Audemus sapientiam, nous osons le [sage] savoir
Avant de choisir, mais qu’est-ce donc la Franc-maçonnerie?
On pourrait commencer par dire que la Franc-maçonnerie ce n’est pas une secte, ni une religion, ni son substitut, ni une association d’entraide. C’est un principe spirituel ; deux choses, qui n’en font qu’une, le constituent : un passé et un présent. L’une est la possession en commun d’un legs sous forme de rites, l’autre est le consentement actuel, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu.
On considère généralement que les loges et les francs-maçons qui les composent véhiculent la philosophie des lumières, et expriment une sorte de rationalisme de la connaissance et de l’action ; ainsi, on assimile très souvent le franc-maçon à un rationaliste impénitent, voire à un matérialiste. En 1860, notre frère Pierre Joseph Proudhon écrivait dans ses Travaux maçonniques: «Le Dieu des Maçons n’est ni Substance, ni Cause, ni âme, ni Monade, ni Créateur, ni Père, ni Verbe, ni Amour, ni Paraclet, ni Rédempteur, ni Satan, ni rien de ce qui correspond à un concept transcendantal. Toute métaphore est ici écartée. C’est la personnification de l’équilibre universel. Il est l’architecte ; il tient le compas, le niveau, l’équerre, le marteau, tous les instruments de travail et de mesure. Dans l’ordre moral, il est la Justice. Voilà toute la théologie maçonnique».
Sans doute, mais on oublie, que dans de nombreuses loges maçonniques, un attrait indiscutable pour les sciences occultes s’était déjà développé dans une pensée traditionnelle, une résurgence de ce qu’on appelle l’ésotérisme. Ainsi, au 18ème siècle, à côté des maçons comme Voltaire, Hume, Lalande, d’Holbach, on trouvait également dans les loges des maçons comme Martinez de Pasqualy, Willermoz, Mesmer, Louis Claude de Saint Martin, Joseph de Maîstre qui sont, eux, des adeptes fervents de l’occultisme, de l’ésotérisme.
Au risque de contrarier les libres penseurs, la Franc-maçonnerie a longtemps labouré le même terrain que la mystique juive, chrétienne, chevaleresque, égyptienne, celui de l’alchimie, de la gnose, des arts libéraux et des confréries opératives ; il en reste des symboles avec leurs herméneutiques. En effet, comme le reconnaissent les Grandes Constitutions du REAA de 1786, la Franc-maçonnerie intègre, dans sa réflexion, les traditions populaires, mythologiques, philosophique, hermétiques et religieuses, afin d’y rechercher ce qui peut révéler le sens de la destinée de l’homme et la signification de l’aventure humaine[1] .
Voilà ce qu’en disait Éliphas Lévi : “ils ont eu les templiers pour modèles, les rose-croix pour pères et les Joannites pour ancêtres. Leur dogme est celui de Zoroastre et d’Hermès, leur règle est l’initiation progressive, leur principe l’égalité réglée par la hiérarchie et la fraternité universelle ; ce sont les continuateurs de l’école d’Alexandrie, héritière de toutes les initiations antiques ; ce sont les dépositaires des secrets de l’apocalypse et du Zohar ; l’objet de leur culte c’est la vérité représentée par la lumière ; ils tolèrent toutes les croyances et ne professent qu’une seule et même philosophie ; ils ne cherchent que la vérité, n’enseignent que la réalité et veulent amener progressivement toutes les intelligences à la raison.“
Quiconque aura tenté, par ses recherches, de visiter l’histoire maçonnique, restera déconcerté par la multitude des rites qui ont existé ou existent encore. Bien plus, ces Rites peuvent nous paraître si différents les uns des autres que la réalité ultime, déjà bien difficile à saisir de la Franc-maçonnerie, peut subitement sembler inaccessible. Tous ces rites divers se combattent ou se fusionnent en systèmes bigarrés, incomplets, remplis de contradictions. Oui, la Franc-maçonnerie s’est structurée au fil des siècles autour d’une grande diversité de Rites et de traditions, ce qui a entraîné la création d’une multitude d’Obédiences qui ne se reconnaissent pas toutes entre elles. Parce que la visée d’un rite est aussi un enseignement moral, les diverses références mythologiques choisies par les rites (le mythe est la parole dans laquelle le rite vrai s’exprime), montrent toutefois un œcuménisme ontologique sur les interrogations humaines fondamentales, la vie, la naissance et la mort. Les différences entre tous ces rites sont généralement minimes en ce qui concerne les trois premiers degrés fondamentaux de la Franc-maçonnerie, et ne deviennent substantielles qu’au niveau des degrés additionnels et facultatifs parfois nommés «hauts-grades» ou « Ordres de sagesse ».
