Il y a fort à parier que vous n’avez jamais entendu parler de kintsugi ?
On pourrait traduire kintsugi par « jointure en or », appelé aussi kintsukuroi « réparation en or ». Il s’agit d’une méthode japonaise de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or.
Vous l’aurez compris, certains travaillent à tailler une pierre symbolique ou réelle et d’autres à la réparation de leur bol avec de la poudre d’or. Le parallèle mérite qu’on s’y intéresse.
Le kintsugi serait apparu lorsque, à la fin du xve siècle, le shogun Ashikaga Yoshimasa a renvoyé en Chine un bol de thé chinois endommagé pour le faire réparer. Le bol étant revenu réparé avec de vilaines agrafes métalliques, les artisans japonais auraient cherché un moyen de réparation plus esthétique. Cela relève d’une philosophie qui prend en compte le passé de l’objet, son histoire et donc les accidents éventuels qu’il a pu connaître. La casse d’une céramique ne signifie plus sa fin ou sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle et une continuité dans son utilisation. Il ne s’agit donc pas de cacher les réparations, mais de mettre celles-ci en avant.
Les collectionneurs se sont épris de cet art nouveau au point que certains ont été accusés d’avoir délibérément cassé de précieuses poteries afin qu’elles puissent être réparées avec les coutures d’or du kintsugi. Le kintsugi est étroitement associé aux ustensiles en céramique employés pour la cérémonie japonaise du thé.
L’art du kintsugi est souvent utilisé comme symbole et métaphore de la résilience en psychologie
Le kintsugi s’inscrit dans la pensée japonaise du wabi-sabi qui invite à reconnaître la beauté qui réside dans les choses simples, imparfaites et atypiques. Wabi-sabi est une expression japonaise désignant un concept esthétique, ou une disposition spirituelle, dérivé de principes bouddhistes zen, ainsi que du taoïsme.
Le wabi-sabi relie deux principes : wabi (solitude, simplicité, mélancolie, nature, tristesse, dissymétrie…) et sabi (l’altération par le temps, la décrépitude des choses vieillissantes, la patine des objets, le goût pour les choses vieillies, pour la salissure, etc.). Le wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels, et le sabi, la sensation face aux choses dans lesquelles on peut déceler le travail du temps ou des hommes1. Le caractère sabi est ainsi gravé sur la tombe de l’écrivain Junichirō Tanizaki (1886-1965), dans le temple Hōnen-in (dédié au moine Hōnen), à Kyoto.
Les principes de wabi et de sabi sont anciens. On les rencontre dès le xve siècle dans la littérature japonaise, joints à un troisième principe, celui de yojō, « écho sentimental ».
Une illustration du wabi-sabi : le culte esthétique pour les pierres (jardin sec), ou le travail des bonsaï. Cette éthique apparaît au xiie siècle ; elle prône le retour à une simplicité, une sobriété paisible pouvant influencer positivement l’existence, où l’on peut reconnaître et ressentir la beauté des choses imparfaites, éphémères et modestes.