le maître, en Franc-maçonnerie, n’instruit pas seulement par ses paroles ; c’est par la force de l’exemple qu’il doit guider les apprentis et les compagnons. Il est vertueux, comme l’a conceptualisé Robert K. Greenleaf dans les années 1970 à propos de la fonction managériale profane, le servant leadership, le leader-serviteur, qui ne se caractérise pas par une quête personnelle du pouvoir, du prestige ou des récompenses visant surtout d’abord à satisfaire son ego. Au contraire, il est important de souligner, au plan des valeurs, que ce type de leadership procède d’une motivation intrinsèque de nature altruiste pour aider, enrichir et élever les autres vers de nouvelles possibilités et de nouveaux niveaux d’accomplissement.

Tout franc-maçon est libre et de bonnes mœurs, il n’a pas d’autre maître que le rituel qui ne l’invite qu’à devenir maître de lui-même. Au Rite York, chacun des degrés a son devoir prédominant. Pour les apprentis le devoir est envers Dieu, pour le compagnon le devoir est envers le prochain, pour le maître le devoir est envers lui-même.

Le compas est aussi appelé «le maître» comme dans le Wilkinson de 1727 ou comme dans cet extrait de La Maçonnerie disséquée de Samuel Prichard (1730). «-Avez-vous vu VOTRE Maître aujourd’hui ? – Oui. – Comment était-il habillé ? – Avec une jaquette jaune et des culottes bleues.». Une note en NB en donne l’explication : la jaquette jaune est le compas et la culotte bleue sont les pointes d’acier (question 82). Le Manuscrit Dumfries (vers 1710) en donne le même sens : 25. Reconnaîtriez-vous votre maître si vous le voyiez ? –Oui. 26. De quelle façon le reconnaîtriez-vous ? -A son habit. 27. Quelle est la couleur de son habit ? -Jaune et bleu, ce qui signifie le compas, qui est de cuivre et les pointes de fer (p.12).

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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