Tapis, tableau ou tracé de loge sont les mots pour désigner une image narrative composée de nombreux objets symboliques liés à l’art de bâtir ou à l’architecture. Cette collection d’objets se combine pour donner un sens opératif, symbolique et métaphorique au Tableau. Cette lecture symbolique se dédouble en construction de soi et en construction d’un monde idéal.
Selon Étienne Hermant, nous ne disposons d’aucune trace d’un quelconque Tableau de Loge dans les premières divulgations (ni au XVIIe siècle avec le Register House, ni dans le premier tiers du XVIIIe siècle avec les divulgations écossaises, irlandaises et anglaises). Aucune trace d’un quelconque Tableau de Loge dans les quelques 120 Old Charges. Le Compagnonnage français n’en fait pas plus état (il est question d’épures, mais sans références à un quelconque support). Dans le Manuscrit Simon and Philip daté de 1725 /1740, il y a deux dessins de la forme d’une Loge (tracé du périmètre de la Loge des Old Masons et des New Masons) et non de Tableaux de Loge (Le tracé du tableau de loge fut dénommé «Plan de la Loge», ou «Véritable plan de la loge de réception d’un Apprenti Compagnon »). Pas de trace de tableaux de Loge non plus dans le Masonry Dissected de Prichard de 1730. En Angleterre, la première apparition d’un Tableau de Loge se dégage d’une illustration de 1742 connue sous le nom de Grand procession of the Scald Miserable Masons, Passing Old Somerset House, Strand, London. On fait état de tracés à la craie vers ces années, voir ultérieurement (dans Jachin and Boaz, par exemple, daté de 1762) en affirmant que ces tracés étaient pratiqués par la Grande Loge de Londres. Il n’est pas exclu que, vers 1720, les premiers maçons spéculatifs n’avaient pas de Tableaux de Loge. «L’hypothèse avancée ferait état de l’emploi de la craie par les Old Masons et du ruban par les Moderns.
Avant la création de la première Grande Loge de Londres et Westminster en 1717, de nombreuses Loges étaient privées de lieux spécifiques et se réunissaient dans des maisons privées (on le voit encore sur le Tableau général des 129 ateliers de 1930 sous le numéro 105, pl. n° 7a du texte Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde ), voire sur des bateaux, ou des auberges et une forme était délimitée par un marquage au sol qui devenait le lieu consacré à la Loge. La forme tracée était celle d’une croix avant que Désaguliers n’en fasse un rectangle. Il est aussi admis que l’une des innovations introduite vers 1720 par Désaguliers a été l’utilisation de rubans, clous, lettres mobiles, étoiles, etc., en lieu et place de l’ancien système consistant à tracer la Loge avec de la craie ou au charbon sur le sol du local «en remplacement de la grande indignité de la serpillère et du seau». Par la suite c’est le tapis de Loge qui remplacera tout tracé.
Tout lieu où se réunissaient les francs-maçons, auberges, tavernes, salons ou antichambres, pouvait donc être transformé en temple. Il suffisait pour cela de tracer à la craie, sur le sol, le tableau symbolique du degré auquel l’atelier ou la loge travaillait (Le Maçon démasqué ou le vrai secret des francs-maçons, page 25). Ensuite on effaçait ce tableau après chaque tenue.
Mais dès le début des années 1740, par commodité, mais aussi pour assurer l’exécution d’une compostions graphique et symbolique toujours exacte, on prit l’habitude de les réaliser sur des supports de bois ou de toile que l’on disposait sur le sol pendant le temps des travaux, d’où le nom de tapis de loge. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, les éléments symboliques constitutifs du tableau de Loge (puis tapis de Loge) vont muter, d’abord depuis ce tableau vers les tabliers, qui deviennent vite de véritables tapis de loge portatifs, vers des objets que l’on porte ou que l’on emporte avec soi – vaisselle, cannes, tabatières – puis vers les parois, sols et plafond du local de réunion, salon particulier ou arrière salle de taverne, et temple de circonstance (François Gruson, Architecture maçonnique, architecture de l’esprit.
