L’alchimie est une discipline qui peut se définir comme « un ensemble de pratiques et de spéculations en rapport avec la transmutation des métaux ». L’un des objectifs de l’alchimie est le grand œuvre, c’est-à-dire la réalisation de la pierre philosophale permettant la transmutation des métaux, principalement des métaux « vils », comme le plomb, en métaux nobles comme l’argent ou l’or.
Cet objectif se fonde sur la théorie que les métaux sont des corps composés (souvent de soufre et de mercure). Un autre objectif classique de l’alchimie est la recherche de la panacée (médecine universelle) et la prolongation de la vie via un élixir de longue vie. La pratique de l’alchimie et les théories de la matière sur lesquelles elle se fonde, sont parfois accompagnées, notamment à partir de la Renaissance, de spéculations philosophiques, mystiques ou spirituelles.
Des pensées et des pratiques de type alchimique ont existé en Chine dès le ive siècle av. J.-C. et en Inde dès le vie siècle. L’alchimie occidentale, quant à elle, commence dans l’Égypte gréco-romaine au début de notre ère, puis dans le monde arabo-musulman, d’où elle se transmet au Moyen Âge à l’Occident latin, où elle se développe à la Renaissance et jusqu’au début de l’époque moderne. Jusqu’à la fin du xviie siècle les mots alchimie et chimie sont synonymes et utilisés indifféremment. Ce n’est qu’au cours du xviiie siècle qu’ils se distinguent et que l’alchimie connaît une phase de déclin, sans toutefois disparaître totalement, alors que la chimie moderne s’impose avec les travaux d’Antoine Lavoisier, et la découverte que les métaux sont des « substances simples ».
L’étymologie du terme alchimie est discutée (grammatici certant). Le mot « alchimie » viendrait de l’arabe الكيمياء, al-kīmiyāﺀ venant lui-même du grec ancien khumeia / khêmeia. Le terme apparaît dans le vocabulaire français au xive siècle, par le latin médiéval alchemia. Les termes alchimie et chimie (en latin alchemia et chemia, ou alchymia et chymia) sont restés strictement synonymes jusqu’au début du xviiie siècle, avec notamment l’ouvrage polémique d’Étienne-François Geoffroy, Des supercheries concernant la pierre philosophale (1722).
Différentes hypothèses ont été avancées pour l’origine du mot en arabe. Le mot arabe proviendrait du mot grec Χεμεια khemeia, désignant également la chimie dans son acception moderne, ou bien du grec χυμεία, khymeia désignant un mélange, une mixture. Le philologue Hermann Diels, dans son Antike Technik (1920) y voyait la « fusion », du grec ancien khumeia / khêmeia, signifiant « art de fondre et d’allier les métaux ».
Kimiya pourrait également venir du mot copte kēme (ou son équivalent en dialecte bohaïrique, khēme), lui-même dérivant du grec kmỉ, correspondant au moyen égyptien ḳm.t, désignant la terre noire, la terre alluvionnaire et par extension l’Égypte (Χημία)
Liens avec l’Égypte pharaonique :
Selon Zosime de Panopolis, l’alchimie telle qu’elle était pratiquée à son époque tirait son origine des cultes égyptiens. Dans un traité généralement appelé le « Compte Final », Zosime présente une courte histoire des techniques minéralurgiques et de deux types de « teintures » (βαφαί), les teintures « naturelles» (φυσικά) et les teintures « non naturelles » (ἀφυσικά). L’alchimie y est décrite comme un art ayant été jadis caché et monopolisé par les prêtres égyptiens et leurs « démons terrestres » (ϙϙ [c’est-à-dire δαίμονες] περίγειοι), que Zosime appelle aussi « gardiens des lieux » (οἱ κατὰ τόπον ἔφοροι). Il s’agit vraisemblablement des dieux égyptiens, qu’il présente comme des démons menteurs promettant le succès dans la pratique des teintures en échange de sacrifices. Zosime a manifesté un intérêt pour les pratiques des prêtres des temples égyptiens dans deux autres traités et semble les avoir considérés comme les derniers spécialistes de l’alchimie : dans Sur les appareils et les fourneaux, il mentionne avoir visité « l’antique sanctuaire de Memphis » où il a vu un fourneau tombé en pièces ; une traduction syriaque d’un traité de Zosime Sur le travail du cuivre montre aussi son intérêt pour des pratiques métallurgiques liées à la fabrication et la coloration des statues du culte égyptien. Bien que Zosime attribuât les pratiques alchimiques de son temps à celle des prêtres égyptiens, il n’attribuait pas son origine à un peuple ou à un groupe de prêtres en particulier mais plutôt à l’enseignement des anges déchus, qui aurait été consigné dans un traité perdu intitulé le “Chemeu”. Plutôt que de suivre les traditions égyptiennes, qu’il croyait avoir été corrompues par l’influence de “démons”, Zosime cherchait à reconstituer l’authentique doctrine alchimique par une exégèse méticuleuse des textes, et plus particulièrement, par l’interprétation des textes attribués à Démocrite, qu’il croyait être le seul à avoir fait allusion au Chemeu.
