jeu 25 septembre 2025 - 00:09

Le Mythe de Jason

 Prologue : Le Rhêtôr prend la parole

Je suis celui qu’on appelle le tribun. Pas un historien, pas un poète, pas un philosophe, mais un peu de tout cela, selon les jours et les vents. J’ai vu le mythe de Jason traverser les âges, se parer de gloire, de mystère, de symboles. Et j’ai décidé de le raconter.

Exposition au Musée Gregoriano Etrusco – Musées du Vatican.

Non pas pour le célébrer aveuglément, mais pour l’interroger avec tendresse, pour le regarder avec un œil amusé, parfois sceptique, toujours curieux.

Car le mythe, voyez-vous, est une chose étrange. Il prétend expliquer le monde en le rendant encore plus opaque. Il fascine, il traverse les siècles, il se réinvente, mais il ne supporte pas qu’on le regarde de trop près.

Alors, asseyez-vous. Écoutez. Et si vous le voulez, pensez.

Et souvenez-vous : Jason entre dans le récit avec une seule sandale. Un pied nu. Un lacet manquant. Ce n’est pas un fil qu’on suit, c’est une corde qu’on tient, tendue entre le grotesque et le sacré.

Le miroir et le Soleil : quand le symbolisme flirte avec le poétique

Joseph Kuhn-Régnier, Jason et Médée, dans Contes et légendes mythologiques, 1936.

Le miroir, dans le mythe, devient un objet sacré. Il reflète le Soleil, pas celui qui tape sur les transats, non, l’autre : le Soleil initiatique, celui qui éclaire les âmes.

Pourquoi un miroir ? Pourquoi pas une loupe, ou une lanterne ? Socrate aurait demandé : « Et que reflète-t-il, sinon nos propres illusions ? »

Le miroir devient passage, seuil, révélateur. Il capte la lumière et la renvoie, comme si la vérité pouvait se refléter sans se déformer. Mais peut-on vraiment croire qu’un simple objet puisse contenir l’éclat du divin ?

Montaigne aurait souri : « Nous prêtons aux choses plus de sens qu’elles n’en ont, pour mieux supporter notre ignorance. »

Et puis, il y a cette idée que le miroir nous regarde autant qu’on le regarde. Le mythe devient alors une surface réfléchissante : on y cherche des dieux, on y trouve des fragments de soi.

C’est peut-être cela, le piège du mythe : il nous promet l’universel, mais nous renvoie l’intime.

Et dans ce reflet, parfois, on aperçoit un pied nu, une sandale orpheline, un héros qui avance sans être tout à fait attaché au monde.

Jason, la Toison et les grandes questions

Jason, donc. Un héros en quête de la Toison d’Or. Déjà, le nom intrigue : pourquoi une toison ? Pourquoi d’or ? Et pourquoi suspendue dans un arbre gardé par un dragon insomniaque ?

On est à mi-chemin entre le conte pour enfants et le scénario d’un jeu vidéo. Diogène, depuis son tonneau, aurait levé les yeux : « Tout ça pour une peau de mouton ? »

Mais le mythe ne s’embarrasse pas de logique. Il avance, porté par la nécessité de croire que tout a un sens, même les péripéties les plus extravagantes.

Jason embarque sur l’Argo, entouré de héros aux talents variés, certains utiles, d’autres franchement anecdotiques. Héraclès cogne, Orphée chante, et les autres rament.

Montaigne aurait dit : « Nous sommes tous en mer, mais certains rament avec plus de style. »

Le navire, lui, est un personnage à part entière. Cinquante rameurs, une poutre qui parle, une coque blanche comme la pureté. On dirait une métaphore ambulante.

Le bateau devient yoga, discipline, structure mentale. Mais Jason, lui, semble moins préoccupé par la symbolique que par l’arrivée.

Il vogue, il avance, il espère, sans trop se demander ce qu’il cherche vraiment.

Et toujours, ce pied nu, ce lacet défait, comme une promesse de déséquilibre.

La Colchide, Médée et les raccourcis magiques

Arrivé en Colchide, Jason rencontre Médée. Là, le mythe bascule dans le théâtre. Médée, magicienne, amoureuse, stratège.

Elle résout les épreuves, trahit sa famille, et offre la Toison comme on offrirait un trophée à un joueur distrait.

Pascal aurait murmuré : « Le cœur a ses raisons que la raison ignore. »

Et Jason, lui, semble ignorer les raisons du cœur, du devoir, et parfois même du bon sens.

Le dragon est endormi, les taureaux domptés, les dents semées, mais tout cela grâce à Médée.

Jason ne combat pas, il délègue. Il ne conquiert pas, il reçoit. Et pourtant, il est acclamé comme héros.

Socrate aurait demandé : « Peut-on être héros par procuration ? »

Mais le mythe ne s’attarde pas sur ces détails. Il célèbre la victoire, même si elle est empruntée.

