Je suis une planche.
Vous savez, cet exposé écrit lu en loge par un frère ou une sœur, que l’on appelle aussi « morceau d’architecture » en référence symbolique aux pièces de construction.
Nos lointains cousins, bâtisseurs de cathédrales, ne se doutaient pas, en portant les pierres contre leurs cœurs, au risque de leur vie, sur la planche étroite de l’échafaudage, que celle-ci comportait plusieurs sens ! Confiants en ma solidité, préoccupation majeure, ils ignoraient que je leur indiquais aussi une direction à suivre. Et par métaphore, une transformation de leur progression pas à pas, en actes positifs dans la cité.
De matériau de chantier élevant l’homme vers le ciel, je suis ainsi devenue de la « matière à penser » horizontale pour lui permettre de mieux avancer vers les autres ! De support des corps, me voici métamorphosée en support de réflexion. Et même en tremplin pour permettre aux maçons de l’esprit de bondir dans le vaste domaine de l’imaginaire ! D’une planche, l’autre. A écrire et à lire, pour être écoutée, réfléchie, augmentée, reproduite. Copiée, traduisent outrés les « étroits penseurs ». Transmise, rectifient souriants, les « larges d’idées ». Car tel est bien là, le credo même des francs-maçons : la transmission ! Sous toutes ses formes. Pourvu que, planche de mon état, j’enrichisse quelqu’un. Rédacteur, auditeur, lecteur. Et même l’emprunteur occasionnel, passeur à sa façon, à qui je transmets, qui sait, du désir. A savoir, le modèle même pour écrire un jour une planche, à son tour. Au fil du temps, l’homme ne doit-il sa survie à l’imitation qui engendre elle-même la création ?! Dès lors, trêve de morale culpabilisante : il n’y a pas de maçons plagiaires, il n’y a que des frères à instruire !
En loge, il est dit rituellement au moment du débat « Que la parole circule ! ». Alors que la mission acceptée de l’initié (e) est de transmettre généreusement ses acquis, des milliers de planches sont écrites chaque jour dans le monde, exprimées et commentées une seule fois en loge, le plus souvent devant un auditoire restreint ! Puis, enfouies dans un tiroir, à la maison revenues ! Des heures d’écriture pour une heure d’existence ! Pourquoi me condamner ainsi aux ténèbres, quand j’ai vocation à la lumière !
Enterrer une planche, c’est aussi enterrer la pensée ! Or, par définition même, plancher c’est, par l’écrit et la parole, transmettre « du vivant », à des vivants ! La planche que je suis est faite pour rayonner, donc, tout au contraire de la rétention, atteindre le plus grand nombre.
Il est de bon ton de brocarder les prodigieux outils de la technologie moderne, qui sont utilisés chaque jour…par leurs détracteurs eux-mêmes. Entre autres, l’Internet – cette bibliothèque virtuelle tentaculaire et tentatrice – est accusée de bien des maux ! Accoutumance, ingérence, permissivité, suppression de l’effort intellectuel, etc. C’est ainsi, le meilleur des médicaments a des effets secondaires, réels ou fabriqués !
La franc-maçonnerie et les francs-maçons ne peuvent évidemment pas faire aujourd’hui l’économie de cet Internet. N’en sont-ils pas d’ailleurs de très grands consommateurs ?! De la sorte, sortie du Temple pour accomplir sa destinée, la parole maçonnique circule aussi avec bonheur sur les ondes informatiques ! Elle bénéficie largement des avantages de l’outil : facilité d’accès, instantanéité, diffusion élargie à la planète. Autrement dit, présentation au grand jour de l’Institution, si longtemps étouffée par le secret, lequel, nécessaire en une dramatique période, n’est plus guère de mise à l’heure de ladite mondialisation ! Partant, comment pourrait-on reprocher aux fidèles servants de l’Art Royal – lequel veut améliorer ses membres et parfaire l’humanité – d’informatiser leurs réflexions correspondantes ?! Il est tout à fait pensable que dans un avenir proche, les obédiences mettent nombre de travaux numérisés à la disposition du Grand Public. L’appétence d’un lectorat, donc le recrutement possible, passe aussi par ce média ! Le succès des différents sites, diffuseurs de documents et travaux maçonniques, n’est pas seulement dû, loin de là, à quelques frères saisis de paresse passagère ou en panne d’idée momentanée ! Au delà de ces clichés faciles, il correspond à une réelle curiosité, c’est à dire à une faim d’information qu’il convient de rassasier !
Les planches sont parties intégrantes de ces travaux. Telle une eau de source, la planche que j’ai le plaisir d’être, est faite pour jaillir et alimenter les ruisseaux et fleuves du savoir ! Je mérite souvent un prolongement après ma prestation en loge ! Parce que, au delà du support de réflexion, je peux constituer un moyen de recherche, de perfectionnement, bref, de créativité. N’oublions pas ce que la France doit à cette créativité maçonnique. Au début du XXème siècle, à l’ère industrielle naissante, faites de grandes avancées mais aussi de graves inconvénients, les planches contenant des propositions humanistes étaient transmises aux députés. C’est ainsi que furent traités à l’Assemblée Nationale, des sujets aussi importants que les retraites de vieillesse, la dénatalité, la réglementation du travail pour les hommes, mais aussi pour les femmes et les enfants, la criminalité, la liberté d’association en 1901, la laïcité de l’enseignement en 1905, le premier système d’assurances sociales pour l’industrie et le commerce en 1930. Les maçons ont eu une ultime satisfaction en 1936, avec l’instauration des congés payés, qu’ils avaient suggéré avant la seconde guerre mondiale.
Autant de planches, autant d’étoiles dans le ciel maçonnique, autant de petites lumières brillantes d’idées pour le progrès humain. Autant de réflexions à mener pour demain.
Il reste du pain sur la planche. La prochaine est toujours à écrire. Avec ardeur, avec amour. Avec humeur, avec humour. Au fil des mots et de leurs jeux, moi, la planche, j’aime faire sourire aussi : Pour que l’écrit dure, il faut que le stylo graphe !