François Daumas voit un lien entre la pensée égyptienne et l’alchimie gréco-égyptienne, à travers la notion de pierre, pierre à bâtir ou pierre philosophale. Garth Fowden, cependant, juge l’interprétation de Daumas trop optimiste : « dans le cas de l’alchimie, les anciens Égyptiens sont connus pour s’être intéressés à l’origine et à la nature des pierres précieuses et des métaux, et les textes alchimiques grecs de l’Antiquité tardive contiennent diverses allusions à l’Égypte et à ses traditions, mais nous n’y trouvons rien d’analogue à l’évolution, sans solution de continuité, de la magie pharaonique à la magie gréco-égyptienne. Le même discours vaut pour l’astrologie. ». Shannon Grimes a émis une thèse semblable à celle de Daumas, Festugière et Mertens. Selon Grimes, Zosime de Panopolis (c. 300 ap. J.-C.), un des premiers commentateurs de textes alchimiques, aurait était prêtre d’un culte égyptien et aurait adapté les traditions égyptiennes concernant la création et la consécration des statues de cultes, notamment le rite de l’ouverture de la bouche, aux traditions hébraïques et chrétiennes.
Liens avec les pratiques artisanales et la métallurgie
De nombreuses techniques artisanales sont connues dans l’Égypte hellénistique avant l’apparition de l’alchimie : fonte des métaux (seulement sept métaux sont connus de l’antiquité jusqu’à la renaissance : or, cuivre, argent, plomb, étain, fer et mercure), la fabrication d’alliage (bronze et laiton), différentes techniques de métallurgie et d’orfèvrerie, le travail du verre, la fabrication de gemmes artificielles, la fabrication de cosmétique.
Les différentes techniques de raffinage des minerais aurifères et argentifères sont particulièrement pertinentes à ce qui allait être appelé alchimie. Les premières techniques consistent à extraire les métaux précieux des minerais. Comme le mentionne Pline l’ancien à la fin du ier siècle, le mercure était utilisé pour séparer l’or du minerai. L’or et les argents se trouvant généralement mélangés l’un à l’autre ainsi qu’à d’autres métaux, la séparation de ces métaux était nécessaire à l’obtention d’or et d’argent de haut titre. Une première technique, la coupellation, permettait de séparer l’or et l’argent d’autres métaux mais non pas l’or de l’argent28. Pour ce faire, on utilisait plutôt la cémentation, une technique qui consistait à calciner l’alliage d’or et d’argent avec d’autres produits, dont le sel, dans des vases d’argile. Sous l’effet de la chaleur, l’argent du mélange réagit avec le sel et se colle aux parois du vase. Cette technique fut décrite par Agatarchide de Cnide dans un ouvrage maintenant perdu et cité par Diodore de Sicile. Des fouilles archéologiques à Sardes ont aussi démontré qu’une technique de cémentation similaire à celle décrite par Agarthacide y fut utilisée.
Un lien peut-être plus fort encore peut être fait entre l’utilisation de mercure pour la dorure (le mercure y servant à coller des feuilles d’or sur un objet), le rôle que cette technique jouait dans la coloration des statues et l’importance que le mercure revêt dans les commentaires alchimiques, notamment ceux de Zosime de Panopolis.
