J’étais en Loge hier soir et nous avons évoqué l’intelligence artificielle et ces fameux algorithmes avec lesquels on nous rebat les oreilles depuis l’invention du Smartphone (voire avant, avec la fondation du data mining). Il est vrai que les progrès observés sont dignes des meilleurs romans de science-fiction ou des pires dystopies : il existe des programmes informatiques capables de reconnaître un visage, d’autres pouvant procéder à des transactions financières ultra-rapides, d’autres encore capables d’identifier des problèmes de santé ou de détecter des tumeurs. Il existe aussi une multitude d’objets connectés nous donnant des pouvoirs magiques : il suffit d’une formule et l’objet connecté va chronométrer le temps d’infusion de ma théière, allumer la lumière dans le jardin ou le couloir, ou encore envoyer les instructions à ma femme de ménage. Preuve que ces charmantes machines sont créées par des américains, elles ne répondent pas quand on est grossier (ce qui peut s’avérer compliqué quand on émaille sa conversation de citations de Michel Audiard, mille sabords).
Néanmoins, comme j’aime bien lever le voile sur le monde qui m’entoure pour mieux avancer dans la Lumière, je me suis renseigné sur la question avec le plaisir que l’on peut éprouver en replongeant dans ses années d’études supérieures.
« Au commencement était le Verbe ». Dans le domaine du développement informatique, rien n’est aussi vrai. En fait, un ordinateur ou un robot, aussi perfectionnés fussent-ils ne sont que des automates programmables, dont le nombre d’actions possibles est par définition limité. Le métier du programmeur sera d’ordonner ces actions afin d’obtenir un résultat, en utilisant le langage de la machine, qui se résume à des structures logiques et une liste d’actions. Évidemment, la complexité de la machine, de la tâche à exécuter et celle de l’environnement requièrent un savoir-faire technique assez élevé, qui reste réservé à une élite. Bon, l’élite a désormais le look mal rasé, mal habillé, parfois mal lavé, mais il paraît que c’est dans l’air du temps… Toujours est-il qu’aussi perfectionné et complexe qu’il puisse être, un programme n’est jamais qu’une création humaine et à ce titre, inclura toujours une émanation de la pensée de ses créateurs. Ainsi, un programme en FORTRAN créé pour résoudre une équation sera codé différemment selon ses développeurs. Une intelligence artificielle n’est au final qu’un programme informatique, certes très complexe.
Je fais un petit aparté sur le big data. Il s’agit des données que nous laissons sur une myriade de serveurs, parfois malgré nous via notre mode de vie ultra connecté. Ne le nions pas, ce volume est énorme. Le fort des intelligences artificielles est de travailler sur ces données et d’en extraire des informations, qui vont être interprétées en probabilités. Ainsi, du point de vue du système (si tant est que le système ait un point de vue), si on achète des disques de Metallica, Slayer ou Megadeth, il est plus probable qu’il soit intéressé par des albums d’Anthrax ou d’Iron Maiden que des œuvres de Michel Sardou ou Annie Cordy. Cela se traduira par des suggestions de choix proposées par le site au client final. On utilise pour cela une technique bien connue des mathématiciens : l’inférence statistique. La différence est que les échantillons utilisés par les développeurs de systèmes sont d’une taille titanesque, ce qui donne une très grande précision à la mesure de probabilité. Le vrai danger est d’interpréter ces probabilités comme des certitudes. La machine ne donnera que des indicateurs, souvent fiables, mais la responsabilité de la décision doit revenir à l’homme, sous peine d’être débordé par sa création, comme Victor Frankenstein l’est par sa créature.
En fait, le vrai danger des IA n’est pas l’IA, justement, mais notre paresse, qui nous empêche de faire face à notre responsabilité. Ces machines produisent des résultats vraisemblables, mais la vraisemblance (donc ce qui est semblable au vrai) n’est pas forcément la vérité. A nous de savoir interpréter les résultats de calculs d’une IA, en gardant ce point à l’esprit. Tout un travail de vigilance, en fait. Ce qui ne doit pas nous empêcher de garder une vigilance sur le travail, une révolution étant possible grâce à l’automatisation massive. Fera-t-elle disparaître les bullshit jobs ? Je ne sais pas. Permettra-t-elle de nous libérer de la nécessité du travail ? Je ne sais pas non plus. Mais il y aura des choix à faire, notamment celui de la société dans laquelle nous voudrons vivre. Mais c’est une autre histoire.
