Quand une loge cesse d’être un feu intérieur et devient, selon l’instruction, un foyer d’ombre…
Le 28 novembre 2018, Laurent Pasquali disparaissait. Sept ans plus tard, l’affaire dite « Athanor » arrive enfin au seuil du jugement : 22 prévenus seront renvoyés devant la cour d’assises spéciale de Paris pour un procès annoncé au printemps 2026, appelé à durer des mois (une fenêtre du 31 mars au 17 juillet 2026 circule, désormais, dans les calendriers judiciaires).

Le scandale, s’il est confirmé, ne sera pas seulement celui d’une violence criminelle
Il sera celui d’un dévoiement symbolique, parce qu’une loge affiliée à la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française (GL-AMF) apparaît, dans le récit des enquêtes, comme un lieu de rencontres et d’alliances ayant nourri une mécanique d’intimidations, de filatures et de mort.

On voudrait pouvoir apposer sur cette affaire l’étiquette de : “fait divers”. On ne le peut pas. Non par goût du spectaculaire, mais parce que la matière elle-même refuse ce rétrécissement. Laurent Pasquali, pilote aimé des paddocks, figure accessible, passion partagée au-delà des classements, a été englouti par une affaire qui ressemble à un roman noir – sauf qu’ici, la littérature a cédé la place au réel et que le réel, lui, ne pardonne pas. L’homme est assassiné en 2018 ; son corps sera retrouvé en 2019 et le deuil, pour les siens, restera longtemps suspendu à une question sans réponse.
Puis le dossier s’épaissit, stratifié comme une roche sombre. Les investigations – et les révélations successives – décrivent une officine criminelle présumée, proposant contre rémunération des opérations d’intimidation ou d’élimination, avec des cibles dont la liste, au fil des années, a fait frissonner par son ordinaire même : une coach, un syndicaliste, un élu, un pilote.

Et, au centre de ce dispositif, un nom surgit comme une ironie tragique : Athanor
Dans la tradition hermétique, l’athanor est le four de la transmutation : feu constant, patience, épreuve, lenteur, purification. Ici, le symbole semble s’être retourné comme un gant : au lieu de brûler les scories de l’ego, il aurait servi – si les faits sont établis – à tremper des loyautés mauvaises, à donner forme à un entre-soi où la fraternité n’élève plus, mais s’avilit dans la complicité.
Il faut le dire clairement, pour rester juste : la présomption d’innocence demeure. C’est précisément la vocation du procès : établir les responsabilités, discerner les rôles, mesurer les degrés de participation. Mais l’ampleur du renvoi – 22 prévenus, une cour d’assises spéciale, un procès annoncé au long cours –indique déjà que l’on n’est pas face à un accident isolé.

La GL-AMF : le communiqué ne rassure pas suffisamment
C’est ici que la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française doit être égratignée, et même durement, mais à l’endroit exact où cela fait sens : la gouvernance et la vigilance. Le 5 février 2021, l’obédience publie un communiqué rappelant son « respect strict et absolu » des lois de la République et annonçant des mesures « au cas où les faits allégués seraient avérés ».
Ces mots, pris isolément, sont irréprochables. Dans leur contexte, ils sonnent comme un réflexe de sauvegarde : la phrase est droite, mais elle arrive tard ; elle proclame un principe, mais ne dit rien de la mécanique qui, si l’accusation est confirmée, a laissé une loge s’abîmer jusqu’à devenir un scandale national. Le droit, ici, ne demande pas des incantations : il demande des actes, des contrôles, des alertes, des ruptures au bon moment. Or, si l’on en croit les récits d’enquête, la dérive se serait installée sur la durée, dans un imaginaire d’opérations et de puissance clandestine – exactement l’inverse de l’ascèse initiatique.

Une obédience n’est, certes, pas un service de police. Mais une obédience qui se réclame d’une éthique ne peut pas découvrir après coup que certains ont confondu secret et impunité, silence et omerta, fraternité et réseau. Quand la méthode maçonnique cesse d’être une discipline de la parole tenue, elle risque de dériver dans une sociabilité corrompue ; et une sociabilité qui s’altère attire, tôt ou tard, ceux qui aiment manigancer dans les coulisses et non plus travailler sur eux-mêmes.
Ce que le procès jugera aussi, au-delà des prévenus
En 2026, il y aura des heures d’audience, des pièces, des contradictions, des détails. Il y aura, surtout, ce que la justice sait faire quand elle prend le temps : démêler les fils. Mais le monde maçonnique, lui, sera jugé par une autre balance : celle de la crédibilité. Car l’affaire Athanor met à nu une tentation vieille comme l’ombre : l’ivresse de l’influence, le fétichisme du secret, la passion des coulisses. Tout ce que l’initiation est censée convertir en travail intérieur, en maîtrise, en humilité.
Il faudra donc plus qu’un réflexe de communication. Il faudra que les toutes les obédiences se souviennent que le symbole n’est pas un décor. Un athanor n’est pas un nom “qui claque”. C’est une exigence. Quand il cesse d’être le four de la transformation de soi pour devenir l’enseigne d’une fraternité dévoyée, c’est le Temple lui-même qui prend feu… Et le feu, ici, ne purifie plus : il détruit.
Que justice soit faite, pleinement, sans raccourci, sans effet de manche

Que Laurent Pasquali retrouve, par la rigueur des débats, ce que le crime lui a volé : la vérité, nue, posée, nommée. Et que la GL-AMF entende enfin la leçon la plus dure – celle qu’on n’apprend qu’après les catastrophes : une obédience ne se salit pas seulement par la faute de quelques-uns, mais par les angles morts qu’elle tolère, par les signaux faibles qu’elle laisse passer, par la confusion qu’elle entretient entre la fraternité et l’entre-soi, phénomènes difficiles, du reste, à évaluer. On mesure l’ampleur de la gageure pour ces organismes fondés sur la confiance et non la suspicion. C’est pourquoi les obédiences, animées par cette antinomie, ne sont pas armées pour assurer une surveillance étroite de leurs membres, au demeurant tous jaloux de leur liberté, et ce, d’autant plus quand il s’agit de menées ourdies dans le plus grand secret. Pourtant, le symbole, lui, ne ment pas : quand l’athanor brûle mal, il fume. Et cette fumée, tôt ou tard, finit par sortir au grand jour et par empoisonner l’atmosphère.
Sources : Les Voitures ; www.rtl.fr ; Le Blog des Spiritualités ; Association de la Presse Judiciaire ; Mediapart
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