Le tableau de loge ne fut pas toujours couché sur le sol. En effet, les Ancients, la Grande Loge rivale de la grande loge d’Angleterre de 1717 dite des Moderns, ignoraient l’usage du tableau. Le centre de la loge répondait, chez les Ancients, à un agencement précis, mais le tableau n’y figurait pas, alors que les Moderns en faisaient un élément essentiel au centre de la loge. D’où le compromis curieux de l’Union de 1813 qui marqua la naissance de la grande Loge unie d’Angleterre : on garda le tableau des Moderns, mais pas au centre la loge. Il fut déposé debout contre le plateau du 2nd surveillant. On trouve également des témoignages iconographiques du 18ème siècle où la tenue se faisait autour de la «planche à tréteaux» ou «tableau de chevalet». Les Frères, réunis au centre de la loge, sont assis autour d’une table dressée sur des tréteaux et sur laquelle repose le tableau lui-même. Les Officiers sont placés autour de ce tableau et le travail se fait sous la direction du Vénérable Maître. On peut alors étudier et commenter les différents éléments du tableau qui sont sous les yeux des Frères, et alterner ce travail avec la citation et les commentaires des Instructions qui s‘y rapportent dans les différents grades.
Et puis, certaines loges, étant arrivées peu à peu à acquérir la disposition de locaux réservés, firent figurer les décorations rituelles à leur place précise ; au lieu de rester sur un plan, les symboles furent érigés en volume. Ce fut le début des constructions de temples maçonniques, mais on conserva le tapis de loge pour sanctifier le temps et l’espace des tenues. Autrement dit, le tableau de loge n’est pas la projection au sol du temple maçonnique, mais au contraire c’est le décor du temple maçonnique qui est la représentation en trois dimensions du tableau.
Aujourd’hui, il est un tableau (ou un tapis) représentant les éléments symboliques les plus importants du degré pratiqué dans la loge. Les éléments qui composent le tableau forment autant de plans superposés : un plan spatial et cosmologique, un plan architectural, un plan opératif (matériaux, outils, connaissances utiles à l’art de bâtir), un plan religieux (le cordon aux deux lacs d’amour d’origine chrétienne), un plan d’ars memorandi. Par le Tableau de loge et par la taille de sa pierre, le franc-maçon affirme son intention de s’unir à la totalité en reproduisant pour lui-même (dimension éthique) et pour le monde visible et invisible (dimension métaphysique) une analogie symbolique. «Ce Tableau architecturé, centré, éclairé et ordonné est un réceptacle qui permet d’appréhender une méthodologie, un paradigme et les fameuses lois de correspondances si chères aux maçons-symbolistes, aux hermétistes et aux métaphysiciens. Il suggère une spiritualité construite agissante, car la fonction de la loge est d’éveiller sur les trois plans, physique mental et spirituel des maçons qui tailleront leur pierre et bâtiront un Temple pour la Lumière!»
«Il y a donc une corrélation entre l’opératif expérimental et l’opérant en soi par une orthodoxie de la triangulation montante et lumineuse (ORA) d’une part, et une orthopraxie descendante dans la matière et en soi (LABORA) d’autre part. Les deux aspects sont indissociables et constituent l’initiation au réel.»
Le tapis de loge est déposé au sol. À un moment donné du rituel, il est déroulé (matière souple) ou découvert (panneau rigide), dans certains rites, au début de la cérémonie et replié ou retourné à la fin. Il est parfois dessiné en début de tenue, puis effacé, parfois il est construit avec les outils qu’il est censé évoquer (au OITAR par exemple).
L’ensemble combiné donne une incorporation du symbole par la geste du grade, par ses pas, ses signes, postures et circulations. Les éléments graphiques du Tapis font allusion à quatre bipolarisations :
La relation entre le plan terrestre et le ciel génère la vie sous l’égide de la Lumière (les cycles cosmogoniques, lune-soleil, colonnes solsticiales) dont la loge est témoin.
La relation entre la matière transformée et l’esprit produit une pierre cubique.
La relation entre outils, instruments et l’œuvre à accomplir enfante la réalisation de soi face à l’être épars.
La séparation de l’espace sacré et ordonné (murailles du temple, porte) du monde profane désordonné réalise : 1- sur le plan horizontal l’union des Frères et sœurs (corde à nœuds, houppe dentelée, grenades) en opposition au monde profane sans filiation ; 2- dans l’axe vertical la relation au divin, transcendance, spiritualité… (temple, maison du divin), en opposition au monde du dualisme.
Il faut «tirer l’élévation du plan» du tableau pour en saisir les différentes composantes et voyager dans les espaces symboliques. Le monde céleste est couvert de la voûte étoilée, et le monde souterrain est accessible via la tombe ou une trappe placée sous le tableau de loge, ou au moyen d’escaliers associés à d’autres temples dans les Hauts Grades.
