mar 23 décembre 2025 - 15:12

JOABEN n°26 – Les épreuves, ou l’art maçonnique de transformer l’obstacle en œuvre

Au sein du premier journal numérique francophone de la Franc-Maçonnerie universelle, que le chroniqueur se nomme Yonnel ou que je m’y attelle moi-même, notre aspiration demeure inchangée dans cette offrande généreuse à ceux qui nous lisent, une recension vibrante, une note de lecture qui allume l’étincelle du désir pour l’ouvrage, transcendant les éditoriaux succincts ou les sommaires arides que dispensent certains blogs maçonniques ou portails web aux audiences restreintes par leurs barrières pécuniaires, de sorte que l’éditeur, mu par l’unique élan de propager ses écrits, discerne en nos paroles un écho fertile à l’éclosion de ses intentions profondes.

C’est avec cette exigence de lecture, et non de simple signalement, que nous accueillons JOABEN, revue du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France, dont le numéro 26, paru en décembre 2025, choisit un mot que tout le monde prononce et que peu de vies approfondissent vraiment, les épreuves.

Le thème semble immédiat, presque évident, mais la revue l’arrache à la banalité pour lui rendre sa densité initiatique. Ici, l’épreuve n’est pas un accident, elle est une méthode. Elle n’est pas seulement une souffrance à traverser, elle devient une forme de connaissance. Elle n’est pas un malheur à supporter, elle se révèle un révélateur, un instrument de vérité, une pierre d’angle.

Le Très Sage et Parfait Grand Vénérable Philippe Guglielmi donne au dossier une respiration ample, à la fois humaine et maçonnique. Les épreuves, dit-il, dessinent le relief de l’existence, et l’initiation, quel qu’en soit le courant, en a fait l’une de ses grandes écoles. Nous retrouvons là le génie du Rite Français, cette volonté de construire simultanément l’individu et la cité, de faire du perfectionnement de soi une affaire qui ne s’épuise pas dans l’intériorité, mais qui prend corps dans la justice, la mesure, l’attention au bien commun. L’épreuve maçonnique n’est pas une esthétique du danger, elle est une pédagogie de la transformation.

Entre cet éditorial qui pose la clef de voûte et les trois textes que nous mettons en lumière, le sommaire déploie un chœur, et c’est un point essentiel, car un dossier sur les épreuves ne peut être qu’une polyphonie. Chaque plume apporte sa pierre, sa nuance, son angle d’attaque, comme si la revue avait voulu montrer que l’épreuve n’est jamais une idée abstraite mais un prisme, un passage où se reconnaissent autant l’âme singulière que le monde commun.

Gérard Contremoulin – Source Groupe Guy Trédaniel

Gérard Contremoulin ouvre un axe d’émancipation. Il ne parle pas d’une liberté décorative, mais d’une libération qui se paie, qui se travaille, qui s’obtient contre nos propres chaînes, celles que nous confondons si souvent avec notre personnalité. Son propos a la qualité d’un rappel initiatique, l’émancipation n’est pas une rupture spectaculaire, elle est une discipline de soi qui rend capable de contribuer à l’édifice collectif.

Charles Coutet – Sénat GODF, photo Yonnel Ghernaouti

Charles Coutel, lui, élève la perspective et interroge les Ordres de Sagesse du Rite Français comme un courage de se mettre à l’épreuve. Il ne s’agit pas d’un héroïsme de théâtre mais d’une décision intérieure renouvelée, celle d’accepter de ne pas se satisfaire de ses acquis, d’oser la lucidité, d’oser la transformation quand l’habitude voudrait nous endormir. Aline Kotlyar approfondit une idée plus radicale, éprouver pour exister. L’épreuve devient ici condition d’être, et non simple traversée. Comme si la conscience avait besoin de frottements pour apparaître à elle-même, comme si la vie n’écrivait son sens qu’au prix de résistances, de limites, d’affrontements qui obligent à inventer une forme.

Michel Eynaud, avec une nuance précieuse, transforme l’épreuve en crise, non pour dramatiser mais pour rendre visible une mécanique de métamorphose. La crise n’est pas seulement l’effondrement, elle est aussi la bascule, le point où une structure ancienne ne tient plus, et où une nouvelle structure cherche, à travers le chaos, à naître. Et Mireille Quivy, en choisissant le labyrinthe, restitue à l’épreuve sa géométrie intérieure. Le chemin initiatique, tel qu’elle le suggère, n’est pas une ligne droite. Il comporte détours, retours, impasses apparentes, reprises, et c’est précisément ce qui le rend vrai, parce que l’être humain ne se transforme pas par décret, mais par marches, par reprises, par fidélités invisibles.

À cette polyphonie s’ajoutent les notes de lecture, dont Didier Molines a la charge. Elles jouent un rôle discret mais nécessaire.