Alors, quel est le principe sous-jacent de la Franc-maçonnerie?
En France, comme l’écrivait Bruno Étienne, la Franc-maçonnerie a produit deux maçonneries qui cohabitent, volens nolens, bon gré malgré, depuis trois siècles. La première a pour slogan «liberté, égalité fraternité» et entend participer activement à la construction de la société idéale. La seconde a pour devise «Sagesse, force, beauté» et préfère travailler à la construction du Temple de l’Humanité à partir de la construction du temple intérieur par la maîtrise de l’ego. L’une est extravertie, progressiste, mondaine ; l’autre est tournée vers l’intérieur, progressive, mystique. En ce qui concerne les objectifs de la franc-maçonnerie, et au risque de caricaturer un peu, on pourrait dire que le Grand Orient de France, peut-être en raison de ses rapports étroits avec les pouvoirs successifs, développa très vite dans ses loges un intérêt pour la résolution des problèmes de société, et au niveau national chercha à peser sur le pouvoir pour faire avancer les solutions progressiste qu’il préconisait. Alors que la Franc-maçonnerie anglo-saxonne, plus discrète se consacrait principalement au progrès et à l’éducation du franc-maçon lui-même. Ce qui ne veut pas dire que cette Franc-maçonnerie n’eut pas à certains moments une influence décisive sur une société alors en pleine évolution, mais ce fut, et c’est toujours, plutôt à titre individuel.
Peut-on, sans schizophrénie excessive, appartenir aux deux tendances sans disqualifier l’une ou l’autre ? Bruno Étienne pensait que non. Rappelons-nous des origines : en 1722, en même temps qu’était en préparation le texte des Constitutions dites d’Anderson, dans lequel on pouvait voir sous l’obligation du simple déisme de la religion naturelle une proclamation de tolérance[2], paraissait à Londres une édition du texte «Anciennes Constitutions» dites de Dermott, sous le titre Ahiman Rezon, dont l’article premier stipule «je dois vous exhorter à honorer Dieu dans sa Sainte Église, à ne pas vous laisser aller à l’hérésie, au schisme et à l’erreur dans vos pensées ou dans l’enseignement d’hommes discrédités». Démenti cinglant à Anderson, à Désaguliers et surtout à Newton, un an avant la parution de la 1ère édition des Constitutions d’Anderson.
Ces conflits ne sont pas anodins. Il touche à l’essence même de l’identité maçonnique. Celle-ci, doit-elle vivre repliée sur elle-même et ne s’attacher qu’aux textes primitifs et à sa tradition orale, ésotérique et mystique ? Ou bien doit-elle être constamment ouverte au monde, aux sciences, à la philosophie et aux évolutions des mœurs de la société ? En s’appropriant le monopole de l’interprétation républicaine, en s’identifiant à la seule République, la Franc-maçonnerie ne risque-t-elle pas de perdre sa capacité à guider les néophytes vers l’initiation au profit d’un tangage dans les courants à la mode du monde profane ?
Choisir sa Franc-maçonnerie
Choisir un courant est donc important car la Loge et son rite induisent un changement dans la vie personnelle de ses membres, une correspondance existant entre le macrocosme d’une Loge et le microcosme de chaque franc-maçon qui y travaille.
