Nous avons tous, ici, en loge et ailleurs dans notre vie profane, vécu des initiations de toutes sortes. Alors parler de l’initiation n’est pas correct ni suffisamment précis ni suffisamment détaillé. En fait pour traiter correctement ce sujet il conviendrait non de parler de l’initiation mais d’initiations. Je vous proposerai donc de traiter d’initiation, puis d’initiation et encore d’initiation.
Il y a plusieurs sortes d’initiations qui sont perçues et/ou vécues différemment.

René GUENON, pour ne parler que de lui, distingue, l’initiation exotérique, profane, sociale qui est une base traditionnelle accessible à tous avec ses rites dont il faut approfondir la signification, démarche nécessaire, indispensable pour aller plus avant vers la notion d’ésotérisme initiatique. Il fait également bien la distinction entre la cérémonie d’initiation et l’initiation proprement dite.
L’exotérisme est de culture profane, c’est la partie de toute tradition qui s’adresse indistinctement à tous pour décrire les cérémonies publiques (religieuses, rituelles) dans leur manifestation. L’ésotérisme est, lui, ce qui n’est pas accessible aux non-initiés. C’est une base spirituelle qui permet, à l’aide d’un guide, d’aller au-delà de leur signification profane, vers la découverte de leurs autres significations.

Généralement, quel que soit le type d’initiation, la cérémonie d’initiation est vécue extérieurement, sans véritable compréhension car transmise à un initié en puissance, encore profane (du grec nouvelle plante). Elle est subie, ce n’est qu’après que l’on peut la comprendre si on la revit en pensée. D’où le rôle important des impressions d’initiation rédigées individuellement puis travaillées collectivement auprès d’un Gourou, d’un Maitre apportant sa présence spirituelle
En maçonnerie, l’initiation est un processus de transformation à la fois externe et interne de l’individu.
Elle fait le pari qu’un travail constant de réflexion, grâce aux symboles et avec les Frères, peut aboutir à une évolution intellectuelle, morale et spirituelle positive. Elle vise un perfectionnement en connaissance et en conscience, elle crée, constitue, et reçoit qui y est admis
Définition

Dans le langage courant initiation est souvent confondu avec apprentissage ; je t’apprends à lire, je t’initie à la lecture, tu deviens détenteur d’une connaissance nouvelle que je t’ai communiqué. Il y a un émetteur Moi et un récepteur Toi, c’est de la transmission.
Le dictionnaire, lui, définit l’initiation comme l’action de donner à quelqu’un la connaissance de certaines choses qu’il ignorait. C’est la même chose, mais il y ajoute des précisions sur le récepteur qui est choisi par recrutement ou sélection, et sur l’émetteur, qui peut être issu d’un groupe particulier, une confrérie religieuse un culte à mystères, une société, secrète ou non, dans lequel il sera intégré et avec lequel il partagera cette connaissance. Il y ajoute donc la notion de partage.
L’origine du mot qui vient du latin initum formé du radical it qui a donné iter (chemin) et itus (action de partir, de marcher) y ajoute une notion d’évolution. Il y a une voie, un point de départ, un parcours, donc une destination.
Initier quelqu’un c’est le mettre sur la voie du commencement.
Sur ce chemin l’individu qui a reçu l’initiation, l’initié, deviendra détenteur d’une connaissance, d’un art, d’un secret, moyens de réalisation personnelle, révélation permettant le passage d’une potentialité interne non manifestée à une réalisation externe manifestée
C’est pourquoi l’initiation est considérée dans toutes les traditions comme une naissance, comme une genèse dans laquelle le néophyte, qui a reçu la lumière, devient son propre demiurge, et est positionné sur un chemin afin de progresser vers un développement personnel (ontologique) 3 dont la direction lui est suggérée.
Le premier acte de l’initiation est la naissance du néophyte mais préalablement la mort du profane. C’est donc aussi la fin de quelque chose comme le révèle le grec telete proche de de teleuté (accomplissement et mort).
Entre ces 2 extrêmes l’initié doit donc se mettre en marche vers l’accomplissement de son être. Il est aidé en cela par des guides,( hiérophantes) ainsi que par sa détermination personnelle issue de son environnement social et par un mystérieux élément, lui, de nature spirituelle
Rites – Rituels

