sam 23 novembre 2024 - 12:11

Fiction : Wolfgang Amadeus MOZART, le frère retrouvé

Janvier 1791. 5, Domgasse, à Vienne. Une petite maison ocre – trois niveaux et fenêtres étroites – blottie entre deux bâtisses plus hautes. En y pénétrant, j’entends les joyeuses cloches de la cathédrale Saint-Etienne, toute proche. Je fais une entrée sonorisée dans la demeure de Wolfgang Amadeus Mozart ! Je toque au premier étage où il vit avec Constance. C’est elle qui m’ouvre, tout sourire : Une femme distinguée, brune et bouclée, regard perçant, corsage crème à guipures et jupe longue bordeaux. Elle me guide vers un grand salon où m’attend le maître, assis devant son clavecin et penché sur un papier à musique. Il se lève prestement et vient vers moi, plume d’oie en main, joyeux, comme son épouse. Petit, mince, teint très pâle, une épaisse chevelure blonde poudrée et tuyautée sur les côtés, des yeux bleus immenses, mobiles, rieurs. Un nez légèrement bosselé. Tunique lilas, chemise de lin dentelée, manchettes assorties sur de longues mains, bas de soie blanche, chaussures vernies noires à boucles : en m’asseyant à son invitation sur le divan de velours rouge, où il prend également place, à contre-jour, les jambes croisées, je suis impressionné, à vrai dire, charmé. A la fois par cet homme à l’élégance raffinée et l’enfant turbulent que je devine en lui !

L’HOMME

Wolfgang Amadeus Mozart – Nous pouvons nous tutoyer puisque nous sommes frères ! Tu viens me voir au titre de la revue maçonnique « 450.fm », n’est-ce pas ? Une très bonne revue !

Le Rire de mon hôte résonne en cascades dans la pièce à haut plafond. Il est aussi puissant que la voix est douce, le français presque sans accent, la gestuelle bienveillante. Pas d’attitude supérieure, l’égalité par le tutoiement, un ton humoristique qui met à l’aise. Je me détends.

GG- Que représente la musique pour toi ?

W.A.M. – La vie, mon cher frère, la vie ! Mon père me l’a apprise pour ainsi dire à ma naissance ! Le premier air que j’ai respiré le 27 janvier 1756 en venant au monde …c’est l’air de musique ! (Rire). Il me l’a fait percevoir, là où les autres petits enfants n’entendaient que du bruit ! En me jouant du violon, puisqu’il est l’auteur d’une méthode d’enseignement de cet instrument. Les notes de solfège sont vite devenues des mots pour moi. A 3 ans, avant même de savoir lire et compter ! Et depuis je les assemble instinctivement, elles deviennent des phrases. La musique, c’est une écriture qui chante. Et qui danse ! Je compense avec elle puisque ne suis pas poète, ni peintre, ni danseur, dommage : Voilà, je suis musicien, comme mon père. C’est mon destin, sans doute, mon bonheur, c’est sûr !

GG Tu as maintenant 34 ans, et déjà derrière toi un nombre de compositions impressionnant, dont tes œuvres enfantines : un concerto à 5 ans (menuet KV2, 4 et 5, Allegro kv3) une symphonie à 7 ans (K 16 en si bémol majeur) et un opéra à 12 ans (Bastien et Bastienne) ! …Et près de 650 œuvres à ce jour ! Comment expliques-tu cette puissance de travail ? Si je puis me permettre, quel est ton secret ?

W.A.M – …Oui, en termes de temps, c’est vrai, j’ai composé quelque 200 heures de musique ! Une symphonie me demande généralement une semaine et un opéra trois semaines ! J’ai la chance de travailler vite ! Une fois concentré sur mon sujet, comme un écrivain qui voit défiler des mots je suppose, moi j’entends la mélodie dans ma tête – c’est peut-être çà mon secret ! – elle se déroule et je la mets en notes…

GG – …Comme si tu étais sous dictée ?

W.A.M. -Va savoir, toujours est-il que c’est bien commode, je n’ai pas à retoucher, ni à raturer. En tout cas, j’ai toujours près de moi un papier à musique, une plume et un encrier, pour écRire ce que j’entends ! Je pourrais m’en passer, j’ai le privilège d’avoir l’oreille absolue et une excellente mémoire pour retranscRire. Mais ce matériel, je l’emporte partout, c’est une « habitude sacrée » ! Je crois en Dieu, je le prie chaque jour, je suppose qu’il m’aide ! Je ne m’appelle pas Amadeus (Qui aime Dieu, aimé de Dieu) pour rien !

GG Tu parles un Français admirable, mais aussi, je crois, l’Italien, l’Allemand, l’Anglais. Et je vois, près de ton clavecin, un clavicorde et un violon ! Tu es un excellent instrumentiste reconnu ! Qu’est-ce que tu ne sais pas faire ?

W.A.M – Je te l’ai dit, je ne sais pas danser, en tout cas mal, et je le regrette, notamment quand je suis invité à la cour, ça m’arrive, et dans les soirées bourgeoises ! En dehors des notes de musique, je ne sais pas non plus bien écRire les langues européennes. Mais j’ai appris à les parler pendant mes longs voyages en diligences d’abord avec ma mère, ensuite avec ma sœur, puis dans les salons et les palais des grandes villes ! Mon oreille musicale m’a beaucoup servi pour les pratiquer ! Quant aux instruments, je dois leur apprentissage à mon père. Il ne concevait pas l’écriture musicale sans un report immédiat sur un instrument. Comme il me manque ! Léopold ! Tu sais que mon père était aussi mon frère, je l’ai fait entrer dans ma loge, il y a cinq ans. Son initiation l’a bouleversé ! Et moi avec, ce soir-là ! Il n’aura été maçon que quelques mois. Il est mort en 1787.

GG Oui, malheureusement. Avant de parler de maçonnerie, je voudrais revenir sur ton enfance. Quels souvenirs en as-tu ? Qu’en as-tu gardé ?

W.A.M. – Ma sœur Nanerl me dit souvent en plaisantant que je suis resté un enfant ! Je pense que c’est vrai ! Il habite en moi et je le cajole ! Je ne serais pas créatif et persévérant sans lui ! D’ailleurs, tu le vois, je n’ai pas beaucoup grandi physiquement, un mètre cinquante-deux, c’est un signe visible… !