Les livres de recettes
Les plus anciens textes grecs qu’on peut relier à l’alchimie sont les papyrus de Leyde et de Stockholm, écrits en grec et découverts en Égypte, et qui datent du iiie siècle. Ils contiennent 250 recettes techniques qu’on peut répartir en quatre catégories qui visent à donner aux métaux l’aspect de l’or ou de l’argent et à imiter la coûteuse pourpre et les pierres précieuses (émeraudes, perles…). Ces recettes sont claires dans la mesure où on parvient à en identifier aujourd’hui les ingrédients. Les papyrus recettes contiennent des tests de la pureté des métaux précieux et communs, ce qui indique que leurs auteurs sont parfaitement conscients de la différence entre l’imitation et l’original. Une de ces recettes par exemple, porte sur l’« eau de soufre », constituée d’un mélange de chaux, de soufre et d’urine ou de vinaigre, que l’on chauffe. Elle permet de donner à l’argent l’aspect de l’or par l’action en surface de polysulfures de calcium. Les premiers papyrologues ayant travaillé sur ces deux manuscrits s’accordent pour dire qu’ils sont l’œuvre du même copiste9 (ce même copiste serait par ailleurs l’auteur de manuscrits maintenant mieux connus sous le nom de “papyrus magiques grecs”). Considérés comme une seule œuvre, les manuscrits alchimiques de Leyde et de Stockholm portent sur l’imitation de quatre types de substances (l’or, l’argent, la teinture pourpre et les pierres précieuses). Cette même division se retrouve aussi dans la tradition des Quatre livres attribués à Démocrite, la plus ancienne tradition d’alchimie grecque que l’on connaisse.
Le plus ancien texte du Corpus alchemicum graecum est le Physika kai mystika (φυσικά και μυστικά, Questions naturelles et secrètes), et que l’on peut dater du ier siècle. Faussement attribué au philosophe Démocrite d’Abdère du ive siècle avant notre ère (on parle du Pseudo-Démocrite), ce texte a souvent été considéré au xxe siècle, comme une version remaniée et interpolée d’un ouvrage plus ancien d’un auteur gréco-égyptien mal connu, Bolos de Mendès (entre − 250 et −125) ; Les études plus récentes ont conduit à rejeter cette hypothèse. Synésius l’alchimiste, au ive siècle, identifie le maître au mage Ostanès, et le temple à celui de Memphis. Le texte présente des recettes techniques très similaires à celles des papyrus, destinées à imiter l’or, l’argent, le pourpre et les pierres précieuses ; mais il présente des éléments qui deviendront caractéristiques des textes alchimiques :
La fausse attribution à des auteurs célèbres ou mythiques
l’aspect initiatique : le pseudo-Démocrite essaie sans succès d’invoquer du séjour des morts son maître mort avant de lui avoir transmis ses secrets, mais finit par découvrir dans la colonne d’un Temple une formule qui résume son art : « la nature se réjouit de la nature, la nature vainc la nature, la nature domine la nature ». Chaque recette est suivie d’une des trois propositions de la formule.
l’ambiguïté du langage : le texte joue sur le double sens de l’expression theion hudor qui peut signifier en grec « eau de soufre » ou « eau divine ». Il utilise l’expression « notre plomb », pour désigner autre chose, probablement la stibnite (minerai d’antimoine).
Pour Didier Kahn c’est le premier traité d’alchimie connu, mais pour Lawrence Principe il appartient encore à la littérature technique des recettes. Comme l’indiquait Robert Halleux : « En fait, il est extrêmement difficile de distinguer une recette technique d’une recette alchimique. La différence essentielle, la chimérique prétention de transmuter, ne joue qu’au niveau de la conscience de l’opérateur, car sous l’angle strictement technique, […] les procédés des alchimistes grecs sont des procédés de bijoutiers : alliage à bas titre, dorure ou argenture de métaux vils, vernis imitant l’or et l’argent. Il conviendra donc de replacer les recettes dans leur contexte à la fois technique et intellectuel ».