Maçons, Loges, Obédiences[3], autant de «systèmes» en relations, comme emboîtés les uns dans les autres, reliés tout en gardant chacun, à son niveau, ses devoirs et ses prérogatives. Cette conception de système (comme l’indique les racines grecques du mot[4], organisation, ensemble, mettre en rapport, instituer, établir) provient de l’idée de monade c’est-à-dire d’une image du tout, chacun étant à la fois une monade et un composé de monades, chacun offrant un point de vue particulier sur le tout. C’est l’une des significations profondes de ce qui nous est donné par le ternaire qui conduit à l’unité, ternaire qui est le fondement philosophique et spirituel de la Franc-maçonnerie.
La Maçonnerie met en perspective ses monades en plaçant la Loge en un point symbolique médian de l’axe qui les relie, où s’effectuent les changements d’échelle entre le tout de l’Obédience et ses parties élémentaires, autrement dit selon l’expression bien connue : les maçons sont des abeilles dans la ruche qu’ils ont choisie. Les rites/rituels et cérémonies mobilisent, canalisent et orientent l’Énergie collective, (chaos et cosmos) pour transférer sur le plan conscient, les bases sur lesquelles s’édifient, se structurent et s’harmonisent les Communautés.
Les règles et les rituels, outils de connaissance et de conscience, sont difficilement conciliables dans la démultiplication des Obédiences, conciliation schizophrénique nous a dit Bruno Étienne. En reprenant les théories sur la monade de Leibniz (secrétaire de la Rose-Croix) et de Newton (qui a influencé Désaguliers), tous deux savants aux fondements de la pensée maçonnique, on va essayer d’éclairer leur difficile coexistence.
« Ces deux penseurs cultivaient une vision d’interconnexion holistique, c’est-à-dire formant un ensemble solidaire, dont les diverses parties ne peuvent se comprendre que par le tout. Ces éléments ultimes, appelés « monades », sont à la fois des centres de forces physiques et des centres d’expériences mentales reflétant l’univers. Selon les propres termes de Leibniz, « chaque monade est un miroir vivant représentatif de l’univers suivant son point de vue, et aussi réglé que l’univers lui-même. »
Le newtonisme est une philosophie progressiste, inspirée des théories d’Isaac Newton, faisant vœu de transposer l’harmonie du monde céleste dans une harmonie du monde humain.
Comme pour Spinoza, la philosophie newtonienne est un naturalisme. Le naturalisme ne cherche pas à déterminer ce qui est juste ou bien, mais ce qu’il pense exister dans la nature.C’est sur cette revendication de ce qui est naturel ou contre-nature que le naturalisme veut imposer ce qui devrait être ou ne pas être.
Le newtonisme remet en cause la scolastique.
Jean Théophile Désaguliers est le premier à percevoir l’ampleur de la révolution newtonienne tant pour la physique que pour la représentation du monde. Il développe ces idées et les fait connaître du grand public dans son Cours de philosophie expérimentale. Cette philosophie naturaliste inspire fortement les Constitutions d’Anderson des francs-maçons
Dès ses débuts, la Franc-maçonnerie spéculative reprend les idées newtoniennes. On peut lire dans le livre de Willam Preston Illustrations of Masonry (1781) les instructions du deuxième grade au rituel anglais : «C’est la contemplation de la nature et l’observation de la beauté de ses proportions qui a incité l’homme à imiter le plan divin et à étudier l’ordre et la symétrie. Ainsi naquirent la vie en société et tous les arts utiles.»
La religion catholique à laquelle se réfère Anderson désigne, au sens étymologique, la religion universelle.
L’influence de la Royal Society, à laquelle appartenait Isaac Newton, est incontestable dans les prémices de la maçonnerie spéculative : « Il faut accueillir librement des hommes de religion, pays et professions de vie différents (…). Parce qu’ils professent ouvertement, non de vouloir la fondation d’une philosophie anglaise, écossaise, irlandaise, papiste ou protestante, mais d’une philosophie de l’humanité.»