Les souvenirs de mon enfance ? D’abord la pédagogie rigoureuse de mon père pour m’inculquer le solfège et le goût des instruments en même temps. Et il a bien fait ! Ensuite, à l’opposé, la douceur et la prévenance de ma mère. Pour me soutenir et sans jamais me contrarier, en quoi que soit. La pauvre a trouvé la mort à Paris, bien trop tôt, suite à un refroidissement, contracté à côté de moi sur les routes.

Ces routes cahotantes, j’y ai passé ma vie, de 7 à 34 ans, mon âge aujourd’hui. Cela veut dire des milliers de kilomètres dans une vieille calèche de location, le clavecin sur le toit. J’ai fait le compte : 65 villes lors de mon premier tour d’Europe, 60 en Italie, ma véritable patrie musicale, 25 en France, dont Paris que je n’aime pas trop et encore 25 dans le nord de l’Europe. Tel que tu me vois, j’arrive de Hollande. 175 villes en 27 ans, pour un homme de « petite santé », à cause de mes rhumes, c’est tout de même pas mal, non ? Bref, l’Europe, c’est ma grande salle de concert !

 Je sais ce qu’on me reproche : trop ludique, egocentrique, « m’as-tu-vu », et scatologique même, mais ces défauts soi-disant infantiles, m’amusent, me défoulent, me fortifient en fait ! Je les entretiens car ils stimulent ma pensée et ma créativité ! N’oublie pas que la musique passe par le corps ! Or, que nous sommes-nous avant tout, sinon des tubes digestifs ? Même nos émotions proviennent, jaillissent du corps, peur, colère, tristesse, joie. Je les ressens très bien au bout de mes doigts, en composant mes concertos pour piano. C’est parce que j’ai gardé cette sensibilité enfantine, que je suis capable, dit-on, de créer une « musique qui parle à l’âme ». Il m’arrive d’être en larmes ou empli de joie devant mon clavecin : je sais alors que mes notes s’aiment et se sont bien mariées entre elles !

J’ai gardé de l’enfance l’espièglerie, sans doute. Ma vie serait vraiment triste, si j’avais perdu le goût du jeu, de la provocation pour retenir l’attention ! Mais de l’enfant, l’adolescent puis l’adulte ! J’ai beaucoup appris, d’années en années, de concerts en concerts ! Etre reçu, compris par des milliers de personnes, échanger avec elles à travers la musique, c’est très formateur ! Voilà sans doute pourquoi j’ai parcouru l’Europe, pendant tout ce temps, comme aucun de mes collègues musiciens ne l’a fait.

Au vrai, ce n’est pas l’argent qui m’a motivé – j’aime en avoir et le dépenser certes ! – mais ce qui m’a poussé en avant, c’est une soif du partage, une curiosité sans limites pour les êtres et les choses ! J’ai aussi une grande appétence pour tous les genres musicaux et Dieu sait si j’en ai rencontré au cours de mes voyages ! Bref, ce qui m’actionne, oui, c’est l’amour de mon art et l’amour des autres ! Et puis, je l’avoue, bien sûr j’ai besoin aussi d’être aimé, très aimé ! Les applaudissements d’une salle, cette réponse à ma musique, c’est un langage universel qui atteint tous mes sens. Il ne demande pas de traduction ! C’est un élixir qui coule aussitôt dans mes veines et me donne une énergie fantastique !

GG En fait, la rencontre est très importante pour toi !

W.AM. – Essentielle ! Avec le public, je viens de t’en parler. Avec aussi mes collègues ! Joseph HAYDN est le plus cher à mon cœur, je l’ai fait entrer en maçonnerie la même année que mon père, en 1785. Je suis très proche également de Jean-Sébastien BACH et de Georges-Frédéric HAENDEL. Ce sont eux, je dois le dire, qui m’ont vraiment libéré de la tutelle de ce père, que j’adorais pourtant ! Et c’est bien cette liberté qui m’a permis de rencontrer et d’épouser mon adorable Constance, que tu as vue tout à l’heure ! La famille WEBER n’était pas trop d’accord pour ce mariage avec un saltimbanque ! Nous nous sommes mariés tout de même, juste après le succès de mon opéra, L’enlèvement au sérail ! Un titre prémonitoire ! (Rire)

GG Ton épouse, précisément, n’a pas trop souffert de tes éloignements professionnels ?

W.A.M. – Nous avons eu 6 enfants, je reviens tout de même souvent ! (Rire, puis ton grave). Malheureusement, nous en avons perdu 4 de maladies ! Il nous reste nos fils bien aimés Carl Thomas et Franz Xavier, que Constance a parfaitement élevés ! J’ai cette chance d’avoir cette épouse aimante, attentionnée, qui tient très bien sa maison, comme tu peux le voir ! Je lui ai écrit presque chaque jour, pendant mes longs déplacements. Elle pourrait te le dire elle-même, mais elle est réservée, elle se retire toujours lors de mes entretiens ici. Bien sûr, c’est inévitable, on a dit qu’elle était volage et dépensière en mon absence, comme on a dit que j’avais des maîtresses dans chaque ville ! J’ai l’habitude des critiques et des louanges : je suis le « grossier pétomane » des uns et le « divin Mozart » des autres ! En attendant, Constance et moi sommes très attachés l’un à l’autre. Elle prend soin de moi de façon admirable, pour je compose dans l’équanimité. Elle est mon élément stabilisateur ! Pour ma part, je veille à ce qu’elle ne manque de rien et vive dans le confort. Nous sommes ensemble depuis huit ans. L’amour se mesure à sa…constance ! (Rire)

LE COMPOSITEUR

GG J’observe, pendant que nous parlons, que tu bats la mesure avec tes pieds, et tes mains pianotent sur le velours du divan ! Tu es toujours en train de jouer de la musique, dis-moi ?