Zosime de Panopolis
Selon Lawrence Principe c’est vraisemblablement au cours du iiie siècle que l’idée, non plus d’imiter l’or et l’argent, mais de les fabriquer réellement émergea. Après le Physika kai mystika du pseudo-Démocrite, on dispose d’une série de citations ou de courts traités attribués à des personnages mythiques ou célèbres (Hermès, Isis, Moïse, Agathodémon, Jamblique, Marie la Juive, Cléopatre, Comarius, Ostanès, Pamménnès, Pibechius…, pour la plupart cités par Zosime de Panopolis (Rosinus dans les publications latines postérieures), qui, vers 300, est le premier alchimiste pour lequel on dispose d’écrits et de détails biographiques substantiels.
Ces détails restent essentiellement limités aux écrits de Zosime. La Souda, une encylopédie datant de la fin du xe siècle, l’appelle un philosophe (l’appellation ordinaire pour un auteur de textes alchimiques grecs) d’Alexandrie50. La Souda est la seule source identifiant Zosime comme un alexandrin et la plupart des chercheurs s’accordent maintenant pour dire que Zosime était originaire de Panopolis. L’encyclopédie lui attribue aussi une œuvre en 28 volumes « appelée par certains Cheirokmêta » et une Vie de Platon. Aucune Vie de Platon nous est parvenue attribuée à Zosime et aucune collection de ses livres ne correspond exactement à la description faite des Cheirokmêta.
Les commentateurs
Deux autres auteurs de cette période sont restés célèbres pour leurs commentaires ou leurs recettes : Olympiodore l’Alchimiste, qui est peut-être Olympiodore le Jeune (un recteur de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, en 541) et Synésius, qui est peut-être Synésios de Cyrène, ami et disciple de la philosophe néoplatonicienne Hypatie. Olympiodore le Jeune, au vie siècle, sur l’analogie planètes-métaux, donne un système de correspondances, qui sera classique en alchimie : or-Soleil, argent-Lune, plomb-Saturne, électrum-Jupiter, fer-Mars, cuivre-Vénus, étain-Mercure.
Premières techniques alchimiques
Les alchimistes alexandrins utilisaient quatre types de techniques pour « produire » de l’or, techniques consignées dans des recettes :
la fabrication d’alliages semblables à de l’or, composés de cuivre, d’étain et de zinc (comme le laiton ou le moderne « or de Mannheim », alliage de cuivre et de zinc utilisé en bijouterie ;
l’altération de l’or, en lui incorporant du cuivre et de l’argent dont les teintes rougeâtres et verdâtres des alliages avec l’or se compensent, ne modifiant pas la coloration initiale. Les alchimistes interprétaient cela comme la transformation de l’argent et du cuivre initial par l’or agissant comme une semence ;
la dorure superficielle des métaux (les recettes parlent alors de teinture plutôt que de fabrication). Cela se faisait par trois méthodes : l’utilisation d’un vernis laque teinté, le traitement par des solutions pour former une couche de sulfures, et la corrosion en surface d’or altéré, pour ne laisser à l’extérieur qu’une couche d’or pur (l’agent corrosif étant probablement une sorte d’anhydride sulfurique obtenu par calcination de sulfates de fer et de cuivre) ;
l’utilisation de substances volatiles dans des processus de distillation et de sublimation, permettant d’extraire l’« esprit » d’un corps et de l’y réintroduire.
Alchimie byzantine.
L’alchimie byzantine, très active à Alexandrie, regroupe les écrits et les pratiques métallurgiques de la dernière période gréco-égyptienne de l’alchimie. Elle recoupe une série de théories, de méthodes et de recettes concernant la coloration des métaux et la fabrication d’alliages. Bien que l’alchimie byzantine cherche entre autres à faire passer les métaux de valeur moindre pour des métaux plus riches, elle ne se limite pas exclusivement à cette fin. Elle hérite d’un ensemble de théories concernant la matière provenant des philosophies platoniciennes, aristotéliciennes, néoplatoniciennes et gnostiques, et qui proposent des buts purement spirituels et régénératifs. Elle s’inscrit aussi dans le monde militaire byzantin via des recherches liées à la production d’armes à feu que l’on reconnaît dans la fabrication et l’utilisation du feu grégeois.