Voltaire fut un zélé propagandiste du newtonisme en France.
Au déisme de Newton qui regardait l’Univers comme un cryptogramme composé par le Tout-Puissant répond celui de Leibniz, pour qui Dieu agit en parfait géomètre, déterminant ainsi deux types de croyance. Avec Newton, les francs-maçons admettent l’existence d’un Être suprême, éternel, infini, intelligent, créateur, conservateur et souverain maître de l’univers qui préside à tous les mouvements et à tous les événements qui en résultent, mais qui restreint son action à simplement s’assurer du bon fonctionnement de l’univers, sans se préoccuper des affaires humaines. Ces déistes n’attendent donc aucune faveur de la Providence, et préfèrent s’abstenir de tout culte, quel qu’il soit. J’ajouterai la position de Spinoza qui écrivait : « Dieu n’est pas quelque planificateur qui se serait fixé un but et qui jugerait des choses selon la manière dont elles se conforment à ses intentions. Les choses ne sont qu’à cause de la Nature et de ses lois. La Nature n’a aucune fin prescrite … Tout dans la nature se produit avec une nécessité éternelle. Croire en autre chose c’est succomber aux mêmes superstitions qui résident au cœur des religions organisées. » La Maçonnerie des déistes aura en priorité pour mission de propager les idées philosophiques défendues par la Royal Society, notamment la tolérance, la philanthropie, l’entraide, la liberté religieuse, les libertés individuelles, le cosmopolitisme et le progrès des sciences au profit de la société. C’est ce que l’on appelle le courant maçonnique historique des Moderns.
Pour d’autres, comme avec Leibniz, un Être suprême, éternel, infini, et intelligent gouverne le monde avec ordre et sagesse, suivant dans sa conduite les règles immuables du vrai, de l’ordre et du bien moral, parce qu’il est la sagesse, la vérité, et la sainteté par essence. Les règles éternelles du bon ordre sont obligatoires pour tous les êtres raisonnables. L’Être suprême n’est pas indifférent, mais intervient directement dans son œuvre pour l’orienter vers le bien. Nous dirions qu’ils sont théistes. Les théistes pratiquent en priorité un travail spirituel individuel, dans le cadre d’une exploration personnelle du divin, pour être en mesure d’atteindre et de dépasser les niveaux et degrés successifs d’un perfectionnement intérieur, et paradoxalement commun à tous les êtres engagés sur ce même chemin de perfectionnement. C’est le courant maçonnique historique des Ancients.
Le courant déiste repose sur un grand principe créateur indéterminé et inconnaissable. Il n’y a ni Dieu nommé, ni prières. L’homme se dépasse par la transcendance.
Le courant théiste qui reconnaît la croyance en une intervention divine et qui recoupe le projet des trois grandes religions monothéistes. Le salut est recherché en faisant le bien, ceci constitue l’accomplissement personnel. C’est la base de la morale chrétienne et des anciens devoirs.
On peut ainsi mettre en évidence les courants maçonniques pour choisir sa Franc-maçonnerie. Lors de l’entrée dans la franc-maçonnerie, il est important de décider si l’on veut entrer dans une loge à caractère essentiellement déiste ou théiste, développant un humanisme spiritualiste, ou bien dans une loge cultivant l’humanisme qui perpétue l’esprit des Lumières, disons dans une loge a-dogmatique. Ce courant, souvent fortement impliqué dans la cité, situe sa réponse du comment dans l’unique raison humaine, chacun est libre de créer des liens dans le domaine de l’esprit pour son devenir après la mort. Ce qui compte c’est le progrès de l’humanité.