Depuis toujours, d’une civilisation à l’autre, les épreuves différaient mais faisaient et font toujours appel à des rites dont la fonction est d’organiser les transitions et de les accompagner lors de cérémonies au détail et au contenu précis et structuré se déroulant (le plus souvent) en 3 étapes :
– la séparation ; l’individu est isolé du groupe et de la situation antérieure qui équivaut à une mort symbolique,
– la mise en marge qui représente une sorte de gestation symbolique, temps d’élaboration d’un ouvrage de l’esprit
– la réintégration de l’individu dans le groupe avec une nouvelle situation sociale constituant une renaissance symbolique
Mais la question est : Comment et pourquoi devient-on initié, pourquoi désirer subir volontairement cette initiation encore qualifiée de profane, ce premier type d’initiation dont nous avons parlé ?
2 Demiurge ; Du grec demiourgos créateur du monde – Nom de Dieu, créateur de l’âme du monde dans la philosophie platonicienne
3 Ontomogie ; science de l’être
4 Hiérophante ; Prêtre qui présidait aux mystères d’Eleusis
Déjà parce que du fait de son statut social, de son appartenance à une civilisation traditionnelle, on ne peut pas y échapper.
– Ces rites de passage sont obligatoires car traditionnels. Ils sont vécus dès la naissance – (baptêmes, circoncision) – lors du passage de l’enfance à l’adolescence – (communion solennelle, Bar Mitsva) – puis à l’âge adulte avec ces épreuves physiques et psychologiques, jugées nécessaires pour, par la souffrance, canaliser ses forces et conquérir fièrement ses galons d’adulte responsable.

– Ces évènements ne laissent généralement pas de traces spirituelles marquantes autres que le comportement du et dans le groupe, la violence du rite apparaissant alors comme indispensable pour instaurer l’ordre nécessaire à l’harmonie de la vie sociale. N’oublions pas que, Harmonie est la fille d’Arès et d’Aphrodite, ou Mars, la guerre et Vénus, la beauté.
Ils permettent de lier un individu à un groupe mais aussi de structurer sa vie en étapes précises qui lui permettent d’avoir une perception apaisante de la condition mortelle de l’homme. Il s’agit de « fictions collectives qui ont pour but d’ordonner la nature ». En cela, ils participent à la symbolisation du monde pour le rendre plus familier, d’où leur caractère pacifiant et soulageant. Ce phénomène est donc un enjeu important pour l’individu, pour la relation entre l’individu et le groupe ainsi que pour la cohésion du groupe.
Mais là, il faut faire un distinguo car le « rite de passage » se distingue du « rite initiatique » en cela que le premier marque le changement de statut social ou sexuel, une étape dans la vie d’un individu dans son groupe social tandis que le rite d’initiation marque l’incorporation d’un individu dans un autre groupe, social ou religieux : le premier touche indistinctement tous les individus tandis que le second les sélectionne au delà de leur simple statut social.
Du besoin d’initiation (spirituelle)

Alors, au-delà de cet aspect socialement structuré et imposé, d’où vient ce désir nouveau chez certains, de changement de paradigme qui les rends différents du commun de l’humanité, qui motive leur recherche, qui nous approchent ou sont approché, et dont la motivation est vérifiée lors des enquêtes préalables à leur admission.
A un moment de leur vie, ce genre d’individu la ressent comme incomplète, imparfaite, son aspect strictement matérialisme ne le satisfait plus, ne lui suffit plus, il aspire à plus de spiritualité.
Les images qu’il a du monde lui apparaissent insuffisantes, brouillonnes, pas claires. Ce qu’il est en train de faire, sa vie lui apparait vide, (en partie gâchée ?). Il sent qu’il y a quelque chose qui est là, qui est présent mais qu’il ne voit pas et qu’il ne comprend pas. Il a besoin d’éclaircissements, d’être éclairé et souhaite avoir la révélation d’un autre aspect de ce qui est en lui et autour de lui.
En a-t-il la volonté, le moment est-il venu ?
On peut métaphoriquement comparer cet individu social a un papillon qui, après une longue existence de chenille rampante, est maintenant pleinement développé mais encore enfermé, tout fripé, dans le noir du cocon de la chrysalide. Il faut qu’il finisse par se décider à le crever pour s’envoler vers la lumière de l’azur. On peut imaginer qu’il hésite longuement, (suis-je prêt ?) devant ce saut dans l’inconnu.
Ces étapes, il les revit dans le déroulement de l’initiation

