Interview effectuée par notre confrère Olivier Tourchon de brillantemagazine.com
A 65 ans, Catherine Lyautey est retraitée depuis le 1er juillet “précisément” comme elle se plaît à le rappeler. Cette femme dynamique a mené deux vies professionnelles bien différentes. A ses débuts, Catherine œuvre 20 années dans le domaine de l’horlogerie bijouterie. C’est après avoir vécu de multiples agressions qu’elle décide de raccrocher. Elle entre alors au Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, où elle travaille en tant qu’Assistante de Cabinet Ministériel.
Catherine Lyautey a été élue Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France le 29 mai dernier. Pour les profanes, elle est devenue présidente de la plus grande organisation Féminine Franc-Maçonne en France et dans le monde.
L’organisation à la tête de laquelle elle œuvre aujourd’hui possède une particularité. Elle est entièrement féminine. Ses membres, à l’instar de l’ensemble de Sœurs et des Frères maçonnes et maçons, travaillent à forger leur conscience du monde et de la société. Souvent caricaturée, parfois haïe, la Franc Maçonnerie est trop méconnue pour qu’elle ne suscite pas notre attention, qui plus est lorsqu’elle est emmenée par une femme.
Parcours profane et Maçonnique mêlés
Lorsqu’on demande à Catherine Lyautey, de nous parler de son parcours Maçonnique, il est intimement mêlé à celui de sa vie profane. La Grande Maîtresse nous explique : “En 1994, après une énième agression dans la joaillerie où je travaillais, j’éprouvais le besoin ardent d’une rupture. Je sentais que la rupture professionnelle était consommée, mais je sentais aussi qu’elle ne suffirait pas. J’étais en quête de sens, à la recherche d’un chemin et d’un but” commence-t-elle. Avant de poursuivre sur son Histoire sacrée : “Je m’intéressais aux offres de développement personnel, scientologie et autres promesses de mieux-être se présentaient comme autant de réponses, mais l’esprit indépendant que je suis ne se contentait pas de ces bonimenteurs. J’étais en quête, en recherche de spiritualité. J’ai rencontré un Franc Maçon avec qui j’ai longuement échangé de ma quête. Il m’a faite parler et m’a écouté. Il a su me proposer non pas des réponses comme le faisaient la plupart des mouvements à tendance sectaire d’alors, mais d’une nouvelle démarche intime de mon horizon personnel, au travers de la Maçonnerie.”
Ainsi, la rencontre féminine aura-t-elle été initiée par un homme. “Ce Maçon m’a proposé de rencontrer des femmes de la Grande Loge Féminine de France (GLFF)”.
Le reste, l’histoire parle pour elle-même, comme l’explique Catherine Lyautey : “J’ai intégré la GLFF au sein de laquelle j’ai été initiée. Je ne savais pas précisément qu’il existait, dans la Maçonnerie, des loges mixtes et des loges féminines. Du reste, on ne précise pas “loge masculine”, c’est curieux” commente-t-elle. “Je me suis fortement impliquée dans la vie de mon obédience. Je suis entrée au Conseil d’Administration de la Grande Loge en 2015, puis mes Sœurs m’ont rapidement sollicitée pour que je fasse acte de candidature pour devenir Grande Maîtresse, ce qui est arrivé le 29 mai dernier”.
Rapport à l’être intime de chacun
On pourrait fantasmer la Franc Maçonnerie, victime des images trop souvent véhiculées, bloquée entre des traditions séculaires et des rites occultes. Elle est une relation avec le soi intime, la recherche d’une meilleure conscience du monde et de ce qui le fait fonctionner. C’est ce que nous explique Catherine Lyautey lorsqu’on parle de l’apport que la Maçonnerie a avec l’être intime de chacune : “Pour une femme, être en Maçonnerie fournit un espace de liberté absolue, un lieu à couvert. Les femmes sont confrontées au besoin de gérer plusieurs choses en même temps : ce qu’on appelle communément la « charge mentale ». Elles sont mamans, épouses, amantes, infirmières et comptables tout en étant pour la plupart devenues des professionnelles dans des secteurs d’activité divers.”
La Franc Maçonnerie, vecteur de liberté féminine
La Franc Maçonnerie octroie -t-elle, ainsi aux femmes la liberté que la société ne leur accorde pas ?
C’est ce que revendique Catherine Lyautey :
“Les femmes demeurent prisonnières des limites d’expression et de parole que l’histoire a mises en place. Être dans une loge, c’est s’accorder deux fois par mois, au cours des « tenues », un espace réservé. C’est un bastion de liberté absolue pour les femmes. « Être Franc-Maçonne », continue Catherine Lyautey, “c’est aller au plus intime de soi pour essayer d’édifier un monde meilleur. C’est aller à sa propre rencontre pour se connaître soi-même. Avant toute chose cela passe par le regard des autres. C’est cela la démarche initiatique et qui permet ensuite d’agir sur le monde”. La parole est claire, la Franc-Maçonnerie n’est pas en marge, elle s’intègre au monde actuel et ses membres sont avant tout des Citoyennes et des Citoyens.
Comment la Grande Maîtresse définit-elle la cause féminine ?