W.A.M. – Mon frère, sache que je ne joue pas, je compose ! (Rire). Je peux très bien converser avec toi, sans perdre le fil, et aligner des notes dans ma tête ! Pour ne rien te cacher, je travaille sur un opéra en ce moment. Après les Noces de Figaro (1786) et Don Giovanni (1787), je profite d’être à Vienne pour sortir cette année mon Cosi fan tutte (1790). L’ensemble constituera ma Trilogie italienne, que je présente en collaboration avec le librettiste Lorenzo Da Ponte. J’ai deux autres projets ensuite…

GG – …Tu me démontres qu’à partir de ton merveilleux don musical, tant en composition qu’en interprétation, tu dois sans cesse composer !…

W.A.M. – …C’est-à-dire produire ! Sinon je m’ennuierais et serais oublié depuis longtemps ! La seule fois où, si je puis dire, je me suis relâché, j’ai traîné, c’est justement pour l’Ouverture de Don Giovanni ! Imagine l’événement : la veille de la première, je n’ai pas encore écrit une note ! Pas d’inspiration ! Mon entourage s’inquiète, davantage que moi encore ! Je décide de la composer pendant la nuit : je demande à Constance de me tenir éveillé…avec du punch, tout en me racontant des blagues ! Résultat, les blagues me font Rire et le punch m’ensommeillent ! Puis, je m’endors carrément sur ce divan, un peu éméché ! Heureusement Constance, très inquiète, me réveille à cinq heures du matin : j’ai mal à la tête, j’ouvre les yeux et, miracle… je vois les notes qui défilent, qui s’accordent, oui, qui s’aiment ! C’est gagné ! Trois heures plus tard, l’Ouverture de Don Giovanni est écrite !

PVI – Le verbe « aimer » jalonne ta vie. Tu aimes les gens, les notes qui s’aiment, tu aimes les opéras… et tu aimes l’Italie !

W.A.M. Oui, passionnément ! Je t’ai parlé de Jean-Sébastien Bach, tout à l’heure. Eh bien c’est grâce à lui, très tôt, que cette histoire italienne a commencé. D’abord il m’a appris toutes les subtilités du contrepoint et l’étude de ses fugues m’a véritablement transporté et mis à l’écoute de « la musique du sud », si je puis dire. J’avais besoin d’assouplir la mienne, tout en gardant sa rigueur ! Et c’est son fils, Jean-Chrétien BACH qui m’a ouvert à la légèreté, à la fluidité même des opéras italiens.

En 1770, j’ai entendu à Rome le fameux « Miserere d’Allegri », une œuvre interdite de reproduction, sous peine d’excommunication papale. Subjugué, j’ai recopié cette œuvre à 8 voix de mémoire, le soir même de mon écoute. Elle est réputée non copiable par simpleécoute ! J’ai bien sûr été accusé de l’avoir volée ! Du coup par défi – à 15 ans, je voulais déjà me comparer ! – j’ai présenté ma version à Londres, en 1771, avec des improvisations en contrepoint, cette technique apprise de Bach, et entouré d’interprètes « sopranos ». Le Pape a alors levé son interdiction !

 GG – La musique italienne me fait penser à Antonio Salieri. Et, dit-on, à sa jalousie à ton encontre…

W.A.M. Antonio Salieri est depuis 6 ans, compositeur de la cour d’Autriche et ses opéras, présentés à Milan, à Venise, à Rome et à Paris, n’ont rien à envier aux miens ! Cette jalousie est une fable entretenue ! Il a 28 ans, donc 6 ans de moins que moi et toute sa carrière musicale est devant lui. En vérité, je sais qu’Antonio m’estime, comme je l’estime ! En revanche, ce qui l’agace prodigieusement, il me l’a dit, c’est que je me laisse aller à la vulgarité ! Il est plutôt comme vous dites en France, « collet monté » et il ne supporte pas, ce qu’il appelle mes obscénités ! Je peux comprendre, nous n’avons pas le même humour ! Qu’il y ait une certaine rivalité, une concurrence entre nous, c’est normal, après tout nous faisons le même métier. En tant que « créateurs de musique », nous ne sommes que de simples fournisseurs et c’est donc à celui qui remportera les commandes ! En fait nous constituons la « domesticité musicale » de Vienne, une subordination qui, je l’avoue, m’insupporte maintenant, moi si amoureux de la liberté ! Là est certainement ma différence avec Antonio Salieri. Tu veux vraiment la preuve de son amitié pour moi ? C’est lui qui m’a donné le surnom d’Amadeus, lorsqu’il m’a entendu jouer pour la première fois en Italie. Il y a répandu que j’étais un génie, l’aimé de Dieu ! Moi, je vois dans cette démarche de l’amour, mon frère, bien plus de la jalousie !

GG Il faut bien que nous parlions de musique maçonnique ! Tu as composé à ce jour une dizaine d’œuvres, dites maçonniques…

W.A.M. … C’est exact ! On m’a même qualifié de « musicien-maçon » ! Mais il faut bien s’entendre sur le terme de « musique maçonnique ». Pour moi, répondent à ce terme, les œuvres spécifiques – donc véritablement maçonniques par leurs références aux rituels – que j’ai écrites pour les loges que je fréquente, et qui me les ont demandées. Dont la loge Zur Wolthatigkeit (La Bienfaisance) à Vienne, où j’ai été initié. Qu’il s’agisse de ponctuer ou d’accompagner entièrement des cérémonies rituelles. Mais ce n’est pas parce que, dans mes compositions, j’assemble des notes autour de 3 accords – par exemple des tonalités à 3 bémols (Mi bémol majeur, Do mineur) et à 3 dièses (La majeur, Fa dièse mineur) -…qu’il s’agit systématiquement de tonalités maçonniques ! Je ne suis pas obsédé par une valeur symbolique à attribuer aux triples tonalités ! Je sais aussi que certaines de mes compositions typiquement maçonniques…ont quitté les loges pour des milieux profanes. On m’a pris souvent mes accords, sans mon accord ! (Rire). D’où la généralisation qui a pu être faite avec ma musique, cataloguée complètement maçonnique. Ce qui est inexact !

Bref, j’insiste, il ne faut pas confondre composition maçonnique et inspiration maçonnique. Après La Clémence de Titus, mon opéra des Lumières – comme a dit un journaliste – j’ai donc deux projets en tête, deux commandes, au vrai. A livrer cette année même ! J’espère les mener à bien, car je commence à faiblir, après mes longs voyages ! La première commande est un singspiel en deux actes (une œuvre théâtrale chantée), précisément d’inspiration maçonnique, dont j’ai déjà le titre : Die Zoberflöte (littéralement, « la flûte qui enchante »). Le livret sera d’un frère de ma loge, Emmanuel SCHIKANEDER. Ce singspiel sera joué dès septembre prochain dans son petit théâtre en bois d’un faubourg de Vienne…et peut être ailleurs. S’il a du succès !…

GG –Puis-je te demander quel est l’argument de ce singspiel ?

W.A.M. Ce que je peux te dire, sans dévoiler l’intrigue – même à un frère – (Rire), c’est que l’action se déroule en Egypte. Tu peux déjà voir un symbole maçonnique dans ce cadre oriental ! Le soleil, Isis et Osiris, seront évoqués, autres allusions ! Entre nous, cet opéra sera aussi une forme de pied de nez à notre Impératrice Marie-Thérèse, qui est notoirement contre notre Ordre, je ne sais pas pourquoi ! Nous ferons d’elle une « reine de la nuit », je ne t’en dis pas plus !…

GG – …Et ta deuxième commande pour cette année ?

W.A.M – Il s’agit d’un Requiem ! Il m’a été commandé par le Comte Franz de Walsegg. Je n’ai plus composé de musique sacrée depuis huit ans. Ma dernière est La Messe en Ut mineur. Ce sera vraiment un retour au religieux pour moi !

LE FRANC-MAÇON

Wolfgang Amadeus quitte le divan, s’étire, se tient le dos, tousse, fait quelques pas dans le salon. Alors qu’il passe dans la lumière de la fenêtre, je remarque soudain ses yeux cernés. C’est un homme fatigué qui se rassoit, cette fois près du clavecin, auquel il vole trois notes, puis pivote vers moi. Constance apparaît, radieuse, et nous sert un verre de vin blanc du Rhin. Le regard de Wolfgang brille de nouveau !

GG Mi, do, ré ! Association d’idée, ces trois notes, le chiffre trois, nous ramènent à la franc-maçonnerie ! Comment l’as-tu rencontrée ?

W.A.M. – Je suis d’une famille de francs-maçons, depuis mon arrière-grand père Franz Mozart. C’est mon grand-père, Johann Mozart, relieur et maçon, qui m’a parlé le premier de cette fraternité, en me disant qu’on jouait de la musique dans les « loges ». A l’époque, j’avais cinq ou six ans, j’en ai entrevu pendant mes voyages. J’ai trouvé qu’elles ressemblaient à des églises. Alors, je me suis mis à imiter les sons des clavecins entendus à la messe pour composer des morceaux de musique sacrée. J’en ai offert un au Docteur Wolff, un maçon qui m’a guéri de la variole à onze ans et que j’ai appelé « An die freude » (Ode à la joie). Puis on m’a fait rencontrer le Docteur Franz-Anton Mesmer, un autre maçon, découvreur du magnétisme animal. Il m’a obtenu plusieurs commandes pour des directeurs de théâtres, eux-mêmes maçons, dont le réputé Joseph Sonnenfels.

GG C’est donc par la musique que tu es arrivé à la franc-maçonnerie ?

W.A.M. – En quelque sorte ! Puisque ayant mis progressivement, à ma façon, la « fraternité en notes », cette forme musicale coïncidait avec les thèmes théâtraux de l’époque, à visée humaniste. Mon vrai départ m’a été donné par un directeur de théâtre, le baron Tobias Von Gebler, un autre frère, qui m’a commandé la musique d’un drame héroïque, Thamos, König in Aegypten (Thamos, roi d’Egypte). C’est sans doute avec l’influence de cette pièce que je me suis approché de La Flûte enchantée…et d’une loge maçonnique ! A la Zur Wohthatigkeit (La Bienfaisance), je te l’ai dit. Cette petite loge, très récemment ouverte, avait besoin d’un frère pour tenir la colonne d’harmonie, c’est à dire pour être le « faiseur de musique », et j’ai présenté ma demande d’adhésion ! J’ai été accepté Apprenti-maçon le 14 décembre 1784, parrainé par le Vénérable frère Otto Von Gemmingen. J’avais 28 ans.

GG. Quel souvenir gardes-tu de ta réception ?

W.A.M. – J’ai été très troublé, bien sûr, par la solennité, la gravité même de cette cérémonie. Je ne m’attendais pas à vivre une telle émotion forte ! J’ai pensé à mes aïeux, Franz et Johan, j’ai senti leur présence et monter mon désir de continuer la lignée en loge ! J’ai tout de même été étonné par cette tradition qui veut que les « frères à talent » dont je fais partie comme musicien, dînent avec les commis, en cuisine. Et pas dans la salle à manger commune ! J’ai eu l’impression momentanée d’être encore considéré comme le saltimbanque de mes tournées européennes ! Mais j’ai heureusement compris le sens de ce rituel, qui n’était pas une brimade pour un novice, mais l’apprentissage de l’humilité. Et, selon la coutume, j’ai été reçu Compagnon-maçon, le mois suivant, en janvier 1785, dans la loge Zur Wahren Eintract (L’espoir couronné) puis Maître-maçon quelques jours après. J’ai alors pu dîner dans la salle à manger !

GG – Progression rapide !

W.A.M. – Oui, évidemment, rien à voir avec celle des ouvriers de chantier à l’époque des cathédrales ! Tu le sais bien, c’est la symbolique qui compte, pas les appellations ni les fonctions. La preuve pour moi, bien au contraire d’en tirer quelque vanité, ce qui a été surtout rapide, tellement j’étais enthousiasmé, c’est ma composition en quatre jours de trois musiques maçonniques, correspondant à ces trois cérémonies : un concerto pour quatuor à cordes pour chacun des degrés. En les écrivant, j’ai précisément beaucoup pensé aux constructeurs du Moyen-Âge. Eux aussi étaient des créateurs sur leurs échafaudages, mais sur un temps long !

GG. Comment parviens-tu à traduire cet enthousiasme dans la musique maçonnique ?

 W.A.M. Je vois des images, des situations, dans l’exercice des rituels ! Ils sont rythmés par des ruptures et des reprises. Il m’arrive de composer pendant les tenues. Dans ma tête, les intervalles deviennent en loge des « espaces-temps » qui séparent mes notes. C’est dans les silences que surgissent souvent mes sentiments. J’ai déjà vécu cette articulation émotionnelle en écrivant Les noces de Figaro. Promesse, espoir, amour, joie, peur, tristesse, déception, colère, violence, la musique est à même de tout dire. Et la musique maçonnique ne fait pas exception, sauf que sa dramaturgie est bienveillante, pacifique ! Et tellement évocatrice ! Je peux voir le lever du jour dans l’ouverture du compas, l’élévation vers le ciel dans la branche de l’équerre dressée ou la descente en soi dans le fil à plomb ! Ou encore entendre des battements de cœur dans le scintillement de la voûte étoilée ! L’univers est vivant, et nous vivons à l’unisson. Les rituels manifestent bien cette dynamique, cette harmonie ! Les symboles maçonniques sont visibles par l’œil, ils sont aussi audibles par l’oreille ! Certes, leur interprétation musicale exige un choix particulier d’instruments. Ce sont des intonations, des voix à côté des nôtres, dans ce lieu d’expression qu’est la loge. Et dans ce temps hors du temps ! C’est bien l’observation et le ressenti, bref un vécu personnel intense en loge qui m’ont permis de composer L’hymne au soleil, Le voyage des compagnons, Enlaçons nos mains, Eloge de l’amitié et, tout récemment un Requiem pour deux frères décédés. Ces morceaux n’existeraient pas si je n’avais pas été franc-maçon !

GG – Avec ces compositions spécifiques, tu me confirmes que tu as mis « la fraternité en notes » ! En dehors de cette fraternité avec la musique, comment vis-tu celle de la maçonnerie ?

W.A.M.– A vrai dire, je ne m’attendais pas à trouver des frères, au sens d’une vraie famille, dans cette communauté. Dès que j’ai été reçu maçon, c’est comme si j’en avais toujours connu les membres. Comme si j’étais leur frère de sang ! Nous nous sommes aimés tout de suite ! Je ne suis pas entré en maçonnerie par intérêt mais pour y vivre une liberté, après une enfance et une adolescence de servitudes, passées sur les routes à divertir les autres. J’ai connu des difficultés matérielles, les frères m’ont immédiatement aidé. Comme je les ai aidés moi-même en retour, quand je l’ai pu. J’ai beaucoup apprécié cette réciprocité sans calcul ! Cette suite de rencontres en loge, à l’image de celles que j’ai faites au dehors, m’a comblé !

La franc-maçonnerie m’a aussi permis deux autres fraternités particulières : une fraternité avec Dieu, mais oui, dont je me suis vraiment rapproché. Je le fréquente et remercie maintenant chaque jour. J’accepte sa volonté avec respect. Et au risque de t’étonner, je fraternise aussi désormais avec la mort ! Finies l’angoisse et la peur : après le décès de mes parents, j’ai compris que la mort est évidemment le seul et vrai but de notre vie. J’ai noué avec elle des relations tellement étroites, que loin de me terrifier, elle m’apaise et me console au plus haut point ! Je vis en intimité avec elle à travers la musique. La grâce de Dieu m’a enfin permis d’apprendre que la mort est la clé de notre vrai bonheur !…

GG – En quelque sorte, avec ta musique si « parlante », tu as sublimé le tragique de la condition humaine pour parvenir à la sérénité… !

W.A.M. – …Et aussi, à la liberté intérieure ! Grâce aux métaphores de l’Art Royal, je suis sans doute devenu un romantique !

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Je me réveille ! Quel rêve étrange j’ai fait, quel merveilleux privilège cette    rencontre onirique ! Cette nuit, j’ai tutoyé Mozart !

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Notre frère Wolfgang Amadeus Mozart est mort à 35 ans, emporté par une hémorragie cérébrale et une broncho-pneumonie terminale, le 5 décembre 1791 à Vienne. Une étoile filante, dont la lumière éclaire à jamais le ciel musical !

Compositeur le plus populaire de l’histoire de la musique occidentale, il continue de rayonner sur le monde entier. Parce qu’il traverse le temps, parce qu’il accompagne notre vie, parce que ses mélodies nous emportent… Mozart nous fera toujours rêver !

                      Gilbert GARIBAL

  (Documentation musicale de Jean GUIRAUD, compositeur-interprète)

L’action se déroule en Égypte. Certains voient là un symbole maçonnique tandis qu’il ne s’agit, pour d’autres, que d’un cadre exotique et oriental comme on les appréciait à cette époque (Die Entführung aus dem Serail et Zaïde se passent aussi en Orient). Les paroles des chœurs évoquent le Soleil et Osiris, elles s’adressent à un Dieu unique, et on est en droit de se demander pourquoi les nombreux dieux du panthéon égyptien ne sont pas cités. Le livret est donc clairement maçonnique.

Epuisé par la maladie, il écrit le Requiem – oeuvre majeure – commandé par un personnage mystérieux, un comte qui cherchait à s’attribuer l’œuvre écrite par le compositeur. Le Requiem sonne presque comme un retour ultime du sentiment religieux chez Mozart. En 1791 en effet, il n’avait pas composé de musique d’église depuis près de huit ans avec la Messe en Ut Mineur.

La Flûte enchantéeK. 620, dont le titre original en allemand est Die Zauberflöte, est un singspiel composé par Mozart sur un livret d’Emanuel Schikaneder.

La première représentation a lieu le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne, au théâtre de Schikaneder, petite salle en bois fréquentée par un public plus populaire que celui d’une salle d’opéra habituelle1. Du fait de son succès, la 100e représentation est atteinte un an plus tard. C’est dans cet opéra que l’on entend le célèbre air de la Reine de la Nuitet plusieurs autres airs ou chœurs, comme l’air de l’oiseleur, le duo de Tamino et Pamina, les deux airs de Sarastro, dont l’un avec chœur, etc.

A cette époque, la franc-maçonnerie était très à la mode, bien que l’Impératrice Marie-Thérèse en eût interdit la pratique. L’astuce de l’auteur fut donc d’exploiter sur scène certains des rites désormais interdits. En raison de ces liens avec la franc-maçonnerie, certains commentateurs identifièrent les personnages de la façon suivante : Sarastro, le sage prêtre d’Isis, serait la représentation de Ignaz Von Born, franc-maçon et homme de science, Tamino, serait l’Empereur Joseph ll, Pamina, le peuple autrichien, La reine de la nuit, l’Impératrice Marie- Thérèse, et Monostatos, le clergé et principalement les Jésuites et les ordres religieux.