C’est bien de saut dans l’inconnu dont il faut qualifier cette initiation car cet événement commence par faire fi du passé. comme on ne bâti pas une construction sur du sable, il faut commencer par déblayer le terrain, en faire table rase pour assurer une assise solide résistant au temps. On nettoie le terrain en éliminant les scories des métaux.
Egalement analogie avec le grand œuvre alchimique qui commence par dissolution putréfaction
C’est alors seulement que commencent les épreuves dont le but est bien évidemment d’éprouver le courage, la force de caractère et la détermination de l’impétrant qui visent à ;
– Vérifier et lui faire prendre conscience de ses capacités à assumer la solitude et l’angoisse dans le cabinet de réflexion, période de méditation ou, mis en face de lui-même, entouré d’objets et de messages il sera invité à réfléchir sur leur significations, à mesurer le poids de ses manques à rêver ses espoirs d’amélioration spirituelle et sur l’importance de sa démarche concrétisée par le testament philosophique ;
– Vaincre les appréhensions et craintes qu’il vie en aveugle dans les et surtout le premier voyage.
– Accepter en confiance de vider sur ordre la coupe d’amertume.

La Confiance est un partage, une prise de risque. Confiance vient de cofides, échange. Elle diffère de la fraternité qui viendra et qui est, elle, inconditionnelle. Elle est du domaine du sentiment, de la morale, elle participe comme une transgression acceptée au monde des vertus cardinales que sont la tempérance, la prudence, la justice, et le courage.
Toutes épreuves censées forger le caractère et épurer le mental, dont il sort fortifié et purifié par les éléments et enrichi de connaissances nouvelles par le premier contact avec les symboles.
Ce qu’il a vécu, cette initiation, la seule qu’il vivra parmi nous (il est pourtant dit qu’il y en aura une autre plus tard mais considérons ici que c’est une autre histoire) est l’acte fondateur par lequel le postulant profane (pro fanum, celui qui attend devant la porte du temple) est agrégé à notre communauté.
Des diverses appellations qu’on lui donne lors de la cérémonie, postulant, récipiendaire, candidat, néophyte il devient ainsi finalement un Frère, terme à connotation génétique qui indique que le pacte acquiert la force d’un lien de sang. D’où les mises en garde et les sentences en cas de manquement à ses nouvelles obligations.
Doit-on pour autant considérer que ce Frère est véritablement initié ?
Certainement pas. Ce qu’il a vécu ce qu’il en a perçu ne peut s’apparenter à cet instant qu’à la simple participation à une importante cérémonie qui est si riche d’évènements que, égaré au départ, nous en avons tous fait l’expérience, tout est encore confus dans sa tête.
Pourquoi donc croyez-vous qu’on lui impose, à chaud, de nous rapporter ses impressions d’initiation ?
Pourquoi jugeons-nous indispensable de lui adjoindre un guide en la personne du 2eme surveillant et lui imposons nous l’obligation d’assiduité ?
Parce que l’initiation n’est pas une cérémonie mais un chemin. L’initié été mis sur la route mais celle-ci est longue et à un but qui lui a été clairement précisé : « La FM n’accorde aucune limite à la recherche de la Vérité » alors cherchez et, peut-être, éclairé par la Lumière qui n’est pour l’instant qu’une faible lueur d’espoir, la trouverez-vous.
Comment ?
La Maçonnerie est une ascèse initiatique, discipline que l’on s’impose pour tendre vers la perfection morale. On n’est plus au moyen âge, on ne se flagelle pas mais on suit des règles de conduite afin de faire émerger, un peu mieux et davantage, ce qui était pourtant déjà en nous, ce que nous sommes en potentialité. (Ascèse : Ensemble d’exercices ou comportements pratiqués en vue d’une élévation spirituelle)
Il nous faut retrouver :
– Le chemin intérieur qui nous mène vers notre être profond, trouver sa propre connexion au monde, cette alliance féconde du pessimisme de l’intelligence avec l’optimisme de la volonté, le fait de bien agir st le but même de l’action
– Notre parlé juste, spontané et vrai, d’où l’apprentissage du silence : Mieux vaut être silencieux qu’incompris, il faut être sûr que le message passé soit bien reçu, la liberté de penser doit précéder toujours la liberté de parole. Pour transmettre il faut être simple
– Notre regard d’enfant avec les yeux du cœur. Ne plus s’opposer au mal mais le transmuer en Bien, et pouvoir sans en subir les malédictions divines, recevoir et porter le collier 6 d’Harmonie
– Cela afin de retrouver la Lumière qui éclaire les idées bonnes et permet à l’âme de les contempler
Il est dit que : « On n’est pas initié
