Pont-Aven consacre son été et son automne 2025 à une figure autant fantasmée que fondatrice : la sorcière. En partenariat avec le musée d’Orsay, l’exposition éclaire un tournant décisif, de 1860 à 1920, quand l’archétype de la vieille mégère malfaisante se renverse, sous l’influence de Jules Michelet, en symbole de savoir, de résistance et d’harmonie avec les forces naturelles – un geste que l’on reconnaît aujourd’hui comme l’un des points d’origine de l’écoféminisme.

Le parcours, pluridisciplinaire, réunit dessins, peintures, sculptures, objets d’art, photographies, cinéma, musique, danse et littérature, avec des œuvres phares comme The Love Potion d’Evelyn De Morgan et des pièces d’Eugène Grasset.
Focus – Evelyn De Morgan, The Love Potion (1903)
De Morgan choisit la sorcière non comme cliché mais comme sujette de savoir. Profil concentré, robe d’or et livres reliés composent une grammaire d’atelier : la couleur devient opération alchimique (du noir au jaune solaire), le calice un athanor, le chat gardien un œil vigilant. Le couple enlacé au fond rappelle le désir, tenu à distance et transmuté. L’œuvre affirme une autorité féminine qui se fabrique par l’étude, la maîtrise et la justesse du geste – une véritable alchimie de l’esprit au cœur du regard préraphaélite.

Pensée en trois mouvements qui se bouclent en cercle – la nuit, le corps, le savoir – l’exposition donne à lire la sorcière comme frontière franchie : la nuit des métamorphoses et de la liberté, le corps désiré et craint, le savoir organique et occulte qui soigne, protège ou inquiète. On ne contemple plus un folklore de peur, mais un révélateur de rapports de pouvoir, de désirs et de contre-pouvoirs féminins.
Pourquoi un initié a tout intérêt à y aller
Parce que cette exposition est un exercice de discernement. Elle montre comment un imaginaire façonne la réalité sociale – et comment un livre (Michelet, 1862) peut déplacer une figure honnie vers une figure de connaissance. Pour nous, initiés, la visite devient un travail de loge intérieure :
- la Nuit nous fait franchir le seuil et apprivoiser l’ombre.
- le Corps rappelle qu’aucune sagesse n’existe sans incarnation : pas de Verbe sans souffle, pas de symbole sans chair.
- le Savoir rejoint l’hermétisme opératif : herbiers, cycles, correspondances — autant de clefs qui parlent à l’alchimiste comme au lecteur d’images.
Là se loge l’intérêt initiatique : dans la puissance transgressive du symbole, le renversement des signes et la reconquête d’une parole confisquée — une liberté à l’œuvre.

Le Musée de Pont-Aven… en bref
Le Musée de Pont-Aven est un musée français situé à Pont-Aven, dans le Finistère, en Bretagne. Créé en 1985, il a été transféré en 2012 de la commune à Concarneau Cornouaille Agglomération, puis entièrement rénové entre 2013 et 2016. Sa mission : faire connaître l’œuvre des artistes inspirés par la Bretagne et Pont-Aven depuis les années 1860, développer la recherche scientifique sur cette période et s’ouvrir à la création contemporaine. Il accueille deux expositions temporaires par an, mettant en lumière thèmes et artistes, de l’École de Pont-Aven à l’art d’aujourd’hui.

Repères historiques (École de Pont-Aven)
Dès 1862, Camille Corot et ses amis séjournent sur la côte bretonne. En 1886, Paul Gauguin arrive à Pont-Aven, sur les conseils d’Armand Félix Marie Jobbé-Duval et du « Père Tanguy ». À la fin des années 1880, Gauguin et Émile Bernard élaborent le synthétisme et le cloisonnisme, grands aplats de couleurs pures cernés d’un trait, rompant avec la perspective classique. Autour d’eux se regroupent Paul Sérusier, Charles Filiger, Maxime Maufra, Henry Moret, Ernest de Chamaillard… constituant l’École de Pont-Aven.

Pour qui cherche une expérience à la fois esthétique et initiatique, « Sorcières (1860-1920) » n’est pas seulement une exposition : c’est une épreuve de lecture des images et une méditation sur la manière dont un mythe, par le feu de la nuit, du corps et du savoir, devient chemin de liberté.

Infos pratiques :
Dates : jusqu’au 16 novembre 2025, Musée de Pont-Aven, place Julia – Pont-Aven Finistère.
Catalogue : Éditions Faton, 35 €, dir. Leïla Jarbouai & Sophie Kervran, avec de nombreuses contributions.
Illustrations : Wikimedia Commons
