Dans un paysage éditorial français en pleine mutation, le secteur des livres dédiés à la Franc-maçonnerie apparaît comme un cas d’école particulièrement alarmant. Ce marché de niche, déjà marginal par nature, subit de plein fouet les transformations structurelles d’un marché dominé par une poignée de géants et fragilisé par la digitalisation. Avec seulement 0,24 % de la population française membre de la Franc-maçonnerie – soit environ 160 000 personnes sur 67 millions d’habitants –, le potentiel de lecteurs reste microscopique et l’équation économique ressemble à une aporie.
Ajoutez à cela l’arrivée disruptive d’Amazon, qui érode les ventes en librairie et une industrie du livre générale en mutation, et vous obtenez un tableau sombre : un effondrement consenti, comme le diagnostique l’auteur Raphaël Delpard dans une tribune récente sur Actualitté.com. Cet article explore ces dynamiques, en s’appuyant sur les chiffres clés du Syndicat National de l’Édition (SNE) et l’analyse percutante de Delpard, pour comprendre comment un domaine aussi symbolique que la Franc-maçonnerie pourrait bien être le canari dans la mine d’une édition française en perte de vitesse.
Le marché du livre en France : des chiffres inquiétants qui masquent une crise en devenir
Raphaël Delpard, dans sa tribune publiée cette semaine sur Actualitté.com intitulée « L’édition française va mal ? Le lecteur n’a pas disparu. Il s’est déplacé », dresse un portrait sans concession d’une industrie en « effondrement consenti ». Loin d’attribuer la crise à des facteurs externes comme la pandémie ou la concurrence numérique, Delpard pointe une abdication intérieure : « L’édition française ne va pas mal par accident. Elle va mal par renoncement. » Il dénonce un conformisme rampant, une frilosité intellectuelle et une politisation excessive qui transforment les éditeurs en « gestionnaires de flux » plutôt qu’en découvreurs de voix nouvelles.

Selon Delpard, le problème n’est pas la quantité des livres publiés, mais leur homogénéité : « Même sujet, même ton, mêmes indignations prémâchées. » Il critique une édition alignée sur une « gauche culturelle » dégradée, où l’autocensure règne et où les voix dissonantes sont ignorées. « L’édition se replie sur un entre-soi qui se félicite lui-même de son audace imaginaire », écrit-il, soulignant une perte de curiosité et de risque. Les libraires, souvent idéalisés comme « remparts de la culture », sont ramenés à leur réalité commerciale : soumis aux offices et aux médias, ils privilégient les « bons coups » au détriment de la diversité.
Delpard insiste : le lecteur n’a pas disparu, « Il s’est déplacé ».
Lassé d’une production répétitive et moralisante, il se tourne vers d’autres supports – numériques, auto-publiés ou alternatifs. Cette analyse résonne particulièrement pour l’édition maçonnique : un domaine où les ouvrages symboliques, ésotériques ou historiques pourraient innover, mais qui reste prisonnier de clichés et de rééditions. Dans un marché où les grands éditeurs comme Hachette ou Editis dominent, les niches. Dans ce contexte, comment la Franc-maçonnerie pourrait-elle émerger et se déconfiner des circuits spécialisés en phase de déclin ?
Dans ce marché en pleine mutation, les Éditions LOL tentent de tirer leur épingle du jeu et proposant un modèle totalement nouveau qui repose sur un principe de production en flux tendu des ouvrages, misant fortement sur ses auteurs en leur proposant une remise de 50% sur leur propre ouvrage.
Le marché maçonnique : un microcosme marginal et en régression
La Franc-maçonnerie française, avec ses 160 000 membres (0,24 % de la population), représente un marché microscopique. Les livres maçonniques – rituels, histoires des obédiences, essais philosophiques – se vendent à des tirages modestes, souvent inférieurs à 1 000 exemplaires par titre. Les éditeurs spécialisés, comme Détrad, Dervy ou Conform Édition, survivent grâce à une clientèle fidèle, mais l’arrivée d’Amazon a accéléré l’érosion des librairies ésotériques traditionnelles. Les ventes en ligne captent une part croissante, mais au prix d’une visibilité diluée dans un océan de contenus auto-publiés ou conspirationnistes.
Ce micro-marché est d’autant plus vulnérable que la Franc-maçonnerie elle-même évolue : les jeunes générations, moins attachées aux formes traditionnelles, préfèrent les podcasts, les forums en ligne ou les conférences virtuelles aux ouvrages classiques. Comme le souligne Delpard, la surproduction générale (plus de 80 000 titres par an en France) noie les niches : un essai sur Hiram Abiff ou le symbolisme de l’équerre se perd parmi les best-sellers grand public. Les chiffres du SNE confirment cette marginalité : l’édition numérique, qui pourrait booster les ventes maçonniques (facilement adaptables en e-books), ne représente que 10,1 % du CA total, et encore moins dans les segments ésotériques.
L’impact d’Amazon est double : d’un côté, il démocratise l’accès (livres maçonniques disponibles en un clic) ; de l’autre, il réduit les marges des petits éditeurs et ferme les librairies physiques. Résultat : un secteur confiné à un « micro créneau » qui stagne, sans perspective d’évolution significative. Les cessions de droits internationaux, en baisse de 1,3 % en 2024, touchent peu ce domaine, où les traductions restent rares en dehors des classiques comme les Constitutions d’Anderson.
Perspectives : vers un renouveau ou une disparition inéluctable ?

Face à cet effondrement, Delpard appelle à un sursaut : retrouver la curiosité, le risque et la confiance dans le lecteur. Pour l’édition maçonnique, cela pourrait signifier innover – par exemple, en intégrant des formats hybrides (livres augmentés de QR codes vers des rituels virtuels) ou en s’ouvrant à des thématiques contemporaines comme l’écologie ou l’IA, vues à travers le prisme symbolique.

Cependant, le constat reste sombre : avec une croissance anémique (+3,4 % en valeur depuis 2019) et une baisse de volume, l’édition française tout entière risque de se replier sur ses bastions. Pour la Franc-maçonnerie, ce déclin éditorial pourrait refléter une crise plus large : une perte d’attrait auprès du public, amplifiée par les théories du complot qui dissuadent les curieux. Comme l’écrit Delpard, « l’édition française est ivre de sa prétention morale » – une critique qui s’applique aussi aux ouvrages maçonniques, souvent perçus comme élitistes ou hermétiques.

En conclusion, l’effondrement du marché du livre maçonnique n’est pas isolé : il s’inscrit dans une crise systémique de l’édition française, marquée par la concentration, la surproduction et une perte de vitalité créative. Les chiffres du SNE et l’analyse incisive de Raphaël Delpard nous invitent à une réflexion urgente : sans un retour à l’essence curieuse et risquée du métier d’éditeur, ce micro-monde risque de s’éteindre, emportant avec lui un pan précieux de l’héritage philosophique et symbolique.
Il est temps, peut-être, de repenser non seulement le marché, mais le désir même de lire et d’écrire sur ces mystères intemporels.







Alors ? Ça sert à quoi de multiplier les salons du livre ou autres MASONICA ?
À faire circuler la parole écrite, ou à faire tourner la caisse, les ego, les logos, les photos de stands et les rencontres qui se ressemblent toutes ?
L’article d’Erwan Le Bihan pose un diagnostic frontal : micro-marché, lectorat numériquement étroit, fragilisé par la concentration, la vente en ligne et le déplacement des usages.
Et au milieu, cette vérité qui claque comme un maillet sur une pierre mal équarrie : le lecteur ne disparaît pas, il se déplace – et quand il se déplace, il ne revient pas forcément là où on l’attend.
Dès lors, multiplier les MASONICA, est-ce répondre à ce déplacement… ou courir derrière une ombre ? La mécanique est connue : on additionne les dates, on duplique les tables, on reproduit les affiches, et l’on finit par se partager le même public, toujours plus sollicité, toujours plus disséminé. Or un marché de niche ne se dilate pas par décret : il s’épuise quand on le traite comme un grand marché. Et, paradoxalement, à force de salons, on peut fabriquer moins de lecture, parce qu’on fabrique surtout de l’événementiel.
Alors, à qui ça sert ?
Aux Frères et aux Sœurs qui cherchent des ouvrages solides, travaillés, édités, relus, transmis ? Oui, quand le salon joue son rôle d’atelier : une sélection exigeante, une bibliodiversité réelle, des échanges qui orientent, une médiation vivante.
Mais ça sert aussi, et parfois surtout, à ceux qui vivent de la scène plus que du livre : les circuits d’auto-promotion, les sorties à répétition, les micro-maisons qui vendent aux auteurs leur propre stock, la tentation du tout se vaut où la quantité remplace l’initiation par la forme.
Le problème n’est pas le salon. Le problème, c’est le salon devenu supermarché du symbole. Quand tout est maçonnique, plus rien ne l’est vraiment. Quand l’étalage remplace le discernement, on n’élève plus : on empile. Et l’on confond la diffusion avec la transmission.
Si l’édition maçonnique est un canari dans la mine, comme le suggère l’article, alors il faut entendre ce qu’il annonce : ce n’est pas seulement une crise de ventes, c’est une crise de désir et de qualité de présence au monde du livre.
Et là, le remède n’est pas d’ajouter des dates au calendrier. Le remède, c’est de retrouver la fonction initiatique de l’écrit : peu de titres, mais nécessaires ; moins de bruit, plus de voix ; moins de salons, plus de lecture.
Alors oui, qu’on tienne des rencontres. Mais qu’on les tienne comme on tient une Tenue : avec un seuil, une règle, une exigence. Sinon, à quoi bon ?
J’ai dit.
« cela pourrait signifier innover – par exemple, en intégrant des formats hybrides (livres augmentés de QR codes vers des rituels virtuels) ». Mais c’est déjà fait !!!!! Dans mon ouvrage paru en juin 2023, « Maçonnerie : comment passer du profane au sacré ? » à la fin du livre, il y a 11 QR Code pour visionner les vidéos référencées dans le texte !!! En fait, toutes les références intervenant dans les textes mériteraient des QR Code !