Monique, une sœur d’une loge mixte, rencontrée sur les colonnes à l’occasion de visites de son atelier, ne se sent plus très à l’aise en franc-maçonnerie. Monique n’est pas un exemple isolé de la désillusion qui habite de nombreuses sœurs et de nombreux frères. Comprendre son raisonnement pour l’aider à se dépasser, tel est l’objectif de cet article.
Monique est dans une loge mixte ; son conjoint, Pierre, lui fréquente une loge de la Grande Loge de France ; cette année, elle a refusé de prendre un plateau, prétextant une activité familiale plus prenante. En tenue, elle ne demande plus la parole, se contentant de suivre le rituel et d’écouter les interventions.
Elle reste de temps en temps aux agapes où elle se place systématiquement à côté de Jacqueline, qui est la sœur avec laquelle elle se sent le plus à l’aise ! Quand elle parle des sœurs de son atelier, c’est pour reconnaître qu’elles sont « gentilles ! ». La plupart ont plus de 65 ans avec un gros noyau entre 78 et 85 ans ! Monique avec ses 45 ans se rend bien compte qu’elle ne partage pas leurs préoccupations : leurs petits-enfants pour la plupart !
Cela fait déjà un à deux ans, que la loge maçonnique lui est apparue comme un univers factice où les frères et les sœurs jouent un rôle ; faire comme ci cela avait de l’importance de bien suivre les obligations du rituel, apporter de temps en temps une contribution et répéter les lieux communs, sans oublier les trois bises, les « Bonjour ma sœur, comment ça va ? » !
Les traits de caractères des un-e-s et des autres la font sourire : une telle, susceptible comme une vieille chatte ! Une autre, tendance prétentieuse, n’hésitant pas à intervenir pour un rien pour au final, ne rien dire d’important ! Il y a aussi la sœur hyperconsciencieuse, plutôt maniaque pour le moindre détail. Les couples “fusionnels” la font sourire : soit la soeur est effacée et c’est son bonhomme de frère qui tient le haut du pavé, soit c’est l’inverse ! Avec Pierre, elle n’a pas ce problème ; lui, à la GL, c’est une mentalité de gentil macho ! Au moins, c’est clair !
Il n’y aurait pas Jacqueline et Pierre, Monique aurait déjà démissionnée. Ce qui l’horripile le plus, c’est le décalage entre des paroles passe-partout telles que l’on peut les entendre dans une église et la banalité de la vie de tous les jours avec les potins des chiens écrasés et les éternelles infos ressassées à la radio ! Et on prétend être meilleur-e-s ? pour faire quoi ? Les mamies et les papies vont-ils-elles changer le monde ?
Pour elle, la loge est devenue le club des ainé-e-s qui aiment bien parader et sont sensibles à un rituel qui a « de la gueule » » !
Rien de pire pour Monique que de subir la présence de frères visiteurs qui se croient obligés d’intervenir longuement aux questions diverses pour dire combien la tenue à laquelle ils ont assisté les aura marqués ou d’autres banalités de ce genre !
Monique lorsqu’elle s’est intéressée à la franc-maçonnerie était professeur agrégée d’anglais, passionnée par la pratique du yoga ! Avec Pierre, c’est leur passion commune, à laquelle ils se consacrent journellement. Avec le Yoga, elle a approché l’ésotérisme mais surtout l’engagement, la discipline de vie et une certaine rigueur !
En Franc-Maçonnerie, dit-elle « C’est un autre monde ! » ! On se demande si on y croit vraiment !
Monique est convaincue que les francs-maçonnes et les francs-maçons sont d’abord des bons vivants ; des femmes et des hommes qui n’ont pas la tournure d’esprit des intellos ; ce qui compte pour elles-eux, c’est ce qui est concret ! La fraternité et le travail sont des valeurs qui ont un sens ! Mais vouloir leur faire jouer un rôle plus ou moins mystique ou vouloir faire émerger du travail des loges je ne sais quelle nouveauté qui va révolutionner l’humanité, tout cela ne lui semble pas raisonnable !
Femmes et hommes de terrain, les membres de la franc-maçonnerie recherchent d’abord l’appartenance à un réseau d’entr’aide ! Lorsqu’il ou elle rentre dans une loge, très vite la ou le nouvel initié s’aperçoit que le réseau d’entr’aide n’est pas réellement formalisé ; pour l’intégrer cela suppose une certaine recherche avec de nombreuses causes d’erreur : des sœurs ou des frères peu fiables voire mythomanes qui font croire n’importe quoi, des petites vieilles et des petits vieux qui n’ont plus que des souvenirs, sans parler du groupe des enseignant-e-s qui ont trouvé en loge la façon de continuer leur activité corporatiste et qui fonctionnent pour eux-mêmes ! Et puis, il y a toutes celles et tous ceux qui s’imaginent qu’un réseau d’influence c’est la possibilité d’avoir des passe-droits ! Tout cela n’est pas très sérieux !
Pour Monique, le principal inconvénient de son travail en loge c’est un énorme investissement en temps pour des bavardages superficiels ! Elle qui a encore l’âge d’une activité débordante, connaît l’ennui des tenues longues où l’on ergote sur des détails pour au final se coucher à point d’heures !
L’autre défaut qui la laisse pantois, c’est de voir avec quelle facilité des querelles interpersonnelles se développent avec des réflexions aigres-douces pour des susceptibilités formelles ! Cela ressemble parfois à du “clochemerle” !
Ce que dit Monique n’est pas entièrement faux mais n’y-a-t-il pas un élément oublié qui mériterait d’être pris en compte ?