Dans une revue comme JOABEN, la note de lecture n’est pas une rubrique annexe, elle est une veille, une manière de maintenir le chantier ouvert, de relier la pratique rituelle à la bibliothèque vivante, d’empêcher que l’initiation ne se replie sur elle-même. Lire, ici, n’est pas consommer, c’est travailler encore.

C’est à partir de ce chœur que nous choisissons de porter le regard sur trois textes, parce qu’ils dessinent une triangulation particulièrement éclairante.

Christian Pessey, d’abord, déroule le parcours maçonnique comme une suite d’épreuves codifiées, scandant l’évolution du sujet depuis la décision première de frapper à la porte du Temple jusqu’aux ateliers au-delà de la maîtrise. La force de Christian Pessey tient à la simplicité grave de son propos, le premier choc n’est pas la cérémonie, c’est la décision. Là commence l’épreuve, dans le consentement à l’inconnu, dans l’acceptation d’être regardé, et plus encore dans l’acceptation de se regarder soi-même sans se mentir. Apprenti, compagnon, maître, puis au-delà, il fait sentir que la sagesse n’est pas un titre, mais une tenue.

Laurent Defillon, ensuite, déplace l’épreuve de l’individu vers l’épreuve de la civilisation. Son texte sur la démocratie face à l’idéologie de l’extrême prolonge la mémoire freudienne du malaise, mais l’enracine dans notre temps. Il décrit un monde polarisé, secoué par les violences, par les haines déversées, par l’injustice sociale assumée, par la crispation identitaire, et par la tentation de remplacer la délibération par le réflexe. Il refuse les simplifications, parce qu’il sait que l’extrême n’est pas seulement un parti, c’est une tentation psychique, celle de réduire le réel à une cible et de remplacer la pensée par un cri.

Enfin, Colette Léger ouvre une profondeur singulière, celle des archives et des strates rituelles, avec son étude sur les 81 grades fondateurs du Rite Français au siècle des Lumières et les cahiers non classés de l’Arche du Ve Ordre. Ce texte, hors thème en apparence, revient au cœur du sujet, car la tradition elle-même est une épreuve. Épreuve du classement, épreuve de la transmission, épreuve de la lucidité historique face aux légendes. Colette Léger montre un patrimoine vivant, où les textes circulent, se comparent, se transforment, et où la maçonnerie, fidèle aux Lumières, vise à comprendre le monde, mais aussi à le transformer.

À l’heure où tant de voix se disputent le monde en criant plus fort que le réel, ce numéro rappelle une vérité qui devrait nous tenir lieu de boussole. Nous ne manquons pas d’opinions, nous manquons d’une méthode pour les éprouver sans nous déchirer. L’épreuve, au Rite Français, n’est pas un spectacle, c’est une éducation de la conscience, une ascèse de la mesure, une conversion de la colère en justice.

JOABEN n°26 décembre 2025, 4e de couv., détail

Si nous voulons que la démocratie demeure un chantier habitable, et non un champ de ruines, nous avons à reprendre ce travail à la base, apprendre à construire nos désaccords, apprendre à penser sans haïr, apprendre à résister sans devenir ce que nous combattons. C’est peut-être cela, surmonter pour grandir, faire de l’obstacle une œuvre, et de l’œuvre une lumière utile.

JOABEN – La Revue « Les épreuves – surmonter pour grandir »

Grand Chapitre Général du Grand Orient de France

Rite Français 1728- 1786

Collectif – Conform édition, N°26, décembre 2025, 96 pages, 14 €

L’éditeur, le site

Note de transparence

Ces pages proviennent d’un ouvrage bien réel, saisi tel qu’il est, dans sa matérialité d’encre et de papier. Les extraits cités et les images reproduites relèvent d’un imprimé vivant, né d’un travail humain et d’une mémoire d’archives, loin de toute fabrication automatique.

GCG Rite Français GODF

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Aratz Irigoyen
Aratz Irigoyen
Né en 1962, Aratz Irigoyen, pseudonyme de Julen Ereño, a traversé les décennies un livre à la main et le souci des autres en bandoulière. Cadre administratif pendant plus de trente ans, il a appris à organiser les hommes et les dossiers avec la même exigence de clarté et de justice. Initié au Rite Écossais Ancien et Accepté à l’Orient de Paris, ancien Vénérable Maître, il conçoit la Loge comme un atelier de conscience où l’on polit sa pierre en apprenant à écouter. Officier instructeur, il accompagne les plus jeunes avec patience, préférant les questions qui éveillent aux réponses qui enferment. Lecteur insatiable, il passe de la littérature aux essais philosophiques et maçonniques, puisant dans chaque ouvrage de quoi nourrir ses planches et ses engagements. Silhouette discrète mais présence sûre, il donne au mot fraternité une consistance réelle.

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