Voir l’article : 450.fm/2022/07/19/quapporte-la-pratique-du-vivre-ensemble-en-tenue-maconnique/ sur le journal
Dans tous les cas, la Franc-maçonnerie n’est pas une société parfaite ni une société de parfaits, c’est une école de perfectionnement. L’initiation n’est jamais qu’une traversée plus intense et plus étendue des possibilités de la raison. Comme l’écrit Kant en 1785, «par l’exercice conjoint de sa raison et de sa liberté, l’homme, et cet homme est celui des Lumières, sort de sa minorité, devient majeur, s’émancipe, il s’affranchit». Mais de quoi s’émancipe-t-il, de quoi s’affranchit-il ? Il s’affranchit des ténèbres, de la nuit, de l’obscurité, ce qui signifie pour l’homme du 18e siècle, de l’esprit dogmatique, du fanatisme sous toutes ses formes, mais aussi des sentiments et des passions, des préjugés et des préventions. Le véritable esprit d’examen consiste surtout à se dépouiller de la pensée qu’on tient la vérité. De ce perfectionnement, elle fournit les outils et elle en enseigne le mode d’emploi ; à chacun de nous, ensuite, de les mettre en œuvre, ce qui exige de la peine et du temps, de la patience, de la persévérance, du discernement, et beaucoup de constance. La Franc-maçonnerie n’est pas faite pour fabriquer des surhommes. Les héros, les saints, ce n’est pas son affaire. Son affaire, c’est de réaliser des hommes et des femmes authentiques, ou plutôt que nous nous réalisions nous-mêmes comme authentiques. Nous venons en loge pour travailler, sur nous-même et sur le monde, à la recherche de la connaissance de notre être intérieur et des mystères de l’Univers. La FM offre une connaissance par participation qui peut se faire “dans la complémentarité entre être une société humaniste et une société initiatique”.
Pour conclure je me permettrai de vous donner mon point de vue personnel.
Comme Michel Barrat dans son livre La conversion du regard, je dirai: « Si la maçonnerie moderne se tournait vers la question de la transcendance en oubliant sa tradition humaniste ou si, au contraire, au nom de son devoir de défendre l’humanisme, elle oubliait sa vocation spirituelle, l’authentique démarche maçonnique serait alors mutilée».
Pour ma part, je ne veux qu’être un franc-maçon libre dans une loge libre pour poursuivre cette expérience personnelle existentielle avec le doute fécond devant le mystère de la vie et de la mort, et l’esprit éveillé à tout ce qui n’est pas encore moi. Je suis sur la voie qui veut s’affirmer par elle-même, sans que rien ne lui soit imposé de l’extérieur, celle qui ne condamne pas le choix des autres, celle qui s’est même nourrie de la voie imposant le dogme de la croyance – définie à l’anglo-saxonne – comme de la voie opposée qui, elle, a rayé de ses constitutions la référence du Grand Architecte de l’Univers. Le chemin d’action, le chemin de la connaissance, le chemin de la méditation ou même celui de la dévotion, tous sont les moyens de mener au perfectionnement de soi. Aucun n’est inférieur ou supérieur. Je dois choisir le chemin qui s’entend avec ma nature pour élargir le réel. Je n’ai pas besoin de critiquer ceux qui empruntent d’autres chemins. Je préfère les ponts et les passerelles : ils ne cachent pas l’horizon, ils invitent à la rencontre. Cette voie consiste à rassembler ce qui est épars en en faisant la synthèse dans la tolérance, en laissant à chacun sa liberté de pensée dans un système composé d’éléments de différente nature mais reliés entre eux, et qu’il convient donc d’appréhender de façon globale et interdisciplinaire, en prenant en compte les interactions qui s’y jouent. Vous conviendrez avec moi que la FM soulève des problématiques relevant aussi bien de l’histoire (origines, emprunts culturels et invention d’une tradition propre, évolution des obédiences et des rites…), de l’anthropologie et de la sociologie (efficacité des mythes et des pratiques rituelles, modes de recrutement des futurs initiés, sociabilité fondée sur le secret, l’entre-soi et la fraternité…), que de la philosophie (schèmes de pensée ternaires invitant à un dépassement des oppositions dualistes, approche constructiviste de la réalité, quête d’une connaissance de type gnostique…) ; mais aussi de la psychologie (mécanismes psychologiques à l’œuvre dans le processus initiatique), de la sémiotique (production de signes verbaux et non-verbaux singuliers), des sciences de l’éducation (forme d’apprentissage reposant principalement sur une méthode inductive et un travail herméneutique).
