Taciturnitas virtutes plurimas nutrit, le silence nourrit un très grand nombre de vertus.
«Toute ma vie, j’ai grandi parmi les Sages et n’ai rien trouvé de meilleur (baume) pour le corps que le silence. Ce n’est pas le commentaire qui est l’essentiel mais les actes» (Pirké Avot, Maximes des Pères 1,17).
Seul le silence est propre à exalter la joie du cœur et de l’esprit. Le silence est amour (aleph est la première lettre du mot אוהב, amour, lettre qui a laissé place au beth du commencement), retrait volontaire de soi pour laisser place à l’altérité des voyelles et des autres lettres qui viennent lui donner corps. L’hébreu est une langue qui commence par le silence, sa première lettre alphabétique, l’aleph א, est une lettre intentionnellement muette. La spiritualité non visible et non prononçable des vérités cachées mais bien présentes dans ce monde s’expriment subtilement à travers cet aleph, qui semble pouvoir rehausser la qualité de tous nos actes les plus matériels. «Devant lui un vent intense et violent, entrouvrant les monts et brisant les rochers, mais dans ce vent n’était point le Seigneur. Après le vent, une forte secousse; le Seigneur n’y était pas encore. Après la secousse, un feu ; le Seigneur n’était point dans le feu. Puis, après le feu, une voix mince de silence» (IRois, 19, 11 et 12).La particularité essentielle de la lettre «Aléf» (א) est qu’elle est la seule des 22 Lettres de l’Alphabet sacré hébreu qui s’écrit mais ne se prononce pas, un silence autour duquel s‘organise le Verbe créateur. Voilà pourquoi, le silence est la Parole des sages, c’est en lui que tout s’élabore et que l’homme y redécouvre l’essentiel : la Sagesse intérieure.
Le silence est la voie qui mène à la révélation de soi-même et de l’autre, il est écoute ; le mutisme est le gouffre qui nous en sépare. Le silence, s’il est vide, c’est du mutisme. Le mutisme, c’est le contraire de l’amour, c’est l’indifférence[1]. Comme l’écrit Jean-Marc Bazy à propos du Zen pratique du silence : «Le silence du zen n’est évidemment pas pour apprendre à se taire, se murer sur soi-même dans un mutisme, mais au contraire pour apprendre à écouter et à voir. On recherche le silence pour entendre les autres et cesser de s’écouter soi-même ».
Alors que les vérités scientifiques sont communicables parce que ce sont des hypothèses démontrables fondées rationnellement sur des faits observables, le rituel, la mythologie et la métaphysique ne sont que des guides qui conduisent au bord de “l’illumination”, à ce pas final que chacun doit accomplir dans sa propre expérience silencieuse. De là vient l’un des termes sanscrits pour désigner le sage : muni, « le silencieux ». Sakyamuni, l’un des titres de Bouddha Gautama, signifie « le silencieux ou sage (muni) du clan Sakya ». Bien qu’il soit le fondateur d’un enseignement religieux largement répandu de par le monde, l’essence ultime de sa doctrine demeure cachée, par nécessité, au plus profond du silence.
Le silence a eu ses dieux dans de nombreuses civilisations ; pour ce motif il est toujours représenté un doigt sur la bouche (voir l’article Le silence initiatique sur le Journal 450fm).