MOZART est le « musicien-maçon » par excellence. Comment le situer par rapport à ce qualificatif ? Pour ma part, je pense qu’une œuvre maçonnique véritable est celle qui est écrite spécifiquement pour les besoins des loges. Qu’il s’agisse de ponctuer des cérémonies ou accompagner des rites. A ne pas confondre, en conséquence, avec l’inspiration maçonnique.

En fait, MOZART n’a écrit que peu d’œuvres maçonniques, une dizaine seulement – qui portent les numéros 464 à 626 di catalogue Köchel – quelques-unes même avant son initiation, en 1784 (Pour mémoire Köchel est un musicographe autrichien – 1800-1887- qui s’est attaché à classer toutes les œuvres de MOZART par ordre chronologique et thématique). Ces œuvres maçonniques lui ont été tout simplement command » et il n’en connaît pas toujours la destination finale !

Rappelons qu’à l’époque, toute musique était évidemment jouée « en direct », d’où l’importance des « musiciens-maçons » en loge

Avec MOZART, nous avons donc affaire à un musicien qui cherchera toute sa vie son indépendance financière et morale. Il sera exaucé sur le plan moral par son initiation et pourra se sentir un homme libre, grâce à l’égalité reconnue dans les loges. Il est donc tout à fait en harmonie avec les idéaux de la Révolution.

MOZART est le « musicien-maçon » par excellence. Comment le situer par rapport à ce qualificatif ? Pour ma part, je pense qu’une œuvre maçonnique véritable est celle qui est écrite spécifiquement pour les besoins des loges. Qu’il s’agisse de ponctuer des cérémonies ou accompagner des rites. A ne pas confondre, en conséquence, avec l’inspiration maçonnique.

En fait, MOZART n’a écrit que peu d’œuvres maçonniques, une dizaine seulement – qui portent les numéros 464 à 626 di catalogue Köchel – quelques-unes même avant son initiation, en 1784 (Pour mémoire Köchel est un musicographe autrichien – 1800-1887- qui s’est attaché à classer toutes les œuvres de MOZART par ordre chronologique et thématique). Ces œuvres maçonniques lui ont été tout simplement commandées et il n’en connaît pas toujours la destination finale !

Rappelons qu’à l’époque, toute musique était évidemment jouée « en direct », d’où l’importance des « musiciens-maçons » en loge.

Beaucoup d’analystes assoiffés de symbolisme, voire d’ésotérisme, traquent dans les compositions postérieures à l’initiation de MOZART, le signe des arcanes et des mystères de la franc-maçonnerie (n°464 à 626, précités). Or, comme l’explique très bien, et avec malice, le musicologie Gérard Gefen, les fruits de cette quête, souvent attrayants, sont de la même nature que ceux auxquels parvient une méthode similaire pour le déchiffrement du grand secret des Pyramides d’Egypte !

« En divisant successivement le périmètre par le rayon du cercle inscrit, et la hauteur par l’angle de la pente, on obtient l’âge du Pharaon, le poids de l’explorateur, et la distance de la terre à la lune ! »

Mais soyons sérieux et rendons à MOZART, ce qui appartient à la franc-maçonnerie ! Nous avons affaire à un langage universel que je vous propose d’analyser brièvement :

A propos des accords et de leur nombre, il a souvent été affirmé que les tonalités maçonniques sont organisées autour du chiffre 3. Autrement dit des tonalités à 3 bémols (mi bémol majeur, do mineur) et à 3 dièzes (la majeur, fa dièze mineur).

Le procédé serait, en effet, un peu trop facile, et de plus…qui s’en rendrait compte ? Il faut avoir à la fois, une culture musicale et l’oreille absolue ! Qu’importe ces évidences à certains musicologues qui entendent dans la musique de MOZART…des tonalités initiatiques !

Pour l’anecdote, j’ajouterai qu’il était commode, à l’époque, d’écRire dans le ton de mi bémol majeur et d’UT mineur pour certains instruments à vent (clarinette, basson, cor) utilisés dans les loges militaires. En outre, ce ton, ne manquait pas d’apporter une couleur sereine et lumineuse, qui en justifiant pleinement l’utilisation !

A noter qu’aucune des partitions des Constitutions d’Anderson, n’est écrite dans une tonalité maçonnique (la chanson de l’Apprenti est en Ut majeur, celle du Maître en fa majeur, celle du surveillant en ré majeur).

Le Carmen saeculare de François André Danican Philidor créé pour le « Free-Mason Hall » de Londres en 1779 comporte une ouverture et 21 numéros. Une seule de ces 22 pièces est dans une tonalité maçonnique (mi bémol majeur). D’autres exemples similaires existent.

En examinant l’œuvre de MOZART, rien n’indique par ailleurs qu’il ait accordé une valeur symbolique particulière aux tonalités triples. Sur les 2627 entrées du catalogue Köchel précité, la proportion des tonalités à 3 altérations ne varie pas entre la période précédant et celle suivant son initiation maçonnique.

Enfin, dans La Flûte enchantée elle-même, si l’ensemble de l’ouverture est bien en mi bémol majeur, le fameux « accord trois fois répété » n’est pas l’accord parfait majeur du 1er degré de ce ton, mais celui de si bémol, qui ne comporte pas la note mi bémol.

Le compositeur

A 21 ans, Wolfgang Amadeus MOZART a déjà écrit :

  • 11 opéras
  • 34 sonates
  • 49 symphonies
  • 21 concerti

Au 18ème siècle, tout musicien dépend des « Grands ». Mozart devient ainsi le « valet musicien » du Prince Archevêque de Salzbourg. Il n’aura de cesse de vouloir s’affranchir de cet état subalterne et sa vie durant, le compositeur paiera cette soif de liberté.

A cette époque, chacun n’existe et n’est reconnu qu’en fonction de sa classe d’appartenance. Le plus talentueux des roturiers doit toujours céder le pas au plus sot des aristocrates !

Partant, il est bon de situer MOZART par rapport à l’esprit de son temps. L’entreprise encyclopédique avec Diderot, Voltaire, Rousseau, livre aux feux de la raison la grammaire sociale tout entière, faisant aini table rase de l’ancien régime. De cet ébranlement, surgir un être nouveau : l’individu.

Le domaine musical est l’un des lieux stratégiques où se déroulera la bataille politico-culturelle des Lumières contre les tenants de la tradition.