Le système peut-il avoir un point de vue et peut-il produire du sens ? Honnêtement, je ne le crois pas. Une expérience avait été tentée en 2016 : un système d’intelligence artificielle a rédigé après avoir analysé des centaines de scénarii le script d’un court-métrage. Le script a été monté et réalisé. Il est intitulé Sunspring et peut être visionné sur les réseaux appropriés. Les dialogues et les images n’ont strictement aucun sens, ni aucune cohérence. Même les derniers Star Wars ou Avengers étaient plus cohérents ! Sunspring ressemble à un rêve, qui n’aurait aucun sens. Or la création de sens est une caractéristique de l’être humain. Dans la même idée, une exposition s’est tenue récemment au Grand Palais, qui mettait en scène des créations réalisées par des robots. J’ai pu ainsi admirer des robots qui reproduisaient les gestes de dessinateurs. Néanmoins, les œuvres exposées étaient-elles des créations artistiques ? Je ne le pense pas. En fait, on tend à l’oublier, mais la création, et plus largement l’intelligence sont en rapport avec l’expérience du corps, voire de la chair. C’est ce qu’ Iung appelle la synchronisation : une rencontre avec un symbole, un sentiment de grande clarté, et l’expérience du corps, qui parfois sait quelle est la meilleure solution d’un problème quand une machine va tester toutes les configurations. L’intelligence se bâtit en partie avec l’expérience et le vécu et est la résultante d’un ensemble de rencontres complexe entre lucidité, intuition, expérience du corps, sentiments, disponibilité etc.
La machine ne sera jamais qu’un pâle reflet de l’intelligence de ses créateurs. Reste à ce que la machine ne s’emballe pas et ne détruise pas lesdits créateurs, comme on peut le voir ou le lire dans la fiction. A ce propos, dans les contes anciens de Praguei, on trouve le célèbre Golem, création du légendaire rabbi Yehoudah Levaï (que l’histoire a baptisé le Maharal). Cette création de l’homme s’activait grâce au mot hébreu gravé sur son front EMETH (אמת) signifiant vérité, et pouvait être désactivée en effaçant l’Aleph, ce qui donnait alors METH (אמ), qui signifie mort. Au commencement était le Verbe ? Reste à savoir si nous aurons, comme le Maharal de Prague, la sagesse d’équiper nos IA d’un bouton On/Off…
En fin de compte, ces fameuses IA qui n’ont de pouvoir que celui que nous voulons bien leur donner ne sont jamais que des équerres. Comme cet outil, elles ne peuvent donner qu’une réponse fermée, qui se résume à VRAI ou FAUX (ou en termes maçonniques, BLANC ou NOIR). L’esprit humain est capable de nuance, de subtilité ou d’adaptation, ce qui témoigne de son ouverture. On peut ainsi le voir comme un compas. Notons qu’un compas bien utilisé peut faire office d’équerre. J’emploie à dessein ces outils de géomètre, très importants pour nous autres Francs-maçons. L’équerre représente traditionnellement la matière et le compas l’esprit. Reste à savoir comment nous voulons disposer équerre et compas face aux intelligences artificielles, et qui de l’esprit ou de la matière dominera.
Sur ce, je vais revisionner la série des Frankenstein de Robert Whale, moi.
J’ai dit.
i On pourra se reporter au Cabaliste de Prague, de Marek Halter ou au Golem d’Elie Wiesel.
grosse faute d’orthographe dans le texte : excuses +++
Mon très cher frère, tu te rassures et je suppose que tu veux aussi nous rassurer, en présentant l’esprit humain comme étant, en définitive, le “donneur d’ordre” de l’IA. C’est vrai aujourd’hui mais quand sera-t-il demain ? Si on admet que l’ordre est une fonction régit par un besoin, rien n’interdit qu’un robot soit programmé pour prendre conscience de ses besoins et se mettre à fonctionner pour trouver la solution à leurs résolutions. Par contre, il y a actuellement deux autres limites à l’IA. Par rapport aux robots actuels, la matière vivante a deux originalités : d’une part la capacité de puiser dans son environnement ce qui est nécessaire à son fonctionnement et d’autre part assurer sa reproduction qui lui donne une pérennité. Le jour où le système permettra aux robots d’acquérir une autonomie de fonctionnement et une capacité de reproduction, l’IA n’aura plus besoin de son “tuteur” !
ps : Tu sais sûrement que le personnage de Frankenstein inventeur de cette créature surnaturelle n’est autre qu’un FM, François-Félix Nogaret, VM d’une loge parisienne qui le crée en 1790 dans un conte. Marie Shelly s’en inspira pour créer son best seller mais l’inspiration peut être considérée comme maçonnique.