mar 25 novembre 2025 - 06:11

Penser l’émergence de l’univers

Le procès de Galilée en 1633 et le débat d’Oxford en 1860 [1] sont certainement les deux plus célèbres affrontements entre la science et l’Église. Si le procès de Galilée est le plus connu des deux, c’est bien sûr parce qu’il a donné lieu à un jugement et à l’exécution d’une sentence. Ils sont pourtant en tous points identiques, la seule différence tenant à la puissance politique de l’Église à l’époque des faits ; elle avait la gestion des bûchers et des geôles au XVIIe siècle et ne l’avait plus au XIXe.

Il est une autre différence majeure entre les deux, c’est que le dogme du géocentrisme défendu par l’Église au XVIIe siècle a été définitivement écarté en 1992 par les excuses officielles du pape, alors que le dogme de l’homme créature divine, exempte des lois de l’évolution, est encore très loin d’être abandonné.

Grande figure gnostique de Rome, Valentin va développer et structurer les théories gnostiques fondatrices de l’univers : le Propator (le Père), engendre Sige (le silence), qui engendre le Noùs (l’esprit) et Aléthéia (la Vérité) qui à son tour engendre le Logos (le verbe) et Zoé (la vie) et ainsi de suite jusqu’à l’Anthropos (l’homme) lequel engendre Thélétos (la volonté) et Sophia (la sagesse). Ces 30 premiers éons constituent le Plérôme dont sortira le démiurge créateur. Tout cet enseignement se trouve dans la Pistis Sophia, la bible des gnostiques d’Égypte.

Pour les éclaircissements du sens naturel de la Pistis Sophia apportés par Papus en 1898 dans son opus L’âme humaine avant la naissance et après la mort 

Au XVIe siècle, Isaac Louria a l’intuition du tsimtsoum. Son interprétation du Zohar, le Livre de la Splendeur et en particulier du Béreshit (בְּרֵאשִׁית), première parole de la Genèse, généralement traduite par «Au commencement» (alors qu’il vaudrait mieux utiliser la traduction de Chouraqui   « dans les commencements »), fait appel à une contraction de l’essence de Dieu ( אַין סוֹף, l’aïn Sof) qui se retire pour laisser un vide d’où paraîtra un point de lumière (aor, אַוּר) qui, en simplifiant à l’extrême, donne origine au créé par émanations successives. Processus primordial qui est à l’origine des mondes.
Cette conception émanationniste, introduite au XVIe siècle dans la kabbale par Rabbi Isaac Louria Achkenazi, concerne l’apparition du monde divin et terrestre, dont l’émanation s’assimile à une auto-contraction de la divinité, tel un exil en son sein, permettant l’instauration d’un espace vide.
Écoutons le Zohar : «Sache qu’avant que ne soient émanés les émanés et que les créatures ne soient créées, une lumière supérieure simple remplissait toute la réalité. Il n’y avait aucune place libre, … ; tout était lumière, une, simple, homogène, c’est ce que l’on appelle la Lumière de l’Infini (Aur Ain Sof). Lorsque monta à sa volonté simple de créer les mondes …, alors, il se contracta lui-même.» Cette contraction, c’est le tsimtsoum.
Ce point est dans un non-espace qui est un vide non-vide. Si le sens du mot Tsimtsoum est la contraction (puisqu’il dérive de Létsamtsèm qui veut dire contracter), dans le langage Kabbalistique il exprime aussi le retrait. Le Tsimtsoum est donc pour la Kabbale une double action, d’abord de contraction de la lumière (simple et unique) de l’infini, ensuite de rétraction. Par ce processus, D.ieu va refouler son Ein Sofiyouth, Son Infinitude, et laisser place à Sa création. Ce double mouvement de contraction-rétraction de l’état originel, sera le premier souffle de la Genèse.

Le point central (ou premier) est appelé Nékoudah Ha Emtsaï, ce point médian correspond à Even Chtiya, la pierre angulaire ou de fondement. Bien qu’informel, ce point représente la première matérialisation du Ratson Ha Boré, le Désir de créer à partir duquel D.ieu va fixer Son Objectif pour la création. C’est à partir de son hyper concentration que D.ieu va retirer, siphonner l’Ain Sof, l’infini, pour créer une limite, Sof, à l’émanation primordiale (Éric Daniel Elbaz).

Mais, pour que la création puisse s’expanser, que l’infini ne la submerge pas dans un mouvement inverse, une délimitation fut installée en même temps. Depuis, une force maintient séparée la dualité de l’Unité.

L’AïnSoph est donc la Déité sans borne, ou sans limite, qui émane et s’étend.
Les Kabbalistes disent Aïn-Soph, horizon de l’éternité ; les philosophes agnostiques l’Inconnaissable ; les spiritualistes et les religieux Dieu ; les francs-maçons GADLU.
Les uns s’appuient sur la raison humaine en indiquant sa limite, les autres sur la révélation et sur la foi ; certains, même, admettant le concept de Dieu, ne se sont pas embarrassés dans les difficultés car, pour eux, le vivant et la nature sont Dieu, et Dieu c’est la nature, ce sont les panthéistes comme Spinoza.