L’esthétique musicale – pensent les encyclopédistes et leurs amis est un enjeu de pouvoir important. Il s’agit en effet, ni plus ni moins, de déposséder les autorités en place (le Roi, la Cour, l’Eglise) du pouvoir exécutif qu’elles exercent sur le langage de la société, et de donner ce pouvoir qui ont compétence à l’exercer : les savants, les hommes de lettres, les philosophes. On dirait aujourd’hui, les intellectuels.

Dans cette perspective, la suprématie, en matière de goût artistique, est essentielle.

Ainsi, la musique réaliserait l’idéal de ce langage universel que lesdits encyclopédistes recherchent par ailleurs, transcendant les frontières, comme les barrières sociales et linguistiques. Elle s’adresse à l’intelligence, à la raison, au sens de l’équilibre et de l’harmonie, à la sensibilité, à l’émotion, etc. Elle est à la fois, l’expression de l’esprit, de l’âme et du corps. Tout cela, l’Eglise l’a déjà compris depuis longtemps !

Avec MOZART, nous avons donc affaire à un musicien qui cherchera toute sa vie son indépendance financière et morale. Il sera exaucé sur le plan moral par son initiation et pourra se sentir un homme libre, grâce à l’égalité reconnue dans les loges. Il est donc tout à fait en harmonie avec les idéaux de la Révolution.

MOZART est le « musicien-maçon » par excellence. Comment le situer par rapport à ce qualificatif ? Pour ma part, je pense qu’une œuvre maçonnique véritable est celle qui est écrite spécifiquement pour les besoins des loges. Qu’il s’agisse de ponctuer des cérémonies ou accompagner des rites. A ne pas confondre, en conséquence, avec l’inspiration maçonnique.

En fait, MOZART n’a écrit que peu d’œuvres maçonniques, une dizaine seulement – qui portent les numéros 464 à 626 di catalogue Köchel – quelques-unes même avant son initiation, en 1784 (Pour mémoire Köchel est un musicographe autrichien – 1800-1887- qui s’est attaché à classer toutes les œuvres de MOZART par ordre chronologique et thématique). Ces œuvres maçonniques lui ont été tout simplement command » et il n’en connaît pas toujours la destination finale !

Rappelons qu’à l’époque, toute musique était évidemment jouée « en direct », d’où l’importance des « musiciens-maçons » en loge.

Beaucoup d’analystes assoiffés de symbolisme, voire d’ésotérisme, traquent dans les compositions postérieures à l’initiation de MOZART, le signe des arcanes et des mystères de la franc-maçonnerie (n°464 à 626, précités). Or, comme l’explique très bien, et avec malice, le musicologie Gérard Gefen, les fruits de cette quête, souvent attrayants, sont de la même nature que ceux auxquels parvient une méthode similaire pour le déchiffrement du grand secret des Pyramides d’Egypte !

« En divisant successivement le périmètre par le rayon du cercle inscrit, et la hauteur par l’angle de la pente, on obtient l’âge du Pharaon, le poids de l’explorateur, et la distance de la terre à la lune ! »

Mais soyons sérieux et rendons à MOZART, ce qui appartient à la franc-maçonnerie ! Nous avons affaire à un langage universel que je vous propose d’analyser brièvement :

A propos des accords et de leur nombre, il a souvent été affirmé que les tonalités maçonniques sont organisées autour du chiffre 3. Autrement dit des tonamités à 3 bémols (mi bémol majeur, do mineur) et à 3 dièzes (la majeur, fa dièze mineur).

Le procédé serait, en effet, un peu trop facile, et de plus…qui s’en rendrait compte ? Il faut avoir à la fois, une culture musicale et l’oreille absolue ! Qu’importe ces évidences à certains musicologues qui entendent dans la musique de MOZART…des tonalités initiatiques !

Pour l’anecdote, j’ajouterai qu’il était commode, à l’époque, d’écRire dans le ton de mi bémol majeur et d’UT mineur pour certains instruments à vent (clarinette, basson, cor) utilisés dans les loges militaires. En outre, ce ton, ne manquait pas d’apporter une couleur sereine et lumineuse, qui en justifiant pleinement l’utilisation !

A noter qu’aucune des partitions des Constitutions d’Anderson, n’est écrite dans une tonalité maçonnique (la chanson de l’Apprenti est en Ut majeur, celle du Maître en fa majeur, celle du surveillant en ré majeur).

Le Carmen saeculare de François André Danican Philidor créé pour le « Free-Mason Hall » de Londres en 1779 comporte une ouverture et 21 numéros. Une seule de ces 22 pièces est dans une tonalité maçonnique (mi bémol majeur). D’autres exemples similaires existent.

En examinant l’œuvre de MOZART, rien n’indique par ailleurs qu’il ait accordé une valeur symbolique particulière aux tonalités triples. Sur les 2627 entrées du catalogue Köchel précité, la proportion des tonalités à 3 altérations ne varie pas entre la période précédant et celle suivant son initiation maçonnique.

Enfin, dans La Flûte enchantée elle-même, si l’ensemble de l’ouverure est bien en mi bémol majeur, le fameux « accord trois fois répété » n’est pas l’accord parfait majeur du 1er degré de ce ton, mais celui de si bémol, qui ne comporte pas la note mi bémol.

Autres remarques :

La marche des prêtres et le 1er air de Zarastro sont en fa majeur,

L’adhésion de Mozart à la Franc-Maçonnerie se concrétisa le 14 décembre 1784 par son adhésion à l’Ordre. Il a alors 28 ans. Son père, Léopold Mozart devint lui aussi Franc-maçon à peu près à la même période. 

Peu à peu la musique de Mozart est de plus en plus marquée par le symbolisme maçonnique et cela dans toute son œuvre. La musique maçonnique de Mozart est en quelque sorte une musique religieuse. Les loges sont des sortes de temples avec un rituel et une liturgie. Il est, donc, normal que la musique maçonnique ait des accents religieux. En outre, la Maurerische Trauermusik (musique funèbre maçonnique) cite un thème de la liturgie catholique des funérailles. Un exemple du symbolisme maçonnique est la tonalité de Mi Bémol Majeur avec son relatif Ut Mineur. Cette tonalité a trois bémols à sa clef ce qui symbolisent la sagesse maçonnique, tout comme ils symbolisent la Sainte Trinité chez Bach.