mais on s’initie soi-même »
certes mais cela pas tout à fait vrai car en maçonnerie on n’est jamais seul, on fait partie d’une Loge initiatique et l’on est toujours en contact avec ses Soeurs et ses Frères et avec l’Egrégore de la Loge. Il y a notre esprit mais il y a aussi l’Aide éléments associés qui permettent la construction du Temple.
Nous l’avons tous ressenti, l’Egrégore, quand il est atteint dans une assemblée en harmonie, il est dit qu’il génère 12 secondes d’éternité dans les relations.
Le symbolisme
La méthode proposée est initiatique et progressive par l’apprentissage du symbolisme, c’est là le PLUS apporté par l’initiation maçonnique. A cette école l’initié va découvrir la présence d’un espace sacré, séparé et différent du monde matériel, élément du divin à retranscrire sur la terre, en lui, le Temple, son temple intérieur.
Privé de ses métaux, mis à nu, il constate qu’ont été mis à sa disposition des outils dont il va devoir apprendre à se servir mais d’abord à connaitre et à interpréter dans leur signification.
Ces outils, ces symboles, sont des entités à la fois complexes et lumineuses. Leur étude, leur analyse, fait appel à l’intuition, est génératrice d’émotions, de révélations ; séparation d’abord ; Ce qui est là n’est pas seulement ce que l’on voit, ce que l’on touche, dont on se sert mais aussi ce que cela évoque.
Ce sont des représentations porteuses de sens, des images qui représentent autre chose par association ou convention et dont il faut bien discerner leur part de signifiant 8 et de signifié 9
Aucune représentation n’est unique (symbole 10 vient de « sumbolon », objet séparé en 2 parties qu’il fallait réunir pour en découvrir la parenté. Il y a révélation d’un monde caché à découvrir.
L’équerre, le compas, le livre de la loi sacré, mais aussi l’eau l’air le feu, la terre sont à visiter comme le suggère l’acronyme VITRIOL du cabinet de réflexion.
C’est là mais également « c’est comme » mot clé de l’Analogie, analyse qui fait part égale entre l’intuition et le raisonnement, approche à manipuler avec précaution afin de ne pas prendre les mots pour des idées, invitant à rester dans le juste milieu en raison de leur ambivalence. Par exemple, le feu qui réchauffe certes, régénère la nature mais dont l’excès destructeur brule !
Alors comment conclure cette planche qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponse ?
Tout est dans le travail.
En entrant dans le temple nous pénétrons dans le sanctuaire de la pensée et nous venons y chercher la connaissance, la Lumière, qui fait de nous un serviteur pas un maitre.
Hélas, cependant on ne la trouve jamais complètement car les yeux humains ne pourraient en supporter l’éclat.
Mais on peut en voir les rayons en étudiant la nature, en observant les phénomènes, en descendant au fond de la conscience et surtout en accordant son être au rythme universel (Rituel d’ouverture).
Alors serrons bien nos outils dans les poches de nos tabliers.
Faisons provisions de symboles pour la route.
Ouvrons nos yeux, notre esprit, notre cœur.
Et en avant sur le chemin ; Destination le voyage initiatique.
Alors …Peut être !!
On ne cherche que ce que l’on a trouvé, nous sommes d’éternels apprentis
– le collier d’Harmonie est un présent de Cadmos, roi de Thèbes, à son épouse Harmonie, fille d’Arès et d’Aphrodite. C’est un bijou divin qui passa de mains en mains entraînant pour ses propriétaires successifs, humains donc indignes de le porter, de funestes destins. Voir histoire de Thèbes
– Egrégore : Entité, être collectif issu d’une assemblée.
– Signifiant : Valeur acoustique d’un mot qui identifie l’objet : Ex Pomme
– Signifié : Concept qui associe l’image mentale que l’on reçoit de l’objet : Ex Fruit ou Apple
– Métaphore des morceaux de poterie cassés utilisés en vérifiant qu’ils s’emboitent pour se reconnaitre.
Bibliographie
- Initiation et réalisation spirituelle – René GUENON – Editions traditionnelles 1980
- L’enseignement initiatique – René GUENON – Conférence faite à la RL THEBAH N° 347– Publiée dans la revue « Le Symbolisme » Janvier 1913
- L’ascèse initiatique maçonnique – Gérard B. – RL Le lys et l’Acacia – Octobre 5999
- Le voyage initiatique – Daniel BERESNIAK – Editions DETRAD – 2006
- Approche ésotérique de la connaissance – Henri LAURENT – Arma Artis
- A la découverte de l’alchimie – Bernard ROGER – Editions DANGLES
- La première lettre – Jean-Claude MONDET – Editions du Rocher
Ontomogie ou ontologie ? Coquille répond le clavier !
Et pour compléter, parmi tous les articles sur ce sujet, jetez un coup d’oeil sur : https://450.fm/2022/07/26/initiation-quand-tu-nous-tiens/