Une nouvelle mode vient de voir le jour, après la chasse aux sorcières, nous cultivons désormais la chasse aux artistes maudits.
Nous avons eu Céline pour ses prises de positions antisémites, Mickael Jackson pour des accusations de pédophilie, Woody Allen pour des abus sexuels, et ces derniers jours… Alain Delon pour des accusations de racisme, homophobie et misogynie.
Mon propos ne sera pas de juger du bien fondé de ces accusations. J’imagine que les victimes ont toutes des preuves suffisantes pour justifier leurs griefs. Ma réflexion va plutôt sur la confusion qui existe entre l’œuvre artistique des accusés et leur personnalité propre.
Lorsqu’on assiste au déréférencement littéraire d’un Céline, à la déprogrammation des radios d’un Mickael Jackson ou au rejet du projet de film d’un Woody Allen, je me demande à quel moment Monsieur Klein ou La Piscine vont ils être bannis de la cinémathèque Française ?
Sommes-nous devenus fous ou idiots ?
Depuis quand une œuvre artistique sert-elle de bouc émissaire à la vindicte populaire ? Pourquoi ne pas emprisonner Lucette Destouches, la veuve de Céline âgées aujourd’hui de 106 ans pour expier les péchés de son défunt époux ? Elle n’est certes pas responsable des écrits de feu son mari, car elle n’est pas sa création me direz-vous. Soit, mais dans cas, devons nous accuser Paris-Michael Katherine Jackson, Prince Michael Jackson II et Michael Joseph Jackson Jr d’être coupables des méfaits de leur père ?
C’est pourtant ce qu’on reproche actuellement aux œuvres des artistes précités. A quand une cérémonie rituelle avec autodafé en prime pour purifier les exactions des coupables ?
Soyons un peu sérieux quelques minutes. Posons d’abord la bonne question : « La moralité d’un être, ou ses actions passés, sont-elles liées à sa création artistique ? » La réponse est non ! Pour une raison simple, la création n’appartient plus à son auteur lorsque le public s’en empare. Demandez aux 2 survivants des Beatles ce qu’ils en pensent ? Il y a longtemps que le catalogue des 4 garçons dans le vent a été revendu (à un certain Mickael Jackson durant quelques années). Ils savent donc bien qu’ils n’en sont pas les propriétaires.
Franchement, de vous à moi, vous apprendriez que Leonard de Vinci était pédophile, cela enlaidirait-elle la Joconde ? Nous savons maintenant que Voltaire était misogyne, homophobe, antijuif, islamophobe[1]… est-ce que cela retire du génie à Candide ou a Zadig ? Devons-nous cesser d’écouter Richard Wagner ou Carl Orff sous prétexte qu’Adolph Hitler en était fan et que Wagner à peut-être influencé le IIIème Reich[2] ?
Notre soif de vengeance nous amène à faire des amalgames et à jeter le bébé et l’eau du bain. L’œuvre n’est pas l’artiste et l’humain ne peut pas être réduit à ce qu’il fait ou ce qu’il dit durant une période de sa vie. Notre époque à la fâcheuse habitude de résumer un individu à ce qu’il possède, ce qu’il réalise ou à ce qu’il pense. Il est urgent d’élargir notre horizon pour redéfinir l’humain dans tous ses potentiels et toutes ses facettes. Je ne parle aucunement de dédouaner les coupables de leurs responsabilités. Je tiens à souligner et séparer le caractère complexe de l’humain et le sacré des œuvres artistiques produites par ce dernier.
Cela nous amène à l’expérience du 12 Janvier 2007, menée par le Washington Post dans le hall d’une station de métro à Washington[3]. Le violoniste Joshua Bell, muni de son Stradivarius, d’une valeur de 3,5 millions de dollars, joua 6 morceaux devant les passants durant 43 minutes. Au total, 1087 personnes passèrent, seules 7 restèrent quelques instants à écouter. Il reçu 32 dollars (dont 20 dollars laissés par la seule personne l’ayant reconnu). Trois jours plus tôt il jouait à Boston dans une salle pleine et chaque spectateur avait payé 100 $ sa place. Cette expérience attire notre attention sur la conclusion qui en fut tirée : « Dans un environnement ordinaire, à une heure inappropriée, sommes-nous capables de percevoir la beauté, de nous arrêter pour l’apprécier, de reconnaître le talent dans un contexte inattendu ? »
Nous sommes devenus tellement influencés par le conformisme qu’il nous est devenu impossible de scinder l’œuvre de son auteur situé dans son contexte. Le flot des émotions collectives nous fait perdre notre bon sens en fustigeant nos héros d’hier au nom des fluctuations de la morale et de la bien-pensance. Comme l’a si bien dit Jiddu Krishnamurti : « Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société profondément malade. » Notre souci actuel vient peut-être du fait que nous voulons à tous prix devenir conformes à cette société dysfonctionnante, croyant ainsi trouver une planche de salut à cette accélération incontrôlée et effrayante par la privation des repères.
Parlons des solutions possibles : Aucun d’entre-nous n’est en mesure de maîtriser la situation extérieure. Nous ne pouvons pas ralentir le rythme de la société ou modérer l’influence du Dieu argent. Par conséquent, il convient de transformer les variables d’environnement en variables de choix. Pour cela, il est utile de s’accorder des temps de déconnexion de la société pour se retrouver et s’enraciner dans les fondements de sa conscience. La méthode est gratuite et simple, mais elle passe nécessairement par une étape de sevrage. Tout d’abord, il est urgent de réapprendre à respirer, à manger et à boire sainement… et surtout à s’accorder des moments intimes et salutaires d’introspection. C’est par la recréation d’un espace intime et personnel que nous pouvons réapprendre à penser par nous même. Le bon sens pourra alors reprendre ses droits. La religion nous a longtemps enseigné ce qui était le bien et le mal. Tout cela n’est que prêt-à-penser. Il convient maintenant de réapprendre ce qui est juste et injuste pour nous même, pour les autres et pour la terre qui nous héberge actuellement. Ce sera le prix à payer si l’humain ne veut pas sombrer dans une prochaine folie collective et destructrice.
Bonne route (intérieure) à vous
Franck Fouqueray
[1] www.lepoint.fr/livres/la-face-cachee-de-voltaire-02-08-2012-1494397_37.php
[2] www.musiques-interdites.fr/le-festival-musiques-interdites/les-temoignages/article/richard-wagner-adolf-hitler-et-le-3eme-reich
[3] www.jobhunting.fr/2012/03/lexperience-du-violoniste-joshua-bell.html