On trouve de nombreux exemples de silence sur un secret à travers les diverses traditions et civilisations, en particulier ceux rapportés dans la partie historique des Constitutions Ahiman Rezon de Laurence Dermott (à partir de la page 18: «le fidèle Anaxarque (tel que Pline le rapporte au livre VII, chapitre 23) qu’on enleva pour lui arracher ses secrets, qui se coupa la langue avec ses dents et la cracha ensuite à la figure du tyran. Les Athéniens avaient une statue de bronze, devant laquelle ils s’inclinaient; le personnage n’avait pas de langue, pour signifier l’importance du secret.» Le serviteur de Caton fut cruellement torturé, mais rien ne put lui faire révéler les secrets de son maître. Quinte Curse nous enseigne que chez les Perses on punissait très sévèrement selon une loi inviolable celui qui révélait un secret; comme confirmation il dit que le roi Darius, vaincu par Alexandre, s’était échappé pour se cacher là où il se croyait à l’abri; aucun torture, ni promesse de riche récompense, ne purent fléchir les frères fidèles qui savaient sa cachette, ou les amener à la révéler à qui que ce fût. Il ajoute en outre que nul ne devrait confier quelque affaire d’importance à qui ne sait pas vraiment garder un secret. Au nombre de toutes ses lois, Horace aurait voulu que chacun garde secret tout ce qui se faisait ou se disait: pour ce motif l’habitude des Athéniens (quand ils se réunissaient pour une fête) était que les plus anciens parmi eux montraient à chaque frère la porte par laquelle il entrait, disant: prends garde que pas un seul mot ne passe ce seuil, de ce qui sera dit ou fait. La première chose enseignée par Pythagore à ses disciples était le silence, en conséquence il les maintenait sans parole pendant un certain temps, afin qu’ils apprennent mieux à conserver les précieux secrets qu’il leur communiquait; il leur enseignait encore à ne parler que si nécessaire, exprimant par-là que le secret était la qualité la plus rare. Plût à Dieu que les Maîtres de nos loges actuelles en fissent autant! On demanda à Aristote ce qui lui paraissait le plus difficile; il répondit: le secret et le silence. À cette fin, St. Ambroise place parmi les principes premiers de la vertu le don de la patience silencieuse. Le sage roi Salomon dit au livre des Proverbes qu’un roi ne devrait pas boire de vin, car l’ivresse est ennemie du secret; et à son avis, n’est pas digne de régner qui ne sait garder ses propres secrets.»
Le silence est la voie d’accès à un degré de conscience élevé. Il prend son ampleur au sein de la loge pour relier le franc-maçon à la partie la plus sacrée de son être.
Le silence est la voie qui mène à la révélation de soi-même et de l’autre, il est écoute ; «c’étaient des gens silencieux et toujours prêts à écouter les autres, au point que savoir écouter était pour eux un motif d’éloge» rapporte Jamblique à propos des initiés de l’école de Pythagore.
Le silence de l’apprenti dans les rites continentaux est son 5e voyage initiatique (après le cabinet de réflexion + les 3 voyages de la cérémonie d’initiation) ; il s’accomplit dans l’écoute mais consiste, aussi, en ce qui ne lui est pas encore accordé et qui lui sera donné, progressivement, pour avoir la plénitude des droits du maître (droit de parole, de vote, d’occuper un office…).
Le silence est d’essence métaphysique et dépasse, même s’il l’embrasse, le seul silence imposé à celui qui ne sait pas. Bien plus qu’un silence pédagogique, le silence maçonnique est une véritable disposition de l’être qui, seule, permet l’émergence et la prééminence du Soi sur le Moi. Le silence joue le même rôle que l’obscurité d’où naît la Lumière. Le silence, par le recueillement et la concentration qu’il procure, permet l’écoute de l’invisible. Nous sommes ici aux limites de l’intelligible, dans une recherche de l’ultime.
«La condition souveraine du savoir est le silence car seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse.» Alfred de Vigny.
Le chemin de l’apprentissage vers le compagnonnage mène de la pensée silencieuse vers la parole retrouvée pour donner du sens au silence ; le substantif «mot» lui-même, sous sa forme latinisée motus, signifie le silence, comme le fait remarquer Lacan.
Comme le décline Cynthia Fleury, les 4 fonctions du silence sont spirituelles, cognitives, curatives et citoyennes
L’ultracrépidarianisme (sutor, ne supra crepidam, le cordonnier ne doit pas parler au-delà de la chaussure) est le comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a pas de compétence et pour lequel le silence eût été meilleur.
Le silence absolu atteint à ce jour est environ de -10 décibels, insupportable au-delà de 45 mn !
Bien sûr, notre journal a souvent abordé ce sujet. En voici quelques souvenirs à consulter également : 450.fm/2022/08/06/le-silence-analytique-suite-et-fin-3-3/; 450.fm/2021/08/23/italie-le-silence-interieur-et-le-retrait-des-metaux/; 450.fm/2021/07/10/de-lautre-cote-du-miroir-le-monde-du-silence/…
[1]. F. Dostoïevski : « Le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence. »
Un oubli,le silence est capital en Musique.Il précède et suit tout son musical,il sépare et ordonne leur déroulement,donne ou restreint leur
importance,participe de leur signification.Le bon musicien est aussi celui qui sait utiliser le silence et le mettre en valeur.