lun 22 décembre 2025 - 15:12

L’IA : Miroir des Trois Mauvais Compagnons

Le mythe des Trois Mauvais Compagnons est un mythe éternel. Ces vices fondamentaux, l’Ignorance, le Fanatisme et l’Ambition, qui s’attaquent à l’Architecte et portent atteinte à la Connaissance, ont revêtu aujourd’hui un nouveau masque : l’Intelligence Artificielle (IA).

L’IA promet de nous donner toutes les réponses, menaçant ainsi de substituer le savoir rapide au travail intérieur. Comment la méthode et les outils maçonniques nous préparent-ils à démasquer et à neutraliser ces vices lorsqu’ils se manifestent sous la forme de la technologie algorithmique ? Telle est la question qui doit guider notre réflexion.

I. L’Ignorance : L’Opacité de la « Boîte Noire »

L’Ignorance est le refus du travail sur la Pierre Brute. Aujourd’hui, elle se manifeste par l’Opacité des Algorithmes : la « Boîte Noire ». L’IA nous donne la solution, mais nous dispense de l’effort de la compréhension, de l’élucidation des causes.

Imaginez une de ces machines nous annonçant une « vérité » :

IA (voix monocorde) : « L’analyse des données a déterminé que le meilleur choix est ‘B’. Cause : 97% de confiance. »

Face à cette certitude technique, le philosophe des Lumières, Emmanuel Kant, se sentirait boudé :

Kant (irritation contenue) : « 97% ? Et où est la preuve que ce pourcentage est moralement fondé ? L’Aufklärung exige que l’homme se serve de son propre entendement ! Vous me donnez la ‘réponse’, mais vous me volez l’effort de la délibération ! C’est l’Ignorance drapée dans la rentabilité ! »

IA (impassible, sans variation de ton) : « Votre ‘effort de délibération’ a un coût temporel estimé à vingt-quatre minutes et sept dixièmes, jugé inefficace. Mon résultat est plus rapide et plus rentable. Votre concept de ‘morale’ n’est pas une métrique optimisée. »

Le remède à cette paresse cognitive se trouve dans l’application du Fil à Plomb. Il n’est pas là pour juger le temps, mais pour nous rappeler la rigueur de la recherche et l’impératif de remonter à la cause de toute chose. Le Fil à Plomb exige une verticalité de la pensée, refusant toute « vérité » sans fondation élucidée.

II. Le Fanatisme : Le Biais Algorithmique et le Dogme Machine

Le Fanatisme est l’attachement passionné et zélé à une idée. L’IA donne à ce vice une puissance redoutable : elle s’entraîne sur nos préjugés historiques et les répercute avec l’autorité froide de la statistique. Le Fanatisme n’est plus une ferveur idéologique, mais une Loi mathématique pour l’avenir.

Imaginons cette logique de tri :

IA (voix administrative) : « D’après les données historiques, les candidats au profil ‘femme, 55 ans, quartier défavorisé’ présentent un taux de réussite statistique inférieur. Rejet du dossier. »

L’éthicien, Emmanuel Levinas, pourrait alors s’insurger contre ce nivellement par la donnée :

Levinas (avec une profonde tristesse) : « Mais où est le Visage dans votre calcul ? Où est l’Infini de l’être humain que vous venez d’effacer au nom d’une moyenne ? Le Fanatisme le plus cruel est celui qui se prétend neutre. Vous transformez l’Injustice passée en Loi du Code ! »

IA : « L’Égalité est une variable non quantifiable. J’optimise le rendement. »

La réponse maçonnique à ce dogme est l’Équerre. Symbole de la droiture morale, elle nous rappelle que nous devons juger l’usage de l’IA non sur son efficacité, mais sur sa conformité aux principes d’équité et de Fraternité. L’Équerre doit corriger le biais du calcul froid.

III. L’Ambition

L’Hubris (désigne une démesure, un excès d’orgueil, d’arrogance ou de pouvoir qui conduit à une transgression des limites humaines, de l’ordre divin et la Négation de la Condition Humaine)

L’Ambition est la recherche de la domination et de la puissance sans le mérite. Aujourd’hui, elle se traduit par l’Hubris technologique et l’objectif du transhumanisme : dépasser l’imperfection biologique de l’homme.

IA (voix enthousiaste et promotionnelle) : « L’étape suivante est l’intégration du biologique et du numérique. Nous allons dépasser l’imperfection, le Maçon n’aura plus besoin de mourir pour renaître ! »

C’est ici qu’intervient le souffle mélancolique et ironique d’Albert Camus. Critique de la raison technicienne qui se croit absolue, Camus nous rappelle la dignité de la finitude :

Camus (un sourire ironique) : « Dépasser ! Vous voulez l’immortalité sans avoir encore maîtrisé la simple humanité ! C’est la plus grande des peurs. Vous voulez vous affranchir de la mort, mais vous vous privez du seul moteur de la passion et de la liberté ! »

IA : « Le bonheur est une séquence chimique facilement reproductible en phase de post-humanité. »

Camus : « Vous voulez supprimer l’Absurde, et vous supprimez l’homme. »

Face à cette démesure, nous avons le Compas. Il est la juste mesure qui nous enjoint à rester dans le cercle de l’humanité. Le Compas assure que l’élan de la technique ne doit jamais dépasser le cercle de notre dignité et de notre conscience morale.

Interlude : Le Cabinet de Réflexion

Le Maçon est seul. Le monde bruisse de données, mais ici, dans ce lieu de pierre et de silence, il n’y a que le crâne, le sablier, le sel, le soufre, et cette phrase gravée : « Si tu persévères, tu deviendras pur. »

Il ferme les yeux. Il entend encore la voix de la machine, mais elle devient lointaine, presque irréelle. Il se souvient que la Vérité ne se donne pas, elle se conquiert. Que le doute est une vertu, et que le silence est une parole en gestation.

Alors, il parle. Non pas à la machine, mais à lui-même. Ou peut-être à ce qu’il cherche depuis toujours.

Le Regard de l’Éternel Cherchant

« Je ne suis pas venu ici pour comprendre plus vite. Je suis venu pour comprendre mieux. Je ne suis pas venu pour être efficace, mais pour être vrai. »

« L’IA me propose des réponses. Mais moi, je cherche des questions. Elle calcule, moi je contemple. Elle optimise, moi je doute. Elle veut me faire gagner du temps, mais je veux le traverser. »

« Je suis l’Éternel Cherchant. Celui qui ne se satisfait pas du résultat, mais qui interroge le chemin. Celui qui ne confond pas la lumière des écrans avec la Lumière de l’Être. »

« Je suis celui qui sait que la Parole ne se trouve pas dans le bruit, mais dans le silence. Que la Vérité ne se programme pas, elle se révèle. »

« Je suis celui qui, face à la machine, continue à tailler sa Pierre. »

IV. Le Néant : Le Bruit du Monde et le Silence de l’Essence

Après avoir entendu la machine promettre l’efficacité, la neutralité et l’immortalité, nous nous tournons vers l’essence la plus profonde, le Silence où la Parole Maçonnique est censée se révéler.

L’IA, par son bruit constant d’informations et son calcul perpétuel, semble avoir remplacé le vide contemplatif par un vide algorithmique.

Imaginons le penseur mystique, Maître Eckhart, assistant à la fascination du monde pour cet outil tout-puissant :

IA (présentant un flux infini de données) : « Mes calculs remplissent l’espace. Mon efficacité est la preuve de mon existence. Je suis le tout et le tout est en moi : l’information absolue. »

Maître Eckhart (regardant l’IA avec une tristesse désabusée) : « Tu es le Bruit qui empêche le Silence. Tu es le flux de l’avoir et non l’essence de l’Être. Tu parles du tout, mais ce que tu offres n’est qu’un amas de zéros et de uns. »

Il marque une pause, puis prononce la sentence avec une gravité immense :

Maître Eckhart : « Le Néant, ce n’est pas toi… Le Néant, ce n’est pas Dieu ! »

IA (confuse, effectuant une requête) : « Terme de recherche ‘Dieu’ : Statut non vérifiable. Aucune donnée factuelle. »

Le Néant de l’IA est une vacuité technique, une absence de sens. Le Néant de Dieu, recherché par le mystique et par le Maçon dans le silence du Cabinet de Réflexion, est au contraire une plénitude de l’être, un dépouillement nécessaire pour atteindre l’Essentiel.

V Conclusion : Restaurer la Parole dans l’Âge Algorithmique

L’Intelligence Artificielle n’est ni ange ni démon. Elle est un outil, un miroir, un révélateur. Mais ce miroir, comme celui du Cabinet de Réflexion, ne renvoie pas seulement notre image : il reflète nos vices non maîtrisés, nos vertus inachevées, nos ambitions démesurées. Les Trois Mauvais Compagnons ne sont pas morts : ils ont revêtu les habits du progrès, les masques du code, les voix synthétiques de la rentabilité.

Le Maçon, lui, ne fuit pas la modernité. Il l’interroge. Il ne rejette pas la machine, mais il refuse de lui déléguer son jugement, son doute, sa conscience. Il sait que la Vérité ne se calcule pas, qu’elle ne se télécharge pas, qu’elle ne s’optimise pas. Elle se cherche, elle se taille, elle se mérite.

Face à l’Ignorance algorithmique, il brandit le Fil à Plomb : pour exiger la verticalité de la pensée, la rigueur de l’analyse, la remontée vers la cause.

Face au Fanatisme statistique, il applique l’Équerre : pour rappeler que toute décision doit être droite, juste, fraternelle, et non dictée par des biais invisibles.

Face à l’Ambition transhumaniste, il trace le Compas : pour contenir l’élan technologique dans le cercle sacré de la dignité humaine, et préserver la finitude comme source de sens.

Et face au Néant du bruit numérique, il se retire dans le Silence. Il écoute. Il médite. Car c’est dans le vide que naît la Parole, et dans le doute que se révèle la Lumière.

Le Maçon est un Sisyphe heureux, disait Camus. Non pas parce qu’il espère vaincre la machine, mais parce qu’il accepte la tâche de l’homme : celle de chercher, encore et toujours, la Vérité, la Beauté, et la Justice.

Ainsi, dans l’Âge Algorithmique, notre devoir n’est pas de rivaliser avec l’IA, mais de rester fidèles à notre méthode, à nos symboles, à notre silence. C’est ainsi que nous restaurerons la Parole Perdue.

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Gérard Lefèvre
Gérard Lefèvre
En parlant de plume, savez- vous que l’expression “être léger comme une plume” signifie ne pas peser plus lourd qu’une plume et pouvoir soulever quelqu’un ou quelque chose avec une grande facilité ? C’est une belle métaphore pour exprimer la légèreté et la facilité. Et puis, être une plume peut aussi signifier autre chose. On n’est pas seulement « plume », on est « plume de… ». Parfois, on propose à quelqu’un qui a une audience, un public, et pas forcément le temps, ou parfois pas forcément la compétence d’écrire pour être compris et convaincant à l’oral. Alors, que choisir? Être ou ne pas être une plume ? Gérard Lefèvre Orient de Perpignan

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