« Les fondatrices de la GLFF avaient comme but l’émancipation des femmes à l’aide de la démarche symbolique. Nous continuons d’essayer d’être à la hauteur de la transmission que nous avons reçue, pour la rendre meilleure lorsque nous la transmettons à notre tour. La cause féminine, c’est exiger sa place de femme dans la société. C’est le dessein du travail initiatique en loge que de permettre à chaque Sœur de conquérir cette place. C’est en cela que la Franc-Maçonnerie est une Société initiatique” poursuit Catherine Lyautey.
Initiation, certes, mais comment quantifier l’apport de la libre-pensée à la cause féminine ?
“Je ne sais pas s’il y a un apport de la Maçonnerie à la cause des femmes”, commence la Grande Maîtresse, “mais ce dont je suis certaine, c’est que chaque Sœur mûrit une réflexion qui lui est propre, elle l’apporte et la partage autour d’elle. Les Maçonnes et les Maçons ont été et demeurent amenés, comme tous les Citoyens d’ailleurs, à réfléchir sur des questions de société. La Franc-Maçonnerie est reconnu par les autorités comme « famille de pensée ». Nous tentons d’exiger toute notre place dans la citoyenneté d’une façon globale.”
« La société est composée de la religion, aussi », c’est ce par quoi conclu la Grande Maîtresse, “La devise de la République française, Liberté, Egalité, Fraternité devrait être complétée par “Laïcité”, car, généralement, lorsqu’on parle d’absence d’un droit pour les femmes, il y a du fait religieux alentour”.
Penser, réfléchir, se remettre en question… Certes, ce sont des actions bénéfiques à l’individu et à son développement . Cependant, la discrétion volontaire sur les actions de la Grande Loge Féminine de France et de la Franc-Maçonnerie dans son ensemble en empêche la visibilité. Catherine Lyautey nous parle ainsi des actions concrètes de l’obédience qu’elle mène aujourd’hui.
Fond de dotation « Femmes Ensemble »
“Nous avons établi un fond de dotation “Femmes Ensemble”. Il a pour objectif de soutenir toute action d’intérêt général qui vise à la solidarité, à la défense des droits des femmes et, enfin, au rayonnement des valeurs défendues par la Franc-Maçonnerie féminine. Sans prosélytisme ni publicité. » « Plus récemment” poursuit-elle “Nous avons apporté un soutien financier aux Banques Alimentaires qui ont été fortement mises sous tension au cours de la crise sanitaire que nous traversons. Un grand nombre de nos Sœurs nous ont interpellées sur les difficultés des femmes durant cette période. Encore une fois, cette crise sanitaire aura mis en exergue le fait qu’être une femme représente généralement un handicap supplémentaire lorsque les choses vont moins bien. C’est cette double peine que connaissent les femmes incarcérées, auxquelles nous souhaitons fournir du soutien matériel.
Enfin, nous sommes partie prenante en communication et en actions chaque année à Octobre Rose en faveur du dépistage du cancer du sein chez les femmes. Individuellement, enfin, nos Sœurs sont, à titre personnel, extrêmement investies dans la vie associative et culturelle dans leurs vies profanes. Leur engagement dans l’obédience est un vecteur de confiance en elles qui fait trop souvent défaut aux femmes. Conquérir cette confiance, c’est oser aborder sa place dans la cité » termine la Grande Maîtresse.
Le Covid a accru les inégalités entre hommes et femmes
La récente crise sanitaire – non encore entièrement achevée – a certainement donné une visibilité accrue à la position des Femmes dans la société.
Qu’en pense la responsable d’une organisation uniquement féminine comme la GLFF ?
“Les femmes représentent immanquablement la variable d’ajustement dans les crises sociales. Si, au sein de certains foyers, la coexistence imposée par les confinements a pu amener à une prise de conscience des unes et des autres sur le cumul des charges, c’est sur les femmes qu’au cours de cet épisode la société a fait peser la plus grande charge. Y-compris en télétravail par exemple, les femmes effectuent de fausses pauses, interrompant l’activité professionnelle pour aller sur l’activité ménagère par exemple. À distance, il existe une suspicion sur les femmes que les hommes ne connaissent pas. Clairement, un manager pensera qu’une femme s’occupe des enfants si elle n’est pas devant son écran, là où il pensera qu’un homme est en train de préparer un café.”
La Franc Maçonnerie est le reflet de la société
À propos de fonctionnement organique, la Franc-Maçonnerie est un ensemble d’obédiences et de loges qui, si elles embrassent des principes fondamentaux les unes et les autres, disposent d’une approche diverse de la manière d’étudier les sujets en question. Certaines obédiences seront particulièrement symboliques là où d’autres travaillent sur les rites traditionnels. Néanmoins, on peut imaginer que, moderne, la Franc-Maçonnerie ne restreint pas les possibilités d’évolution des femmes en son sein.
Qu’en est-il réellement ?