Toute démarche maçonnique n’a de sens que dans un engagement personnel d’auto-formation ; se limiter à piocher ce qui est le plus intéressant et à se lamenter des imperfections n’est pas en conformité avec un investissement personnel dans lequel on est amené à devenir un élément actif de la loge maçonnique à laquelle on appartient ; c’est par l’exemple que l’on donne à voir aux autres membres de la loge que l’on peut espérer agréger des individualités !
Ce travail personnel, fait de lectures, d’interrogations et de remises en question doit être continu ; il fait partie de notre mode de vie et ne se limite pas aux rendez-vous maçonniques ! Il concerne tous les instants de la vie, aussi bien dans notre intimité que dans notre milieu professionnel ; Cette recherche d’authenticité est à la base d’une réflexion qui doit être sincère et personnelle quant au réel intérêt d’une démarche symbolique et maçonnique !
Bien sûr nous en viendrons à remettre en question certains lieux communs, ou l’utilisation d’une langue de bois qui n’a plus de crédibilité !
Bien sûr que nous pourrons remarquer, ici ou là, la médiocrité d’un travail ou d’une intervention mais qu’importe, car nous apprenons aussi que seule la bienveillance permet de dépasser les imperfections de la vie communautaire pour se concentrer sur l’essentiel : le partage, l’émulation et l’authenticité !
Faire en sorte qu’en loge, la culture de la proximité, de la bienveillance et de l’engagement soit une priorité m’apparaît comme la condition fondamentale pour fortifier notre ordre et lutter contre le découragement et la démotivation !
Au diable, les donneurs de leçons qui prétendent que telle interprétation du rituel doit être privilégiée, ou qu’en loge il faut porter des mocassins plutôt que des baskets, ou je ne sais quelle autre fadaise !
Mettre en harmonie nos intentions fraternelles et nos pratiques me semblent une priorité qui malheureusement est souvent négligée !
Il y a des sœurs et des frères qui en oublient le minimum du savoir vivre : sous prétexte d’être soi-disant « au-dessus de la mêlée », elles et ils se comportent comme des malotrus, ne se présentant pas, saluant à peine, faisant les important ! Quel exemple donnent-ils ?
Ce cas d’école rejoint les résultats du sondage que le conseil de l’ordre a commandé à l’IFOP pour comprendre les raisons des démissions et dont le résultat a été donné lors du dernier convent du GODF. Les dissensions qui minent le vécu de nombreuses logres (pour ne pas dire toutes à un moment ou à un autre de leurs existences) sont une des causes du “décrochage” ; si la démission peut en être la conséquence, il y a aussi un décrochage intellectuel qui, sans s’accompagner de démission, transforme la pratique maçonnique comme une routine d’un club, sans saveur ni odeur !
Cher Frère Alain,
Merci pour ton aimable réponse. Mais je ne regrette pas “une perte d’influence de notre ordre”, Je regrette que les francs-maçons n’accomplissent pas, en tout cas pas entièrement, la tâche qui est à l’origine du projet de la maçonnerie moderne. Et pour lequel nous sommes particulièrement bien outillés.
Il faut aider les nouvelles générations à trouver le chemin vers cette franc-maçonnerie des origines, transposée au XXIe siècle.
Mon site web et mon récent livre sont mes modestes contributions à ces efforts. Les lire n’est peut-être pas un travail insurmontable même s’il parait que les nouvelles générations ne lisent plus que des “twitts”.
Première question : Les francs-maçons ont-ils le pouvoir ?
Pour les uns, ils gouvernent le monde. Pour les autres, il ne s’agit que d’un club de messieurs vieillissants, dorénavant aussi de dames qui se réunissent pour deviser aimablement puis banqueter. La franc-maçonnerie moderne est née en 1717 dans quatre auberges de Londres et encore aujourd’hui ses adhérents aiment manger bien, en bonne compagnie.
Alors qu’en est-il de sa supposée main-mise sur l’humanité ?
Deuxième question : Pourquoi au juste adhère-t-on à la franc-maçonnerie ?
Vu de l’extérieur les réunions maçonniques sont bizarres : comment des hommes et des femmes instruits, occupant souvent des postes à responsabilité, peuvent-ils s’astreindre à suivre des rites obscurs, à exécuter des gestes puérils dans des accoutrements qu’ils n’oseraient porter dans la rue, à apprendre le langage de symboles que nos sociétés ont oubliés depuis longtemps au profit du verbe, plus rationnel, à écouter des exposés sur des sujets qui, de prime abord, ne les concernent pas ? A quoi tout cela sert-il?
Troisième question : La franc-maçonnerie s’éparpille entre des centaines d’obédiences.
Elle n’arrive pas à maîtriser les échanges entre elles. Leurs relations ressemblent parfois à des batailles de polochons. Comment peut-elle alors gouverner le monde?
Question adjacente qui s’adresse aux francs-maçons :
Pensez-vous que les mésententes entre les directions des principaux courants maçonniques n’influent en rien sur la vraie raison d’être de ce mouvement ?
Le site http://www.franc-maconnerie-moderne.com/ tente de répondre à ces questions et à bien d’autres.
En 2020, ce site a été développé en livre “Les francs-maçons arrêtés au milieu du gué” que vous pouvez commander dans la plupart de librairies ou sur une quarantaine de sites web de libraires et de chaines de libraires. Des “bonnes feuilles” du livre et des liens vers les libraires sont sur https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/311020/la-franc-maconnerie-gouverne-elle-le-monde
MTCF Peter, je crois que comme de nombreux maçons de base tu regrettes une perte d’influence de notre ordre ! Il n ‘y a pas de solution à court terme et le seul espoir réside dans les nouvelles générations qui trouveront peut-être le chemin vers une une nouvelle franc-maçonnerie plus authentique et plus engagée laissant au vieux monde ses remords !