Mon travail de cherchant solitaire n’est pas toujours facile. Je fonctionne en dehors des dogmes et des vérités révélées. Le moteur c’est le doute qui guide vers une recherche d’équilibre qui ne peut être que précaire. Cette recherche est perpétuelle. La mise à distance des questions qui peuvent diviser au lieu de rassembler, tout cela fait sens pour moi. C’est ce que nous devenons dans nos loges qui doit rayonner au dehors et non importer dans les loges, consciemment ou non, des attitudes ou des convictions figées au-dehors. Je fuis les certitudes qui sont sclérosantes et procurent un confort apparent qui nous confine dans l’illusion. C’est pourquoi je dirai que mon chemin d’initiation n’est jamais que la dévoration de mon ego par la clarté de nos flambeaux au profit d’un maître intérieur que j’essaye de faire vivre.
Voici les interrogations posées au Convent de 1785, par le fondateur du Rite de Philalèthe, Charles-Pierre-Paul Savalette de Langes, dans le but de discuter de nombreux points importants en rapport avec la Franc-maçonnerie qui pourraient encore nous inspirer.
Art. 1er. Quelle est la nature essentielle de la science maçonnique et quel est son caractère distinctif ?
Art. 2. Quelle époque et quelle origine peut-on lui attribuer raisonnablement ?
Art. 3. Quelles sociétés, ou quels corps ou individus peut-on croire l’avoir anciennement possédée, et quels sont les corps par lesquels elle a successivement passé pour se perpétuer jusqu’à nous ?
Art. 4. Quelles sociétés, quels corps ou individus peut-on croire en être, en ce moment, les vrais dépositaires !
Art. 5. La tradition qui l’а conservée est-elle orale ou écrite ?
Art. 6. La science maçonnique a-t-elle des rapports avec les sciences connues sous le nom de sciences occultes ou secrètes ?
Art. 7. Avec laquelle ou lesquelles de ces sciences a-t-elle le plus de rapports et quels sont ces rapports !
Art. 8. Quelle nature d’avantages doit-on attendre de la science maçonnique ?
Art. 9. Quel est celui des régimes actuels qui serait le meilleur à suivre, non comme coordination générale, mais comme le plus propre à faire faire aux disciples zélés et laborieux de prompts et utiles progrès dans la vraie science maçonnique !
[1] Les principales sources identifiables qui ont fait évoluer le Rite écossais ancien et accepté sont bien connues : La tradition du corporatisme des marchands médiévaux, celle du compagnonnage des tailleurs de pierre écossais et la piste chevaleresque : templière, en 1314, à Kilwinning et teutonique, avec Frédéric II de Prusse, qui signe les Grandes Constitutions du REAA en 1786. Chacune de ces sources lui ont apporté ses traditions qui ont fusionnées en un même syncrétisme :
- La tradition hermétique issue des anciens égyptiens et des arabes,
- Orphique et pythagoricienne, héritage de la période hellénistique,
- Kabbaliste avec l’apport hébraïque,
- Johannite gnostique avec le christianisme primitif.
- Le courant hermétique
[2] Bien qu’étant une innovation majeure, ce concept pour beaucoup fut une preuve de renoncement, voire de reniement ; la Grande Loge de Londres n’eut de ce fait pendant longtemps qu’une influence restreinte, sa juridiction étant limitée aux seules cités de Londres, de Westminster et à leurs banlieues. Pendant ce temps, la plupart des loges surtout en province, étaient réticentes à aliéner leur indépendance et elles continuaient à respecter les anciennes obligations du métier.
[3] Merci à Patrick Carré pour son article Newton et Leibniz, aux fondements de la pensée maçonnique
[4] σύστημα, sústêma, « συνίστημι, sunistēmi (établir avec).