Pour tous les chercheurs, quelle que soit leur croyance, Aïn-Soph, l’Inconnaissable, Dieu ou la Nature sont des termes qui concrétisent l’origine de l’Être, des êtres et de tout l’univers visible ou invisible.

Avec Aïn-Soph et Dieu, sous deux vocables, il y a le même concept de la transcendance. On peut reculer dans une certaine proportion la limite de l’Inconnaissable ; quant à la Nature, c’est une résultante, son immanence dans le sein des êtres qui la constitue, qui la rend solidaire de leurs métamorphoses, de leur vie et de leur mort.

Helena Blavatsky

Au commencement le principe omniprésent éternel, illimité, inconcevable et immuable, innombrable, que Blavatsky appellerait l’Être-té ou la Vie-une ; le Aleph auquel le Beth du béreshit nous renvoie, le  Ayin, le Rien. Une fois sorti de cet absolu, la dualité survient dans le contraste de l’esprit et de la matière qui demeurent, sous deux aspects différenciés, la même chose, le Un. L’esprit est la première manifestation de la matière et la matière est la première manifestation de l’esprit  La substance cosmique, l’espace, l’aether grec est aussi appelé la Mère avant son activité cosmique, et le Père-Mère au premier stade de son réveil, dont le mode de mise en mouvement peut-être le Logos, le Verbe. L’univers manifesté, qui en est issu ensuite, est donc pénétré par cette dualité. Il en est le fils consubstantiel ; c’est le Fils de la vierge-mère fécondée par l’esprit. Et l’on peut dire : de l’esprit (ou Idéation cosmique ou Père) viendrait notre conscience.

Pour les premiers kabbalistes chaldéens, Aïn Soph était sans forme ni être et sans ressemblance avec quoi que ce soit. Aïn sof est à rapprocher de Parabrahman, terme védântin signifiant au-delà de Brahmâ, le Principe Suprême et absolu, impersonnel et sans nom. Dans le Veda, il est évoqué comme «Cela».

Nul pourtant ne paraît s’être enfoncé aussi profondément dans l’insoluble problème que le cordonnier auto­didacte et quasi illettré, Jacob Böhme. Au chapitre II de son De Signatura Rerum, on lit : «Par delà la nature, se trouve le Rien, silence et repos éternels : De toute éternité, au sein de ce Rien une volonté s’élance vers quelque chose. Ce quelque chose qu’elle convoite, c’est elle-même, puisqu’il n’y a rien, sinon elle-même.» (p.13)

Par le tsimtsoum, Dieu laisse la place à l’être fini autre que lui. Avec le tsimtsoum, le monde perd sa perfection. Il apparaît alors dans sa deuxième modalité, sous la forme de cinq mondes : l’Homme Primordial, les mondes de l’Émanation, de la Création, de la Formation et de l’Action. Ces mondes étant imparfaits, les actions réparatrices de l’homme y ont une place et constituent, par la perfection qu’elles instaurent, le sens ultime de la création.

La Monas Hieroglyphica composée à Londres, et terminée en 1564 à Anvers par le Dr John Dee, astrologue de la reine Élisabeth 1ère, est un petit traité qui enseigne comment le hiéroglyphe mercuriel dérive du point central ou iod générateur. En hébreu, l’initiale du nom de la colonne Jakin est un iod.

Au commencement était le Logos

Du grec ancien λoγος, lógos. Littéralement ce qui « logue », réunit, contient tout. Ce conteneur universel, ce conteneur confondu ou réuni avec son contenu, le tout qui est aussi la forme à la fois primale et ultime du Un, les physiciens l’appellent le «bulk», le corps total des multiples dimensions de l’univers.

Selon les Notions Philosophiques de Sylvain Aurox, logos est l’un des termes qui, dans la pensée grecque, a la plus grande polyvalence (comme dans la pensée juive avec le mot dabar דְבַר, parole) et qui voit très tôt ses emplois spéculatifs déborder son acceptation ordinaire.

Dans un premier sens logos signifie parole (un mot, une mention, un bruit qui court, un entretien, un récit, une composition en prose, des belles-lettres, des sciences, des études, un sujet d’entretien, d’étude ou de discussion). Dans un second sens logos signifie raison, il est la faculté de raisonner, la raison l’intelligence, le bon sens, la raison intime d’une chose, le fondement, le motif, l’exercice de la raison, le compte-rendu d’une justification, l’opinion au sujet d’une chose à venir, la présomption, l’attente.

