dim 09 novembre 2025 - 08:11

La carte postale du 9 novembre : le musée qui dialogue avec l’éternité

Le Grand Musée égyptien — quand la pierre retrouve la parole

Grand Musée égyptien GEM

À Gizeh, le XXIᵉ siècle s’avance vers les pyramides comme un pèlerin vers son sanctuaire. Le Grand Musée égyptien (al-Matḥaf al-Miṣrī al-Kabīr, GEM) ne s’ajoute pas au paysage : il l’interprète, l’accorde, l’ouvre. Temple contemporain de la mémoire pharaonique, il conjugue géométrie, lumière et transmission — et, depuis son inauguration officielle le 1ᵉʳ novembre 2025, il parle au monde d’une seule voix : souviens-toi, transmets, élève.

L’architecture comme langue sacrée

Le GEM est né d’un concours international placé sous l’égide de l’UNESCO. Lauréat, le cabinet Heneghan Peng Architects a composé un édifice qui n’empiète pas sur le plateau : il habite l’entre-deux – entre vallée du Nil et désert, entre vie et au-delà. Son plan, tendu par des axes de visée vers les pyramides, refuse l’angle droit et privilégie la figure du triangle, allusion continue au geste des bâtisseurs antiques. Les parois d’albâtre/onyx tamisent le jour ; la nuit, elles respirent une lueur intérieure. La scénographie confiée à Atelier Brückner épouse ce rythme : le visiteur ne traverse pas des salles, il franchit des degrés. Au centre, un grand escalier de statues trace une colonne vertébrale spirituelle. Tout en haut, une baie cadre l’horizon de Gizeh : l’ascension devient regard. Et, dès l’atrium, Ramsès II, colosse de onze mètres pour quatre-vingt-trois tonnes, veille comme un gardien du seuil — la royauté du passé confiant au présent la charge de la parole tenue.

Colosse Ramsés II

Un chantier pharaonique, une volonté longue

On a parlé d’un chantier « comme une dynastie » : deux décennies de conception, de crises, de reprises ; un budget dépassant le milliard de dollars ; un montage où les prêts japonais ont joué un rôle décisif ; et, côté réalisation, la co-entreprise Orascom/BESIX pour la phase majeure (contrat d’environ 810 M$). La fête d’inauguration – lumière, musique, délégations venues du monde entier – a scellé cette patience nationale qui fait des œuvres durables.

Le musée comme laboratoire vivant

Le GEM n’est pas qu’un écrin : c’est un organisme. Derrière les galeries, 17 laboratoires et un centre de conservation souterrain accueillent, restaurent, étudient. Ce n’est plus l’Égypte dispersée, c’est l’Égypte qui se soigne chez elle et parle en son nom. L’institution assume en même temps une mission publique – conférences, GEM Talks, médiation – pour faire du musée un forum de mémoire active.

Le voyage des œuvres : de Toutânkhamon à la barque solaire

masque funéraire Toutânkhamon

Le parcours permanent déploie des dizaines de milliers de pièces exposées (plus de 50 000 au démarrage) sur des milliers de mètres carrés ; au total, des centaines de milliers de vestiges conservés et documentés. Point d’orgue : l’ensemble de Toutânkhamon présenté comme jamais auparavant, avec ses chars, coffres, étoffes, armes, parures — non pas pour l’éblouissement, mais pour la lecture d’une vie, d’un royaume, d’un rite de passage. La barque solaire de Khéops, patientée et restaurée, rappelle que la navigation de l’âme exige art et mesure.

Lecture initiatique : du chantier au Temple

Pour l’initié, le GEM est une loge à ciel ouvert.

  • Le seuil : l’atrium n’accueille pas, il appelle. Ramsès, figure du verbe incarné dans la pierre, interroge : Que fais-tu de ta mémoire ?
  • L’escalier : degré après degré, la statuaire agence un catéchisme silencieux — naissance, règne, mort, renaissance.
  • La lumière : filtrée par l’albâtre, elle devient matière ; à mesure que l’on monte, elle s’affine : épreuve de clarté.
  • Le triangle : matrice de l’architecture, signe du trois — mesure, équilibre, médiation ; appel discret aux triades (Osiris-Isis-Horus) comme à nos propres ternaires opératifs.
  • Le masque de Toutânkhamon : miroir de l’immortalité active ; non point déni de la mort, mais travail du passage.

Pour celles et ceux qui cheminent aux Rites égyptiensMemphis, Misraïm, Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm (RAPMM) – la correspondance est immédiate : pesée du cœur, géométrie du Temple, lumière de seuil ; la visite devient relecture rituelle du monde.

Le profane, lui, y gagne une éthique du regard : apprendre à voir juste.

Le Roi Ramses II (1279-1213 avant J.C.), diorite,19e dynastie, temple d’Amon, Thébes

Politique de civilisation : mémoire, économie, hospitalité

Le GEM n’est pas seulement une prouesse muséale ; c’est un acte de politique culturelle. L’Égypte entend redevenir foyer de l’égyptologie, capter un nouveau flux de visiteurs et, plus profondément, montrer qu’une nation soigne sa mémoire pour soigner son avenir. Les autorités visent une fréquentation quinze à vingt mille visiteurs par jour à régime de croisière, avec un effet d’entraînement attendu sur le tourisme et l’emploi.

Cartouches-de-20-pharaons

L’inauguration : le moment où la parole devient geste

Le soir de l’ouverture, la façade s’est faite écran de lumière ; musique, chorégraphies, feux et lasers ont raconté la longue route d’une idée devenue lieu. Délégations officielles, chefs d’État et de gouvernement, monde scientifique et culturel : le rituel civil a consacré le Temple moderne. Ce faste n’était pas ostentation ; c’était allégeance au temps long — reconnaissance aux artisans, aux savants, aux gardiens.

« La pierre retrouve la parole » : un vade-mecum pour le visiteur

  • Entrer comme on franchit un pré-parvis : déposer les opinions, chercher le juste.
  • Monter lentement : laisser l’escalier faire œuvre en nous.
  • Regarder les cartouches et lire des noms : comprendre que nommer, c’est tenir.
  • S’arrêter devant Toutânkhamon : se demander ce qu’est, pour soi, peser un cœur.
  • Sortir vers les pyramides : sentir que la géométrie n’est pas calcul, mais éthique.
Grand-Musée-égyptien, localisation

En guise de pierre finale

Le Grand Musée égyptien n’est pas un mausolée : c’est un chantier d’âmes. Il rappelle que la culture survit moins par la conservation des objets que par la transmission des symboles. De l’outil à la liturgie, de la pierre brute à la pierre d’angle, l’humanité apprend ici à mesurer pour servir. Le désert, une fois encore, enseigne la sobriété ; la pierre, la patience ; la lumière, la justice.

Découvrez le début de la cérémonie d’inauguration du Grand Musée égyptien du Caire (France 24)

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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