(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
« C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas »
…déplorait déjà Victor Hugo, dans ses Carnets[1], il y a plus de cent cinquante ans, en lointain devancier d’un certain Jacques Chirac, qui s’exclamait, au sommet de la Terre de Johannesbourg, le 2 septembre 2002, soit peu après sa réélection comme Président de la République française : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs, » formule demeurée célèbre[2] mais alerte peu suivie d’effet par celui-là même dont on pouvait espérer qu’en la proférant, il en avait pris conscience.

À mon humble niveau, je m’étais vu confier, en décembre 2021, par le Grand Maître en exercice[3] de l’Obédience à laquelle j’appartiens, une conférence de Tenue de Grande Loge, sur le thème : « Franc-maçonnerie et Environnement ». On avait pris soin de ne pas l’intituler : « Franc-maçonnerie et Écologie », pour éviter de heurter frontalement les susceptibilités politiques, en cultivant l’espoir que les Frères fussent sensibles à une approche intégrative, encouragée par la correspondance symbolique du microcosme et du macrocosme ou l’évocation combinée de la voûte étoilée et du pavé mosaïque, pour s’en tenir à ces deux exemples ; mais l’imbrication des écosystèmes, qui fait naturellement sentir la communauté de destin du vivant sur la planète, n’a guère insolemment saisi les consciences et, pour tout dire, a semblé tout au plus susciter une indifférence polie, comme s’il se fût agi d’un énième exercice rhétorique, sans doute louable mais dénué de toute portée.

Et, cette absence d’intérêt véritable, j’ai récemment eu le regret d’en mesurer l’ampleur au public plutôt clairsemé qui assistait, le samedi 22 novembre 2025, dans une grande salle parisienne, à un colloque consacré à « l’écospiritualité », notion qui eût mérité davantage de curiosité de la part d’esprits éveillés, surtout qu’était tout à fait remarquable le plateau des conférenciers, réuni à l’initiative de notre Frère Jean Dumonteil[4], sous l’égide de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française (l’Alliance). La journée n’en fut pas moins passionnante, ouvrant de multiples pistes de réflexion qu’il appartenait ensuite à chacun de poursuivre avec cœur et résolution.
Ce qui est évidemment fâcheux à notre échelon, c’est que la franc-maçonnerie, comme instrument d’accompagnement des êtres dans l’élévation de leur conscience concomitamment à la recherche subtile et à la paisible jouissance de leur harmonie, ne saurait, sans concourir au risque funeste de disparition du jeu multiple des poids et des contrepoids dans l’organisation du vivant, faire l’impasse sur un engagement plus profond – collectif, personnel et quotidien – non seulement contre les lourdes et incessantes prédations de notre espèce envers son milieu, où qu’il se trouve, mais en faveur de l’émergence d’un mode de vie sobre, respectueux des régulations naturelles et des équilibres tendanciels qui se sont perpétués, pendant des millénaires, à leur rythme et à leur dimension, tout en se transformant – quoiqu’au cours des deux derniers siècles, ils aient eu à manifester une capacité de résilience extraordinaire, malheureusement aujourd’hui compromise par des ruptures en chaîne.

Nous autres, francs-maçons, devrions être aux avant-postes, dans la reconnaissance de l’interdépendance des phénomènes, dans la perception de cette solidarité universelle, dans l’apprentissage de cette langue des choses qui permet à la raison sensible de passer progressivement de « ce que je veux » à « ce dont la terre a besoin », bref, dans la revendication de cette nécessité, devenue aujourd’hui une urgence, de réconcilier les humains et la nature.
Ne comprenons-nous pas qu’à vivre « hors-sol, comme des tomates hollandaises », nous perdons tout sens des priorités et qu’à force de nous refuser à comprendre que nos déséquilibres intérieurs provoquant la démesure de nos consommations – et réciproquement dans un cycle infernal – ont fini par infester la terre entière, engendrant des déséquilibres écologiques bientôt irréversibles[5] ?

En retrouvant le sens de la sacralité du monde, il nous reste à découvrir que nous sommes capables et de nous confronter à la conscience de la mort et de nous recentrer sur des finalités à la fois sobres et joyeuses, en recherchant de nouveaux accomplissements dans nos vies et en nous construisant ainsi, ensemble, un avenir désirable.
[1] Victor Hugo, Choses vues (Carnets – Albums – Journaux), 1870, in : Œuvres complètes, volume 35, tome I, Éditions Rencontre, 1968.
[2] Pour accéder à la notice Wikipedia qui se rapporte à ladite formule, cliquer ici. On peut aussi se reporter à un entretien avec le Professeur Jean-Paul Deléage, son auteur originaire, qui précise les circonstances dans lesquelles il l’a introduite dans le discours du chef de l’État, en cliquant ici.
[3] Pierre-Marie Adam, alors Grand Maître de la Grande Loge de France, que je remercie encore de sa confiance.
[4] Jean Dumonteil est l’auteur de Sentiment océanique – Lettres à un frère (Éditions Numérilivre, 2023, 186 pages, 18 €) et co-titulaire, avec Annick Drogou, de la rubrique « Mot dico », dans ce Journal, avec comme mot du mois en novembre 2025 : « Horizon ».
[5] Je passe ici sous silence le désastre de ces déséquilibres intérieurs dans la seule histoire de l’humanité, quoique tout, évidemment, ait partie liée.