“Le tableau de loge devient le support de «l’être-ensemble». Il est une imagination créatrice «orientée» et «ordonnée» par la conscience éclairée et «concrétisée» par l’acte de bâtir un temple, fut-il intérieur. Par la correspondance analogique on relie que ce qui est en haut à ce qui est en bas, mais aussi le ciel et la terre , l’esprit et le corps, l’intérieur et l’extérieur, l’inconscient et le conscient, le caché et le visible, la cause et la conséquence, la pensée et la matérialisation, l’inconnu et le connu. et il ne reste plus qu’à «réaliser» le modèle dessiné sur le Tableau de notre projection mentale. Cette dernière phase sera l’action sur nous-mêmes et dans le monde.” (Poursuivre avec la lecture du texte complet Tableau de Loge et lois de correspondance)
Analysant les tableaux du deuxième grade de la Maçonnerie anglaise, Philippe Langlet souligne que «les Tableaux illustrent graphiquement une partie de ce que les rituels énoncent» et d’ajouter «les Tableaux utilisent, de manière récurrente, des symboles du divin, et les placent de telle manière qu’ils soient perçus avant tout autre élément». En somme le tapis recouvre la matérialité du pavé mosaïque par une visée spirituelle en tant de lieu central et sacré de la Loge.
N’oublions pas que le tapis de loge est «effacé» à la fin des tenues. Il y a des raisons à l’effacement du tableau de Loge «Dessiner le tableau de loge reproduit à notre échelle humaine un analogon du pouvoir du Créateur. Il résulte de la concordance symbolique entre le Temple (représenté par le tableau de loge) et le premier récit biblique de création que l’effacement rituel du tableau de Loge à la fin de chaque tenue symbolise ainsi le pouvoir toujours effectif du chaos et sa lutte constante avec l’ordre de l’univers.»
Indications pour tracer un tableau de Loge au 1er degré
Le tapis, d’une grandeur proportionnée au local, doit former un carré long, en sorte que sa largeur. Soit à sa longueur comme 2 est à 3, il est entouré dans toutes ses parties extérieures d’une large bordure à compartiments.
La partie inférieure, ou d’occident, qui fait le tiers de la longueur totale du tapis, représente le porche du temple. Dans cette partie et à l’angle occidental du tableau du côté du nord, est peinte ou tracée la pierre brute, et à l’angle occidental du côté du midi est la pierre cubique ; au milieu, entre les deux, mais sur une ligne plus élevée, est figurée la planche à tracer. Ces trois symboles doivent former ensemble un triangle.
La partie supérieure du tapis, à l’orient, forme un carré qui représente le temple intérieur; c’est là qu’est placée, au centre, l’étoile flamboyante à cinq pointes, ayant la lettre G peinte en or au milieu. Dans cette partie, à l’angle oriental du côté du nord, est l’image de la lune dans son plein, et à l’angle oriental du côté du midi est l’image du soleil. Dans le carré supérieur et tout autour est figuré un cordon à houppes dentelées dont les nœuds descendent jusqu’à sa partie inférieure. L’étoile flamboyante est entourée des trois bijoux maçonniques formant ensemble un triangle, savoir l’équerre au-dessus, à l’orient; le niveau au-dessous, du côté du midi; le perpendiculaire vis à vis, du côté du nord; l’étoile flamboyante formant le centre.
La communication du porche au temple est indiquée au bas de ce carre, a l’occident, par une porte fermée, accompagnée extérieurement de deux colonnes élevées sur leurs bases, et avec leurs chapiteaux, l’une au nord et l’autre au midi : celle du nord porte la lettre J sur le milieu de la hauteur de son fût; au tapis de la loge d’Apprenti, il n’y a aucune lettre sur celle du midi, la lettre de cette colonne étant réservée aux Compagnons, et ne devant point être connue des Apprentis.
On monte à la porte du temple par un escalier de sept degrés peints ou tracés dans la partie du porche, en forme de portion de cercle; le troisième degré en montant forme un palier avec le chiffre 3; au cinquième degré est aussi un palier avec le chiffre 5; et sur le septième degré est le chiffre 7; là commence le pavé à la mosaïque figuré en losange, et formant un parvis circulaire qui se termine à la porte d’occident, laquelle est fermée.