La Franc-Maçonnerie que fréquentait Mozart croyait en un Dieu mais Le considérait comme un concept philosophique tel le «Grand Architecte de l’Univers» ou l’ «Être Suprême».

Mozart termine sa 39e symphonie en juin 1788, quelques jours seulement avant la mort de sa fille, et dans les semaines qui suivent, produit encore deux symphonies parmi ses plus grandes. Suivent alors des mois de travaux alimentaires et un voyage en Allemagne entaché par des brouilles avec des personnages importants.

A son retour à Vienne, en juin 1789, il lui faut recourir à de nouveaux emprunts. En janvier de l’année suivante, Così fan tutte ne remporte qu’un modeste succès, et, en février, la mort de Joseph II prive Mozart de son protecteur. L’argent manquant toujours, il n’est pas en mesure de se rendre à Londres où on lui demande deux opéras: c’est Haydn qui part à sa place.

Il écrira pourtant encore deux opéras, la Clémence de Titus et la Flûte enchantée – son dernier succès- qui, malgré ses forces déclinantes car il est atteind d’une maladie qui touche ses reins, lui permettra de revoir Prague,.


Mozart

La Flûte enchantée – Die Zauberflöte – est considéré comme l’opéra de Mozart où se trouvent le plus de références maçonniques. Le symbolisme se trouve également présent dans cette œuvre, comme les trois accords qui marquent le début de l’ouverture. L’histoire est aussi très symbolique, comme le moment de l’initiation de Tamino. La scène se passe en Égypte, ce qui peut contribuer à donner une ambiance mystérieuse et ésotérique.

On peut rapprocher La Flûte enchantée de l’œuvre qu’il écrivit à 16 ans : Thamos König in Ägypten. Il ne s’agit pas d’un opéra mais de chœurs et de pièces pour orchestres destinés à être interprétés entre les actes d’une pièce de théâtre. L’action se déroule en Égypte. Certains voient là un symbole maçonnique tandis qu’il ne s’agit, pour d’autres, que d’un cadre exotique et oriental comme on les appréciait à cette époque (Die Entführung aus dem Serail et Zaïde se passent aussi en Orient). Les paroles des chœurs évoquent le Soleil et Osiris, elles s’adressent à un Dieu unique, et on est en droit de se demander pourquoi les nombreux dieux du panthéon égyptien ne sont pas cités. Le livret est donc clairement maçonnique.

Epuisé par la maladie, il écrit le Requiem – oeuvre majeure – commandé par un personnage mystérieux, un comte qui cherchait à s’attribuer l’œuvre écrite par le compositeur. Le Requiem sonne presque comme un retour ultime du sentiment religieux chez Mozart. En 1791 en effet, il n’avait pas composé de musique d’église depuis près de huit ans avec la Messe en Ut Mineur.

Malgré l’aide de son élève Franz Xaver Süssmayr, la messe des morts restera inachevée: le 5 décembre 1791, Mozart meurt dans le dénuement, et sa dépouille, escortée par quelques amis fidèles, est jetée à la fosse commune.

Le 10 décembre, un service funèbre est célébré à la mémoire de Mozart et les amis et musiciens présents y jouent les fragments qu’il a laissé du Requiem. Car des quatorze numéros de la composition, Mozart n’en a composé complètement que l’Introït et le Kyrie.


Partition du Requiem

LA FLUTE ENCHANTEE

Opéra en 2 actes

Mozart a travaillé La Flûte enchantée de Mars à Juillet 1791, puis de nouveau, en Septembre de la même année. La première représentation eut lieu deux mois à peine avant sa mort. On peut donc considérer que cette œuvre sublime représente son testament spirituel. Sa femme, Constanze, qu’il épousa le 4 août 1782, rapporte dans ses souvenirs, que la veille de sa mort Mozart disait : “Je voudrais bien entendre encore une fois ma Flûte enchantée”.

Au cours des dernières années de sa vie, Mozart cherche et trouve, dans la franc-maçonnerie un idéal de générosité et d’amitié qui l’aide à traverser les moments difficiles, moralement, intellectuellement et, bien souvent, financièrement. Emmanuel Shikaneder, qui écrivit le livret avec une choriste nommée Gieseke, était un ami de Mozart et appartenait à la même loge maçonnique.Il était aussi directeur d’une compagnie théâtrale et acteur de renom, il fut paraît-il l’un des meilleurs “Hamlet” de son temps.

A cette époque, la franc-maçonnerie était très à la mode, bien que l’Impératrice Marie-Thérèse en eût interdit la pratique. L’astuce de l’auteur fut donc d’exploiter sur scène certains des rites désormais interdits. En raison de ces liens avec la franc-maçonnerie, certains commentateurs identifièrent les personnages de la façon suivante : Sarastro, le sage prêtre d’Isis, serait la représentation de Ignaz Von Born, franc-maçon et homme de science, Tamino, serait l’Empereur Joseph ll, Pamina, le peuple autrichien, La reine de la nuit, l’Impératrice Marie- Thérèse, et Monostatos, le clergé et principalement les Jésuites et les ordres religieux.

Ainsi, l’action est située en Egypte, berceau présumé de la tradition maçonnique, laquelle permit au Roi Salomon de faire ériger par son maître de travaux Hiram Habif, le grand Temple de Jérusalem, en 1004 avant J.C.

La scène se passe dans une Egypte imaginaire, à une époque indéterminée, et l’admirable musique de Mozart donne à ce récit une profondeur, une noblesse et une force mystérieuse et sacrée qui en font une œuvre incomparable. Le fier et chaste Tamino, aime la tendre Pamina, fille de la Reine de la Nuit, prisonnière du cruel Monostatos.

Conduit par trois garçons ingénus,Tamino triomphe de toutes les épreuves imposées par le grand prêtre Sarastro, et reçoit la récompense suprême, tandis que le sylvestre Papageno, franchissant à un autre niveau les mêmes épreuves, introduit dans l’action une fantaisie qui est loin d’être incompatible avec la gravité de l’ensemble où le familier côtoie le sublime, enrobé dans la féerie.

C’est sans doute ici que Mozart exprime le mieux ses convictions, sous couvert de merveilleux, il décrit le parcours initiatique qui permet de progresser vers la connaissance, la vertu et la lumière. Le langage de La Flûte Enchantée est en fait celui de la tendresse, de l’effort, de la fraternité et de l’amour.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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