                              Médée

Il glorifie l’arrivée, même si le chemin est escamoté.

Et Médée, elle, devient l’ombre de cette gloire, une ombre qui finira par se venger.

Médée noue les fils là où Jason laisse pendre les siens.

Peut-on être héros quand on ne tient pas la corde de sa propre quête ?

Le souffle et la parole : quand le GADLU murmure au Rhêtôr

Jason sur une fresque antique de Pompéi.

Et puisque c’est moi qui raconte, laissez-moi vous livrer ce que j’ai vécu, non pas un événement, mais une révélation.

Ce jour-là, sur une place de pierre, sous un ciel trop bleu, je me suis levé. J’étais tribun. J’étais orateur. J’étais celui qui parle quand les autres se taisent.

Je parlais pour magnifier Jason, pour glorifier la Toison, pour sanctifier le dragon.

Je parlais comme on peint une fresque : avec des couleurs vives, des contours nets, et une absence totale de nuance.

Mais à mesure que les mots s’élevaient, quelque chose en moi vacillait. Les images devenaient trop parfaites. Les métaphores s’empilaient comme des colonnes trop hautes.

Et soudain, dans le silence entre deux phrases, je l’ai entendu.

Un souffle.

Jason apportant à Pélias la Toison d’or, cratère apulien à figures rouges du Peintre des Enfers, 340-330 av. J.-C., musée du Louvre.

Il ne venait ni du ciel ni de la mer, mais d’un lieu sans direction, sans origine.

Il s’est glissé dans mon oreille, comme une pensée qui ne m’appartient pas, comme une voix qui ne cherche pas à convaincre, mais à éveiller.

Il ne disait pas : « Voici la vérité. »

Il disait : « Regarde autrement. »

Et alors, le mythe s’est déplacé. Il n’était plus seulement une histoire de héros, de dragons, de toisons.

Il devenait une architecture. Une géométrie sacrée. Une énigme posée à l’âme humaine.

Le souffle ne parlait pas de Jason, mais de ce qu’il portait sans le savoir.

Il ne parlait pas de Médée, mais de ce qu’elle révélait malgré elle.

Le souffle disait :

« Ce n’est pas la Toison qu’il cherche. C’est le lacet. Celui qui relie le pied au sol, le héros au monde, le sens à l’errance. »

Épilogue : Le mythe comme lacet

Jason ne meurt pas. Il s’efface. Il s’élève. Il devient ce souffle que le Rhêtôr entend parfois entre deux phrases.

Il devient cette corde tendue entre le visible et l’invisible. Il devient lumière.

Alors, que nous dit ce mythe ?

Qu’il faut se méfier des quêtes trop dorées ?

Qu’un dragon insomniaque n’est jamais une bonne idée de gardien ?

Ou que parfois, tout commence par un détail : une sandale oubliée, un lacet défait, une corde qu’on ne tient pas.

Simone Weil aurait vu dans cette histoire une soif de transcendance mal orientée.

Camus, lui, aurait salué l’absurde, ce héros qui agit sans comprendre, qui souffre sans raison, et qui s’élève sans explication.

Et moi, le Rhêtôr, je vous laisse avec une dernière question :

Et vous, que tenez-vous au bout de cette corde ? Est-ce un fil ? Un nœud ? Ou le mythe lui-même, prêt à vous entraîner ailleurs ?

2 Commentaires

  1. Chère Solange,
    Je ne vous connais pas, et pourtant vos mots m’ont touché. Vous avez repris cette phrase avec une justesse qui lui donne une nouvelle vie et je vous en remercie.
    Si mes écrits vous ont offert un souffle, alors votre lecture m’en offre un en retour. Au plaisir de vous recroiser entre les lignes.
    Bien à vous,
    Gérard

  2. En plagiant une phrase lue dans un autre de vos articles (https://450.fm/2025/09/22/la-pierre-dac/), je dirai que «ce texte est un chant. Il ne se lit pas. Il se danse. Il ne se récite pas. Il se respire. Il ne s’imprime pas, il s’incarne. Et surtout… il ne s’impose pas. Il s’offre.» Merci, cher Gérard pour ces traces de lumière que laisse la lecture de vos écrits.

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Gérard Lefèvre
Gérard Lefèvre
En parlant de plume, savez- vous que l’expression “être léger comme une plume” signifie ne pas peser plus lourd qu’une plume et pouvoir soulever quelqu’un ou quelque chose avec une grande facilité ? C’est une belle métaphore pour exprimer la légèreté et la facilité. Et puis, être une plume peut aussi signifier autre chose. On n’est pas seulement « plume », on est « plume de… ». Parfois, on propose à quelqu’un qui a une audience, un public, et pas forcément le temps, ou parfois pas forcément la compétence d’écrire pour être compris et convaincant à l’oral. Alors, que choisir? Être ou ne pas être une plume ? Gérard Lefèvre Orient de Perpignan

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