Depuis quelques temps, nous observons que les standards de tolérance dans le domaine de l’humour sont en cours de révision à la baisse !
Comme il m’arrive souvent d’utiliser cet outil, j’en profite pour poser mes propres bases et définir mes propres règles. Cela me donnera une antériorité lorsque des esprits taquins viendront me chercher des noises pour quelques grivoiseries écrites ou quelques autres calembours douteux.
D’abord, définissons ce qu’on entend par humour. Selon le dictionnaire Larousse il est dit qu’il s’agit d’une « Forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ; marque de cet esprit dans un discours, un texte, un dessin, etc. »
En résumé, c’est faire le pas de côté, prendre du recul et créer ainsi un espace entre l’émotion d’une situation et la narration plus ou moins habile du conteur, de l’auteur ou du mime, enfin de l’artiste en somme.
Depuis toujours, nous nous esclaffions de rire aux blagues des Coluche, Desproges, Bedos, Devos, Robin, Bigard… et plus récemment de Benoist, Commandeur ou Tagbo. Tout était sujet, très librement, à un exercice d’étirement des zygomatiques. Même en Loge ou sur les parvis, on pouvait s’autoriser à un petit morceau de rigolade ou de transgression humoristique.
Mais voila, depuis quelques temps, les blagues, comme le beurre et le camembert sont frappés d’une date de péremption. Ce qui faisait rire depuis 30 ans, devient proscrit car provocateur. L’autocensure s’en mêle et le rire devient une activité fortement réglementée, nécessitant l’assistance permanente d’un avocat. Il m’a donc semblé utile de faire un constat et un point sur cet état de fait. Je propose d’ouvrir le débat afin qu’une résistance active s’organise pour ne pas laisser les adeptes de la vraie rigolade sombrer dans les abîmes du conformisme de l’Anglosphere et du politiquement correct, celui issu de la culture sans saveur et sans racine de l’Oncle Sam.
Lorsque Coluche nous dit à propos du viol de Monique : « Je l’ai pas violée. Pas plus que les autres. Et puis, violer c’est quand on veut pas. Moi, je voulais… », n’est-ce pas une provocation qui ressemble à une apologie du viol ? Cette provocation aurait conduit en 2019 le Sieur Colucci devant les tribunaux. C’est une blague du même style qui a valu à Bigard le 11 février dernier la vindicte de 1500 justiciers auprès du CSA. Voila qu’une blague vieille de 30 ans devient insupportable. La date de péremption des blagues non autorisées va bientôt devoir être apposée sur les génériques et autres pochettes. Par solidarité pour son « non ami de 30 ans », Muriel Robin enfonce le clou, elle explique : « être très engagée auprès des femmes battues et violées » elle dit que : « vis-à-vis de ces victimes, son devoir était de signer une pétition qui dit qu’on ne peut pas rire du viol ». C’est original comme démarche intellectuelle de la part d’une humoriste de profession. A quand un collectif de sénégalais qui attaque en justice Muriel Robin pour son célèbre sketch qui dit : « …Tous ces noirs d’un coup, d’un seul, t’as pas peur que ça fasse un peu deuil pour un mariage… ». Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il serait peut-être possible d’envisager que l’esclavage et le racisme anti-africains aient fait quelques victimes aussi, non ?
Par ailleurs, le côté récupération est à l’œuvre dans toute sa splendeur, car c’est occulter que la violence sexuelle n’est pas une exclusivité féminine, puisque les chiffres nous disent qu’en 2016, rien qu’en France, 580 000 femmes et 197 000 hommes de 20 à 69 ans ont été victimes de violences sexuelles[1]. Il serait donc utile d’éviter la désinformation et de parler de « victimes » au sens large, plutôt que de « femmes » pour présenter une fois de plus la femme comme un être sans défense qu’il conviendrait de sauvegarder avant sa disparition de la surface du globe.
Revenons aux blagues. Si les histoires juives deviennent une exclusivité juive, idem pour toutes les blagues communautaires ou encore celles considérées comme sexistes, de quoi allons-nous rire ? Si l’humour doit passer systématiquement par le préservatif du politiquement correct, que va t’il rester de la spontanéité qui en constitue l’essence ?
A force de polariser sur tous ces dangereux arabes et autres noirs qui « viennent manger le pain des français »[2], on a tout simplement oublié de verrouiller la porte de l’Ouest. On a ainsi laissé entrer par tous les trous et tous les canaux la culture américaine (quoi que ce mot de culture n’est peut-être pas très approprié). Comme le disait très justement Albert Einstein : « Les Etats-Unis d’Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation. » Nous craignions l’envahisseur Allemand, puis le Bolchévique, maintenant nous redoutons ceux du sud, mais personne ne voit venir celui qui vient de l’Ouest. Notre culture est désormais totalement colonisée. Nos standards musicaux, cinématographique, culinaires, vestimentaires, linguistiques… tout y passe. Sans y prendre garde, nous devenons les esclaves d’une pensée qui ne nourrit pas la notre.
Lorsque les critères de vie en société mutent peu à peu pour s’adapter à ceux de l’oncle Sam, il y a lieu de s’inquiéter fortement. Prendre des boucs émissaires pour des blagues qui ont pourtant fait rire nos grands parents et nos parents est une alerte qu’il faut entendre. Le danger de vient pas de la blague, mais bien de ce qui la rend désormais insupportable.
En résumé, certains se plaisent à citer Pierre Desproges lorsqu’il disait qu’ « on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ». Selon moi, c’est totalement faux. Cela voudrait dire qu’avant de faire une blague, nous devrions nous enquérir de ceux qui l’écoutent ? Devrions-nous bientôt écrire des livres IKEA avec des pans entiers amovibles qu’on pourra supprimer ou rajouter si les idées ne sont pas supportables par tel ou tel lecteur suivant sa culture ou son histoire ? Tout cela est une folie qui va tous nous conduire tout droit à notre propre perte. L’humain se nourrit de ses différences et vouloir l’uniformiser, c’est le rendre vulnérable et promis à une disparition prochaine.
L’humour plus que tout autre art, doit pouvoir s’exercer auprès de tous les publics et toutes les communautés. Je ne revendique pas le droit à imposer des blagues douteuses à un public sensible durant des heures de grande écoute. Il suffit pour le programmeur de la chaîne de sélectionner l’humoriste suivant le profil de son public. Je revendique le droit à l’art, le droit à l’expression, le droit à la différence et surtout, le droit à la complémentarité humaine !
J’ai volontairement gardé pour la fin la recette magique qui permet de mettre tout le monde d’accord. La question de l’universalité de l’humour est un sophisme qu’il convient de lâcher au plus tôt. Le vrai problème est ailleurs, le souci principal n’est pas la nature de la blague, mais plutôt l’intention de son narrateur. Pourquoi Coluche pouvait-il parler ainsi des arabes selon vous ? Pourquoi Desproges pouvait-il démarrer son sketch par ces mots : « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ?
Vous pouvez rester. N’empêche que. On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi… »
Parce que l’un comme l’autre étaient dans l’humour dans ce qu’il a de plus intense, c’est-à dire que chacun comprend que l’intention de l’humoriste est à l’opposé des paroles qu’il prononce. A vouloir polir et formater notre humour, nous allons tomber dans un conformisme qui finira d’achever l’œuvre entreprise par le marchandisage de notre société. La prochaine fois que vous entendrez un humoriste, faites moi plaisir, lâchez les préjugez et connectez-vous à l’intention du narrateur, vous verrez qu’on n’entend plus du tout les blagues de la même manière. À tchao, bonsoir.
Franck Fouqueray
[1] Référence le Monde du 18 octobre 2017 : http://tinyurl.com/violencessexuelles2016
[2] Référence à Fernand Raynaud et son célèbre sketch « Le douanier »
Cher Franck,
Bravo pour ta réflexion sur l’humour, même si elle n’est pas très drôle.
Bernard Werber a raison en écrivant: “La blague est le haiku du roman.” Une telle sagesse en si peu de mots…
Quand on a demandé à l’excellent aphoriste polonais Stanislaw Jerzy Lec, de l’époque stalinienne, pourquoi il n’écrivait rien d’autre que des aphorismes, il a répondu “Je n’ai pas assez de mots”. (Il a été traduit en français, avec plus ou moins de bonheur.)
Je collectionne des blagues, aphorismes et autres citations depuis mon adolescence. Quel bonheur! J’ai même fini par en publier une petite sélection. Cela m’a détourné des tâches plus “sérieuses” pendant quelques mois, mais, en fait, c’était peut-être une des meilleures façons de passer le temps.
Je promets, la prochaine fois je raconte une ou deux blagues, au lieu de ce genre de réflexions. Je voulais juste te féliciter…
Salut frat.:
MTCF Franck, je comprends ton propos ; il est vrai qu’il y a une contradiction entre la volonté d’assurer la liberté de parole et la nécessité de respecter les croyances de chacun ; tu remarques très justement que tout dépend de celui ou celle qui use de l’humour. Comment sortir de la contradiction ? Il me semble que l’on peut trouver la réponse dans le symbolisme du tarot. L’humour n’est-il pas l’apanage du Fou ? Le Fou c’est la liberté qui peut aller soit vers la transcendance soit vers le précipice (Mat). Il est libre de dire ce qu’il veut et chacun peut essayer de comprendre si ce qu’il dit va dans tel ou tel sens ! Il est le contre-pouvoir du Roi sans prétendre vouloir prendre sa place ! La tradition nous enseigne que l’équilibre de la société n’est possible que si chacun joue son rôle en sachant que les rôles ne sont pas interchangeables. Hollande, le Président qui s’amusait à faire des blagues, n’a pas joué son rôle de Président ! Peut-être aurait-il mieux valu qu’il reste dans le rôle du fou ? Aujourd’hui, faire le “fou” est devenu un métier ! Mais l’artiste n’est pas vraiment un “fou”, il a un autre rôle que l’on pourrait rattacher à la symbolique du Bateleur. Desproges était bien dans son rôle de Fou ; il en avait accepté les contraintes. Nous avons besoin de l’humour du Fou mais qui accepterait que l’Impératrice face de l’humour ? Une interrogation mérite aussi d’être posée : qui dans la loge a le rôle du Fou ? Qui peut se permettre de dire n’importe quoi sans que cela choque ? Les mauvaises langues diront que c’est le couvreur car en tant qu’ancien vénérable il est retombé sur “Terre” !