Je ne sais ni lire ni écrire est la réponse donnée à la demande du mot sacré de l’apprenti. Cette demande se fait par attouchement de la main droite par un maître faisant, discrètement, un certain nombre de pressions sur des parties précises des doigts. Et l’apprenti de rajouter : je ne sais qu’épeler.
On trouve cette notion de lecture-écriture dans le Coran lorsque le Prophète reçoit la révélation de l’ange Gabriel, Djabraïl, qui lui ordonne Ikrà, lis ! Et le prophète comme l’apprenti lui répond : je ne sais ni lire ni écrire.
À propos des Trois coups distincts, présentés comme la première publication du rituel des Ancients, Jean-Claude Villant écrit : On sait maintenant que la formule «Je ne SAIS ni lire ni écrire» en usage en France est une innovation assez tardive du R.E.A.A. Dans l’état actuel de nos connaissances, elle n’apparaît pas avant 1825-1830 et constitue une déviation à prétentions scolaires, moralisantes et sociales comme la Maçonnerie allait se mettre à en véhiculer dans la suite du XIXe siècle. La question n’était pas de savoir ou de ne pas savoir lire ou écrire, mais que conformément au serment on ne devait pas écrire et que par conséquent on ne devait pas avoir à lire les «secrets» des Maçons. La formule du Rite Français, «Je ne DOIS ni lire ni écrire» est en cela conforme aux sources rituelles du XVIIIe siècle et à la logique, même si on usait d’aide-mémoire écrits. Les rituels écrits étaient interdits par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Ce savoir était transmis par démonstration sans prendre de note devant les officiers, à charge pour eux de le retransmettre aux frères de leur loge. Dès le XIXe siècle, deux loges d’instruction, Stability Lodge et Emulation Lodge of improuvement, vont faire apparaître très vite des détails, des workings (un style, une façon de faire, stability working et emulation working), des variantes croissantes car la transmission ne reposait que sur la mémoire.
En 1812, un des premiers manuscrits du R.E.A.A., le premier en tout cas à nous fournir une formule introductive du mot d’apprenti, reprenait implicitement cette notion de devoir. À celui qui demandait le mot, l’interrogé répondait : «Je ne l’ai pas appris ainsi. Dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde» Tout cela révèle à chaque fois un piège : il ne suffisait pas de connaître les mots, encore fallait-il les donner selon la manière en rapport avec le serment et ses interdits.
Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler n’est pas seulement un aveu d’ignorance ou de savoir parcellaire (le néophyte connaît les lettres mais ignore la prononciation), c’est aussi l’amorce d’une méthode d’enseignement, d’un questionnement réciproque, d’une quête. C’est la méthode initiatique : distinguer ce qui est épars pour réunir ensuite, démembrer pour reconstituer. Décomposer le sens en significations aussi nombreuses que possible, puis, ensuite, reconstituer le sens. Pas à pas, lettre à lettre, l’apprenti fait le chemin vers son point central, recevant de la périphérie, entamant son introspection. Mais à chaque lettre donnée par le maître, à chaque parcelle de lumière reçue, l’apprenti répond par une autre lettre, exprimant ainsi que le maître reçoit également de l’apprenti qui n’est autre que son miroir. C’est une dialectique du donner et recevoir.
Progressivement, par cet échange, l’apprenti se voit dévoiler la lettre, pour en découvrir l’esprit, pour y imprimer son esprit. Au-delà du sens du mot épelé, il y a le désir de ce mot et au-delà et de l’articulation de la langue. Chaque frère ou sœur apporte à l’apprenti les éléments de progression nécessaires à la poursuite de son chemin, ne lui donnant la lettre suivante que lorsque la précédente est assimilée ; dans un ordre initiatique et progressif ! Le symbole est langage de l’insaisissable, il offre la liberté de penser par soi-même, de se penser soi-même, de découvrir sa nature intime.
Lire lettre après lettre, c’est comprendre la constitution des choses selon leur essence, c’est saisir le balbutiement du langage qui se crée, qui éclot à la lumière du monde. Lire les mots, c’est s’enfermer dans la totalité, sans avoir parcouru le chemin difficile de l’assemblage d’une lettre à l’autre, sans comprendre le cheminement secret du passage de l’une à l’autre, de la création du sens qui s’ajoute à chaque lettre dans sa relation aux autres, dans son articulation, autrement dit dans son symbolisme. Alors, quand les lettres réunies font renaître le mot, c’est par la compréhension et la réunion de la totalité de son être morcelé corps, esprit, âme, que peut renaître l’apprenti, il apprend à rassembler ce qui est épars. Chaque lettre est le lieu de l’être en potentiel.
Il est expliqué au RER : «Ce faisant, l’apprenti ne prononce que les consonnes du mot [en hébreu, il n’y a que des consonnes], le Vénérable, lui, prononce toutes les voyelles [la cantillation]. Or les consonnes sont l’ossature d’un mot, son squelette, sans lequel le mot n’existerait pas ; les voyelles, elles, sont le Souffle divin (le rouah de la religion juive) sans lequel les consonnes seraient simplement imprononçables.»
Écrire c’est d’abord atteindre certains stades ou niveaux supérieurs du raisonnement, comme faire la synthèse, l’analyse, la création, tout en décryptant les relations qui existent entre les éléments offrant au monde sa structure. C’est ce travail de transmission et de réception, d’élaboration intérieure puis de don au frère ou à la sœur qui en a besoin, au moment où il en a besoin, qui fait que la tradition est vivante.
Cette notion est toutefois une déformation historique du processus rituel de reconnaissance des Anglo-saxons, qui n’a aucune valeur symbolique en soi, mais constitue un rappel de la prudence vis-à-vis de la divulgation de pratiques d’anciens secrets regardés comme tels «Donnez-moi ce mot. – Ce n’est pas ainsi que je l’ai reçu, ce n’est pas ainsi que je le donnerai. – Comme il vous plaira. Donnez-moi la première lettre et je vous donnerai la seconde. – C’est vous l’interrogateur ; c’est à vous de commencer. – B. – O…»
La portée symbolique de la fonction d’épeler « nous oblige à retracer le chemin parcouru par la lumière ontologique jusqu’à nous » À compléter par la lecture d’un texte très pertinent : Ce qu’épeler veut dire.
Rappelons que le prononcé d’un nom est une vibration, que ce qui ne peut être qu’épelé est une protection envers le nom prononcé en entier, qu’il faut un guide et un lieu pour parvenir à évoquer les noms de Dieu tels qu’ils apparaissent dans la Bible. Le Tétragramme (יהוה) en particulier ; prononcer Son Nom en vain était un crime passible de la peine capitale dans la loi juive.
Les lettres séparées n’ont pas de grammaire, c’est dire que l’apprenti ne connaît pas encore cet art libéral dont la connaissance fera l’objet du degré suivant.
Très intéressant ce journal en plus son contenu très édifiant. Que pourrait-on dire de l’outil de communication appelé ” téléphone cellulaire” ?il me semble qu’il soit porteur de toute une révolution du langage et partant de la communication. M.Hagege a cité quelques proverbes chinois. Nous pensons que le proverbe est le cheval de la parole.Quandvla parole de perd, c’est avec le proverbe qu’on la retrouve.