jeu 02 octobre 2025 - 23:10

La Transgression en Franc-maçonnerie : un acte initiatique entre nature et culture

La transgression, ce concept audacieux et souvent mal compris, résonne comme un écho troublant dans les Temples voûtées de la Franc-maçonnerie. Perçue comme un acte de franchissement des limites imposées par la société, la culture ou la morale, elle incarne à la fois un défi et une promesse. En Franc-maçonnerie, où l’initiation invite à dépasser les apparences pour atteindre une vérité intérieure, la transgression n’est pas une rébellion gratuite, mais un outil de transformation spirituelle et intellectuelle.

Explorons ensemble cette idée fascinante, en distinguant ce qui relève de la nature – immuable et sans limites – de ce qui appartient à la culture – fragile et normatif – tout en illustrant son rôle à travers des exemples historiques et contemporains au sein de l’Art Royal.

Transgression et nature : une harmonie sans frontières

Fil a plomb au dessus du Pavé moisaïque

La nature, dans son essence, ignore la transgression. Si l’on accepte la théorie darwinienne de l’évolution, avec son pouvoir de sélection et d’optimisation, la vie progresse sans violer les lois universelles – gravité, cycles, adaptation. Quel sera l’homo sapiens, sapiens d’un futur lointain, dans des millions ou milliards d’années, s’il survit à ses propres excès ? Nul ne le sait. Cependant, l’émergence de l’intelligence artificielle, appliquant ses algorithmes aux intelligences humaine, animale et végétale, redéfinit ce paradigme. Elle introduit une transgression artificielle, où l’information devient un champ de bataille, modifiant les règles naturelles par des téléologies humaines.

En Franc-maçonnerie, les symboles du premier degré – équerre, compas, fil à plomb – reflètent cette harmonie naturelle, alignée sur les lois cosmiques. La transgression y est absente dans son sens brut : le maçon ne défie pas la gravité, mais l’utilise comme guide. Pourtant, l’introduction de technologies modernes (sites web, applications) dans les loges pose une question : la transgression artificielle, en brouillant les frontières entre nature et culture, ne risque-t-elle pas de détourner l’initiation de son essence universelle ?

Transgression et culture : Le défi des normes humaines

Si la nature échappe à la transgression, la culture, elle, en est le terrain privilégié. Elle naît des interdits – les commandements du Deutéronome (chapitre 5), par exemple, qui codifient la morale sociale – et la transgression devient alors désobéissance. Mais cette désobéissance n’est pas toujours négative. Comme le souligne Georges Bataille, « la transgression ne nie pas l’interdit, elle le dépasse et le complète ». Elle est une force dynamique, essentielle au progrès humain, oscillant entre conflit et renouveau.

Voltaire

En Franc-maçonnerie, cette tension est centrale. Historiquement, les maçons ont transgressé les normes culturelles de leur époque. Prenons les Lumières : Voltaire, initié à la loge des Neuf Sœurs, défia l’Église et l’absolutisme avec ses écrits, incarnant une transgression culturelle qui propulsa les idées de liberté et de laïcité. De même, Giuseppe Garibaldi, franc-maçon italien du XIXe siècle, dépassa les lois sociales de son temps en menant des révolutions pour l’unification de l’Italie, brisant les chaînes féodales au nom d’un idéal universaliste.

Maria Deraismes

Pourtant, la culture maçonnique elle-même établit des interdits – rituels, grades, serments – que la transgression individuelle peut remettre en question. L’émergence de loges mixtes au XXe siècle, comme le Droit Humain fondé par Maria Deraismes en 1893, fut une transgression sociale majeure, défiant la tradition exclusivement masculine. Ce dépassement, bien que source de débats, a enrichi la maçonnerie en élargissant sa vision de la fraternité.

Transgression et justice : un arbitraire à surmonter

La justice, fruit de la culture, tente d’harmoniser les transgressions en établissant des règles. De la loi du Talion (« œil pour œil ») à la justice distributive moderne, elle évolue, mais reste arbitraire, fondée sur des barèmes préétablis. En franc-maçonnerie, la justice est symbolisée par l’équerre, outil d’équité entre frères. Pourtant, elle peut devenir un frein : l’application stricte des règlements obédientiels risque de figer l’initiation en un conformisme, étouffant la transgression créatrice.

Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet

Prenons l’exemple le Grand Orient de France (GODF) au XVIIIe siècle : des maçons comme le marquis de Condorcet transgressèrent les limites imposées par l’obédience en soutenant l’abolition de l’esclavage, défiant les intérêts économiques de l’époque. Cette transgression morale, bien que controversée, fut un moteur de progrès, dépassant la justice conventionnelle pour aligner la maçonnerie sur une vérité universelle.

Transgression culturelle, sociale et morale : des champs de bataille initiatiques

La transgression se manifeste dans divers domaines, chacun offrant un miroir à la maçonnerie. Culturellement, le dadaïsme ou le surréalisme ont brisé les cadres artistiques, comme certains maçons ont défié les dogmes religieux avec des rituels symboliques. Socialement, Mai 68 fut une transgression collective contre les normes établies, rappelant les soulèvements maçonniques contre les monarchies absolues. Éthiquement, des figures comme Socrate ou Galilée, sacrifiées pour la vérité, trouvent un écho chez des maçons comme Giordano Bruno, brûlé pour ses idées hérétiques mais initiatiques.

Henri Bergson

La transgression morale, en particulier, enflamme les esprits. Elle touche l’« élan vital » de Bergson, cette pulsion intime qui pousse l’être à se dépasser, malgré l’aporie d’une vie responsable. En maçonnerie, elle se vit dans la quête de sa propre vérité : un apprenti qui remet en question un rituel figé ou un maître qui propose une interprétation nouvelle du mythe d’Hiram transgresse pour grandir, au risque de choquer.

La transgression en Franc-maçonnerie : une vertu initiatique

En Franc-maçonnerie, la transgression n’est pas une révolte anarchique, mais un acte initiatique. Elle consiste à dépasser les interdits culturels – qu’ils soient religieux, sociaux ou obédientiels – pour s’aligner sur une vérité universelle, reflet des lois naturelles. Le mythe d’Hiram, assassiné pour avoir refusé de trahir les secrets, incarne cette transgression : sa mort symbolise le sacrifice pour une vérité supérieure, prélude à une palingénésie éternelle.

Jacques Ellul en 1990

Aujourd’hui, la maçonnerie contemporaine doit encore transgresser. Face aux défis modernes – uniformisation, technologie envahissante –, elle peut s’inspirer d’Ellul, qui appelait à une conscience critique contre la propagande. Transgresser les routines techniciennes des loges, ouvrir des débats sur l’intelligence artificielle ou repenser la fraternité au-delà des genres sont des transgressions nécessaires pour rester fidèle à son idéal.

Transgresser pour renaître

La transgression en Franc-maçonnerie n’est pas un péché, mais une vertu. Elle dépasse les interdits culturels pour rejoindre l’harmonie naturelle, comme le fil à plomb s’aligne sur la gravité. Des figures comme Voltaire, Garibaldi ou Deraismes l’ont illustrée, prouvant que briser les chaînes sociales ouvre la voie à la lumière. Dans un monde figé par des normes, le maçon transgressif devient un architecte de renouveau, taillant sa pierre brute avec audace.

Que chaque loge ose cette audace – non pour détruire, mais pour renaître !

2 Commentaires

  1. La transgression est aussi une mode pour s’afficher « moderne », « libre », »émancipé » alors que le plus souvent c’est par manque de discipline,de rigueur,de volonté.
    Je ne confonds pas transgression (pour quelque chose qui en vaut la peine) avec les adaptations nécessaires et la souplesse des comportements.
    Je suis résolument contre lorsqu’il s’agit d’abimer,de nuire,de porter atteinte à l’oeuvre de tiers. Des gens qui n’ont rien fait de beau,d’utile ou de bien et qui saccagent ce que leur prédécesseurs apprécient.
    Ah heurter la morale « bourgeoise, »quel courage! et les benêts qui encouragent et n’osent pas dire que « le Roi est nu » comme dans le conte.
    Personne n’est obligé de devenir FM.C’est le choix de participer à un groupe,un Ordre,une tradition.
    Il est suffisamment d’organismes,de sociétés,d’occasions d’adhérer à « autre chose » pour respecter ,autant que faire se peut, la « Société des Maçons francs ».

  2. bon sujet
    bon article
    mais tout dépend du moment (KAIROS) … hélas
    ET
    du moment et de l’état (HISTOIRE) des institutions
    Alors nous dirons : « idée fascinante » !….?
    attention donc, car tout dépend des porteurs de pouvoir
    idée donc « tremendus » & « fascisante » ??? !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES