Article de notre Sœur Trần Thu Dung
Le culte des ancêtres, en vienamien Tín ngưỡng thờ cúng tổ tiên, joue depuis les temps les plus anciens, un rôle capital dans la pensée et dans les pratiques de la civilisation vietnamienne.
Selon la tradition vietnamienne, il n’y a pas de séparation entre le monde des vivants et celui des morts. Les âmes hantent l’autel des ancêtres. Les morts reviennent parmi les vivants à l’occasion des jours de fête de la nouvelle année et aux anniversaires des décès. Les morts partagent les joies et les peines de leurs descendants lors des cérémonies familiales telles que le mariage, la réussite des enfants, la construction d’une nouvelle maison, etc. Ce culte aide à entretenir les liens entre les vivants et les morts. La présence de l’autel des ancêtres dans chaque famille et la célébration périodique du culte font que les morts continuent à être présents dans la vie de chacun, et qu’ils perpétuent l’honneur de la famille.
En général, la fête des ancêtres s’organise en famille. Elle n’est pas une religion, mais une simple coutume. Chaque famille s’organise pour reconnaître le lignage familial ce qui la différencie d’autres cultes des ancêtres existant en Chine ou en Afrique lesquels se déroulent souvent dans un espace public comme le village ou, dans les cimetières autour des tombes. Mais la conception est la même. Les vivants ont besoin de la bienveillance des ancêtres sanctifiés, qui est nécessaire pour que chacun bénéficie de retombées favorables dans sa vie. La dévotion due aux ancêtres s’inscrit dans une volonté d’harmonie entre l’au-delà et le monde physique des hommes. Si cette harmonie n’est pas respectée, il se crée un déséquilibre qui peut être néfaste pour l’homme comme pour le reste de la création. L’ancêtre se voit offrir des sacrifices sous forme de nourriture au moment des fêtes (comme la fête des morts), parfois pour l’anniversaire du défunt ou de l’ancêtre légendaire d’une famille (phénomène fréquent dans l’aristocratie). On invite les ancêtres à partager les repas. On demande sans cesse l’assistance des morts. On brûle de l’encens pour évoquer le retour des morts et on brûle aussi des objets votifs en papier. Selon la terminologie vietnamienne, on peut dire qu’il s’agit du culte de l’encens et de la fumée.
Le culte des ancêtres aide à tisser le lien entre les membres de la famille. Chacun se reconnaît, et s’entre-aide. C’est « la famille d’abord ». C’est pourquoi le culte des ancêtres joue un rôle important dans la vie culturelle et sociale au Vietnam. Cette pratique apprend aux descendants la gratitude envers les ancêtres, le respect de la hiérarchie familiale et le souvenir des racines originelles qui se transmettent de génération en génération.
La similitude avec la chaîne d’union pratiquée à la fin des tenues maçonniques apparaît clairement lorsque le vénérable maître énonce que cette tradition vient des ancêtres et rappelle aux frères et sœurs qu’ils sont les maillons, non seulement des frères et des sœurs présents mais également de tous ceux qui les ont précédés. Ainsi bien avant la colonisation, il y avait le même type de démarche symbolique dans la culture vietnamienne et dans les loges européennes. N’est-ce pas une évidente manifestation de l’Universalisme.
Mais le plus intéressant, c’est que pendant la cérémonie du culte des ancêtres on accepte chaleureusement tous les membres de la grande famille et les amis sans distinction de religions ou de conceptions philosophique… Ce jour est le jour de la réconciliation, dont la fête traduit la fraternité, la solidarité entre les membres de la famille comme en Franc-maçonnerie. On se réunit et on partage le bonheur et la peine. Certaines personnes profitent de ce jour pour demander pardon à quelqu’un. Car selon la coutume, on ne peut pas se battre pendant le repas ou la cérémonie. On fait montre de respect devant les ancêtres, à défaut de quoi on sera puni dans la vie quotidienne.
Parfois, le vénérable maître propose à la famille de constituer une cagnotte en soutien à l’enfant qui s’apprête à aller à l’université. Le futur étudiant s’engage à en retour à bien utiliser cet argent en réussissant ses études.
Pendant la cérémonie du culte des ancêtres, le vénérable maître peut également proposer une aide fraternelle en faveur d’un membre de la famille qui rencontre des difficultés (maladie, veuvage, accident, incendie etc.), comme le vénérable maître de la loge maçonnique qui demande au frère maître des cérémonies, accompagné du frère hospitalier, de faire circuler le tronc de la veuve et le sac aux propositions à la fin de chaque tenue.
Une remarque concernant les autels des ancêtres du lignage d’une grande famille : Les enfants ont les mêmes grands parents. Cependant la décoration est un peu différente. Sur le 2ème autel, les grands parents de chaque branche des deux parents directs sont également vénérés, mais au-dessus est vénéré le bouddha qui protège chacun. Sur le 1er autel existe seulement un génie de fortune. C’est une croyance taoïste. Ils sont de plus issus des mêmes grands parents mais on remarque dans le rang des photos que du côté du père est disposée la photo de l’oncle. On vénère également un jeune homme, frère du père, mort en pleine jeunesse au champ d’honneur pendant la guerre du Vietnam. Comme il n’était pas marié et n’avait pas de descendance, c’est la famille de son frère qui s’en occupe. Selon la croyance, la vénération symbolise la demande de protection des Esprits. Sur le 2ème autel, le maître de la famille ne vénère pas la mort de son frère, car la femme de ce défunt est encore vivante. C’est son devoir, sauf si elle se remarie. Puis son fils va continuer à honorer les ancêtres à son tour.
La conception du rituel du culte des ancêtres est différente au sein d’une même famille selon que l’on applique le rite bouddhiste ou le rite taoïste. La synthèse des 3 religions en ce qui concerne le culte des ancêtres est répandue partout au Vietnam. C’est le symbole de la liberté de croyance des Vietnamiens.
Le culte des ancêtres est une fête solennelle de la fraternité vietnamienne. Il est organisé en fonction des dates anniversaires des morts, et pendant la veillée, les esprits sont invités à participer à la fête afin de protéger les membres de la famille. Sur certains autels on trouve outre la statue de Bouddha, des Génies et Confucius… Les trois religions (bouddhisme, taoïsme, confucianisme), sont réunies dans la cérémonie du culte des ancêtres. Toutes les religions et les croyances se respectent et vivent en harmonie dans la vie quotidienne. La soif de paix des Vietnamiens s’exprime dans cette grande tolérance et par ce respect des diverses croyances. Ceci ressemble aux principes de la Franc-maçonnerie : la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de la conscience. C’est pourquoi, pendant la colonisation, les premiers membres maçonniques vietnamiens ont fondé à Hanoi une loge dénommée « Confucius » afin d’initier également les Vietnamiens d’origine chinoise.