La Tenue a débuté, les travaux ont repris déjà force et vigueur, les membres sont attentifs et silencieux, le Rituel se déroule sans anicroche. Trois coups sont frappés à la porte du Temple.
Léger étonnement en regard de l’heure.
– « Frère Couvreur, voyez qui frappe ainsi à la porte de la Loge ! »
Sortie, absence se prolongeant quelque peu, et voilà le Frère Couvreur de retour se penchant vers le Second Surveillant pour lui murmurer ses observations selon le Rituel.
– « Vénérable Maître, le Frère Grand Architecte de l’Univers demande l’entrée de la Loge ! »
Stupeur à l’Orient, sur les Colonnes, sur tous les points cardinaux.
Pendant quelques instants, en ce lieu hors du temps et de l’espace, le Vénérable en reste muet de stupéfaction, comme s’il avait perdu la Parole.
Dans cette Respectable Loge Bleue, sa pâleur subite rend jalouse la lune qui trône à son côté, le soleil quant à lui en reste tout ébaubi, sur l’une et l’autre Colonne les murmures effarés se propagent en tous grades et qualités.
Reprenant son sang-froid et toute sa maîtrise dans un effort méritoire, le Vénérable Maître en Chaire éructe plutôt qu’il ne parle :
– « Mais, mais, mais… heu, voyons, préparez-vous à la voûte d’acier, maillets battants, à l’ordre, debout, souriez, soyez respectueux mais restez dignes, … »
Bref, le Vénérable assume son Office dans une confusion palpable.
En quelques minutes, il demande à ses Officiers d’être prêts à recevoir avec toute la rigueur du Rituel ce visiteur impromptu, mais néanmoins connu… enfin, selon certains Rites et surtout certaines Obédiences.
Crispé, le Vénérable prononce :
– « Faites entrer le G∴A∴D∴L∴U∴, sans cérémonie bien sûr, ce serait vexant pour lui. Préparez-vous mes Frères et Sœurs, debout et à l’Ordre, formez la Voûte d’acier et maillets battants ! Tant pis, nous n’aurons pas les porteurs d’étoiles, ni les porteurs de glaives, il n’avait qu’à nous prévenir de sa venue » murmure-t-il un brin défait.
La porte à double battant s’ouvre, la musique retentit, l’assemblée se fige, les maillets battent… tout est conforme au Rituel.
Enfin, apparaît la silhouette !
Comme sur les images, un peu voûté, une longue barbe blanche, un regard lumineux et une simplicité majestueuse dans ses déplacements.
Arrivée au pied des marches de l’Orient, la silhouette s’arrête. Le doux regard croise celui hésitant du Vénérable, le signe d’Ordre est fait. Le Vénérable ne sait plus ce qu’il doit faire tout à coup.
Va-t-il s’agenouiller ? Va-t-il offrir son maillet et ses décors ? Va-t-il éclater en sanglots sous le coup de l’émotion ? Le silence pesant règne sur l’une et l’autre Colonne, mais aussi à l’Orient où s’étouffe le Vénérable Maître en Chaire, devenu aussi rouge que blême, aussi vert que bleu. Un véritable arc-en-ciel, ce qui est de mise en la circonstance, pense-t-il en son for intérieur, et dans son égarement et sa confusion mentale.
Devant ce silence de plomb, et non d’Or, la fragile silhouette majestueuse semble hésiter elle aussi.
Soudain, dans un murmure aussi puissant qu’un grondement de tonnerre dans ce lieu sans bruit, une voix fluette naît et dit :
– « Vénérable Maître en Chaire, et vous tous mes Frères et mes Sœurs, je suis le Frère Legrand, Architecte de profession, membre de la Respectable Loge L’Univers, à l’Orient de Paris, je vous prie de bien vouloir excuser mon retard à vos travaux, mais je n’ai pu trouver facilement à me garer dans votre quartier. »