“La franc-maçonnerie est le reflet de la société” commence Catherine Lyautey. “Lorsque vous entrez dans la Maçonnerie, vous pénétrez une association d’êtres humains. On peut parfois être déçu par un maçon, jamais par la méthode maçonnique. Il y demeure les mêmes problèmes que dans le reste de la société. Certaines obédiences [Le Grand Orient de France NDLR.] viennent de s’ouvrir à la mixité, c’est positif. Sauf que le plateau de secrétaire a quasiment systématiquement été donné à une femme. L’excellente nouvelle c’est que cela change, car les femmes n’ont pas envie de reprendre ces seuls rôles. Il ne faut pas se représenter la Franc-Maçonnerie comme hors-sol ou hors-société, elle représente une partie de la société car elle est faite de personnes, des mêmes personnes qui constituent la Cité au sens littéral du terme. »
La Grande Maîtresse de poursuivre “Dans la société actuelle, l’homme n’octroie pas sa place à la femme. Nous, les femmes, devons devenir bien plus conscientes de nos capacités que nous ne le sommes. Nous devons cesser d’élever nos filles dans ce schéma de soumission inconsciente aux hommes. Le poids des années et des traditions est immense, il faut que les femmes apprennent à déconstruire les clichés. Inconsciemment, il faut que les femmes se libèrent de ces chaînes-là. Pour y parvenir, il faut que les femmes travaillent sur elles, échangent entre elles et avancent. Il faut rappeler les messages aux femmes, remettre sans cesse l’ouvrage en question et essayer de l’améliorer. C’est en ce sens que la Loge est un endroit idéal pour travailler, individuellement et entre Sœurs sur la manière de transmettre les messages que les femmes veulent passer.”
Les femmes plus jeunes tendent à oublier les combats des précédentes
Les droits des femmes sont, aujourd’hui, largement supérieurs à ce qu’ils étaient il y a à peine 50 ans. Tout est gagné ?
“Je me rends compte en parlant avec des femmes plus jeunes qu’elles pensent que les choses sont acquises. Les générations actuelles sont conscientes des combats qui ont été menés et remportés, tout en pensant que c’est acquis et que plus rien ne pourra régresser. C’est une erreur majeure, car il suffit qu’une crise économique arrive pour que les droits changent vers la moins-disance. Les femmes doivent perpétuellement demeurer vigilantes pour conserver les droits acquis par les générations précédentes et combattre pour ces droits. Les actions récurrentes de tous les intégrismes religieux sont la démonstration que tout peut se perdre. Vigilance, donc !”
La Franc Maçonnerie est un parcours intime
Qu’est-ce qui, en 2021, peut mener une femme à s’intéresser à la maçonnerie ?
“Il y a dans notre société actuelle florilège d’offres de coaching, de développement personnel et autre travail psychologique sur soi. Les femmes doivent être extrêmement attentives sur ce qui est proposé et s’assurer que certaines frontières ne sont pas franchies. La Franc-Maçonnerie n’offre pas de prêt-à-penser, elle est un questionnement perpétuel. La loge et le travail en son sein engendrent une remise en cause permanente de ce qu’on pensait. C’est une société initiatique. Elle apporte, je crois, une réponse éclairante à toutes celles qui se questionnent sur le monde et sur leur place en son sein, en recherche de spiritualité. C’est à présent aux Maçonnes et aux Maçons de s’extérioriser pour parler de ce qui est proposé, de ce qui se fait et de ce qu’il est réalisable d’apporter et de trouver dans la démarche Maçonnique.”
La Franc-Maçonnerie, une société pas si secrète..
La Franc-Maçonnerie est assez peu visible, c’est certainement ce qui peut engendrer cette impression de société secrète. C’est, du reste, un des principes de fonctionnement de l’organisation.
Est-elle encore adaptée aux nouveaux modes de communication ?
“Nous ne sommes assurément pas une société obscure ou encore secrète” rétorque Catherine Lyautey. “Nous sommes discrètes car nous représentons une association pas comme les autres, autant prendre la parole nous-mêmes pour parler de qui nous sommes. Qui mieux qu’une maçonne peut parler de la maçonnerie ?” Développe la représentante de la GLFF. « Et c’est un fait (Tout relatif NDLR), aucune association, quel qu’en soit l’objet, ne communique sur les membres qui la composent. Pourquoi la Franc-Maçonnerie française serait-elle enjointe à le faire ? »
Il faut que les femmes prennent leur place, toute(s) leur(s) place(s) !
La nouvelle Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France a-t-elle un dernier message à passer ?
“Il faut que les femmes prennent leur place, toutes leurs places. Il ne faut pas attendre qu’on la leur laisse, elles doivent la prendre. Être Franc-Maçonne apprend à pouvoir s’exprimer, à acquérir un esprit critique La loge demeure un espace de liberté, d’écoute respectueuse et de bienveillance entre nous. Que les femmes aillent au-dehors et prennent leur place, dans toute son intégralité, sans crainte des erreurs, des railleries ou des blocages. »
Elle ajoute
“Une de nos pionnières disait “je suis une femme ordinaire avec une exigence en plus”.
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Nous remercions Olivier pour son interview :
Olivier, 45 années et quelques. Passionné de choses et d’êtres. Je ne supporte pas de voir une porte fermée, je veux systématiquement voir ce qu’il se passe derrière. Voir plus d’articles