Le REAA, le plus usité dans notre association comporte 33 degrés, métaphoriquement inspirés, dit-on, par les 33 vertèbres du corps humain. Un rite qui tient debout ! La colonne vertébrale de la franc-maçonnerie actuelle est précisément constituée d’un empilement d’évènements historiques et des idées philosophiques qui trouvent appui sur son “sacrum” qu’est le siècle des Lumières. Ce qui nous fait souvent commenter sans fin un passé révolu, à longueur de tenues et d’articles. C’est le copieux programme de réflexion que nous proposons au profane qui nous rejoint, pour son développement personnel. Tant que nous ne prolongerons pas la colonne vertébrale cet Art Royal que nous aimons par les vertèbres événementielles du 20ème et de ce 21ème siècle en marche, nous ne serons pas encore vraiment entrés dans cette modernité qui n’est pas à craindre mais à comprendre. Le déterminisme de Spinoza est forclos depuis Auschwitz. “L’amor fati” de Nietzsche reste une croyance pour les fatalistes. Le progrès moral ne vient pas avec le progrès matériel, n’en déplaise à Kant. Certes, les “écarts ” de ces penseurs n’empêchent pas leur génie mais nous avons changé d’époque. Michel Serres, Luc Ferry, André Comte-Sponville, Michel Onfray, entre autres philosophiques contemporains ont une “parole neuve” à considérer. C’est leur liberté de pensée, justement, que viennent aussi chercher, avec la spiritualité maçonnique, lesdits profanes qui frappent à la porte du Temple. A nous de jouer, frères et soeurs, à nos places et nos offices, munis des outils de notre temps, dans notre mission de transmetteurs! Gilbert Garibal
Merci pour ce texte intéressant et riche de références.
Un peu à la manière de Barrat, cité dans le texte, j’ai toutefois du mal à distinguer l’opposition entre “[une FM prônant] liberté, égalité fraternité [qui] entend participer activement à la construction de la société idéale” et une seconde ayant “pour devise sagesse, force, beauté et [préférant] travailler à la construction du Temple de l’Humanité à partir de la construction du temple intérieur par la maîtrise de l’ego”.
Travailler sur soi et sur la sagesse sans en faire quelque chose dans la cité, à quoi bon ?
Œuvrer dans la cité sans travailler sur soi et la sagesse, à quoi bon ?
Mon analyse, à la lecture de ce texte, est que l’on a encore du mal à voir la FM comme un organisme vivant, évolutif, progressif. “Croire en dieu” ne signifie pas, en 2023, la même chose qu’en 1720.
L’auteur conclut : “je suis sur la voie qui veut s’affirmer par elle-même, sans que rien ne lui soit imposé de l’extérieur”. Hum. Je suis sur la voie qui accepte de se voir imposer l’histoire, l’état des connaissances scientifiques (y compris en sciences humaines), bref le réel.
Il ne s’agit pas de s’affranchir du réel, comment le pourrais-je! Il s’agit de la liberté de conscience et de pensée
Oui, tout ça c’est bien beau, je dirais surtout pas très simple à percevoir pour un profane. C’est un fait, que je ne suis pas “tombé” sur une Loge de courant déiste à mon Initiation. J’aurais été déçu, j’aurais “peut-être” démissionné, ce n’est vraiment pas mon approche. Je n’ai rien contre la religion, mais je considère que les églises sont faite pour ça. C’est un fait que l’on peut changer de Loge, mais “normalement”, on ne devrait le faire qu’une fois Maître.
En conclusion, pas facile pour un profane pour si retrouver.
Cet article est particulièrement éclairant. Simple, rassemblant l essentiel et “ouvrant “ les chemins
Merci
“Lors de l’entrée dans la franc-maçonnerie, il est important de décider si l’on veut entrer dans une loge à caractère essentiellement déiste ou théiste, développant un humanisme spiritualiste, ou bien dans une loge cultivant l’humanisme qui perpétue l’esprit des Lumières, disons dans une loge a-dogmatique.”
Et puis… il y a le RER 🙂