Platon et Aristote philosophant

La proportion analogique, voici la grande conceptualisation grecque, pas celle du rapport simple a/b, mais celle qui intéresse en tant que médiété, celle qui va d’un rapport à un autre, tel a/b=c/d et par substitution peut passer de celui-ci à un troisième rapport et ainsi de suite. Il ne s’agit point de couper quelque chose en part, donc de partager ou de prélever, ce que chacun, généreux ou léonin, sait faire depuis les commencements, mais de construire, pas à pas, une chaîne, donc de trouver ce qui, sous-jacent, stable et glissant, transite le long de son enchaînement. Les Grecs appelleront ce rapport d’analogie « logos ». Comme Platon et Aristote, les Stoïciens penseront que le logos pur est parole, intelligence, un accès direct et véritable aux choses, ce que les nombres et leurs rapports peuvent faire. Platon s’inspire de la Thora en écrivant que le monde des idées, le logos, qui est invisible, est à l’origine de l’univers.

La notion de logos est bien antérieure aux évangiles ; cette notion de parole ou verbe-démiurge se trouve déjà dans les spéculations égyptiennes et  la traduction de la Bible en grec (la Septante) donne l’occasion de voir comment le logos de Dieu (le memar) est utilisé dans l’Écriture juive, bien avant le temps des Apôtres (St Jean pose le postulat qu’il existe un principe premier et suprême reposant sur la parole et la lumière).

Anaximandre

La reconquête du sens originaire de logos suppose un travail archéologique sur la pensée des présocratiques notamment celles d’Anaximandre ou d’Héraclite qui pensent  le logos comme ce qui constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde. Il ne peut être saisi que si nous entrons en dialogue avec lui. Il fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique. Héraclite déplorait que les hommes soient incapables de comprendre la permanence du logos bien que celui-ci soit à l’origine de la pensée humaine. Dans l’antique philosophie grecque, le logos est en fait le principe qui gouverne le cosmos, la source de toute activité, de toute création et génération, notion assimilée aussi par les gnostiques.

Heidegger conclut que logos n’aurait pas pour signification première «ce qui est de l’ordre de la parole mais, ce qui recueille le présent, le laisse étendu-ensemble devant et, ainsi, le préserve en l’abritant dans la présence».

S’inspirant de la rhétorique aristotélicienne, Roland Barthes liait l’ethos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message.

Cependant, cette énergie primordiale ne serait-elle pas cette énergie noire, proposée actuellement par le commissariat à l’énergie atomique dans leurs dernières recherches astrophysiques, et qui, comme l’écrit Michel Cassé, fait naître «un état de grâce, d’élévation, où l’envol l’emporte sur la chute, une antigravitation» ?
Les données récentes sur l’accélération de l’expansion de l’espace et l’éloignement des galaxies dans notre univers, ainsi que la présence de ce qu’on a appelé énergie sombre et matière noire, pourraient faire penser que la vision de Louria du tsimtsoum n’est pas très éloignée de la réalité cosmologique. Cela évoque «l’araignée au centre de sa toile, image du soleil dont les rayons, qui sont des émanations ou des «extensions» de lui-même (comme la toile de l’araignée est formée de sa propre substance), constituent en quelque sorte le «tissu» du monde, qu’ils actualisent à mesure qu’ils s’étendent dans toutes les directions à partir de leur source» (René Guénon).

Aujourd’hui, la théorie de l’émanation est à repenser en perspective avec les connaissances scientifiques de la physique quantique.

L’émergence est donc une manière d’expliquer la diversité du Monde connu, c’est-à-dire de l’Univers.

Une structure est dite émergente si elle apparaît brutalement en étant issue de la dynamique, c’est-à-dire que ses propriétés n’existaient pas préalablement dans les éléments qui l’ont composée. Les éléments liés sont alors intégrés en un ensemble, une entité qu’on ne peut dissocier sans la détruire.

Par exemples : l’émergence de la vie, l’émergence de la matière. Elle est le plus souvent un phénomène observable, reproductible, mesurable et qui correspond à des lois scientifiques reconnues. Même les transitions de phase qui ont donné naissance à notre univers peuvent être reproduites si celles-ci mettent en jeu des énergies que l’on peut obtenir en laboratoire. On peut ainsi créer de la lumière et de la matière à partir du vide. Ce que l’on appelait autrefois «le mystère des origines» devient aujourd’hui lois de l’émergence.

Pour Emmanuel Lévinas : «La merveille de la création ne consiste pas seulement à être création ex nihilo, mais à aboutir à un être capable de recevoir une révélation, d’apprendre qu’il est créé et à se mettre en question. Le miracle de la création consiste à créer un être moral»

Reste les questions, pourquoi et pour quoi un ordre plutôt que le chaos ? Quant à l’évolution, promis j’en ferai un article bientôt.

Petit lexique des termes employés

Apeiron

L’infini, l’illimité. élément inventé par Anaximandre synthétisant les quatre autres (terre, eau, air et feu). Il s’agit d’une «substance première, infinie, immortelle, enveloppant et gouvernant toute chose». Anaximandre fait de l’apeiron la seule cause du développement organisé de notre univers. Il le décrit comme étant un élément invisible déterminant tout ce en quoi consiste notre monde et ce depuis toujours jusqu’à l’infini.

Pour Anaximandre, l’Apeiron serait une substance qui est origine, source et réceptacle du Tout, éternelle et indestructible. Elle est la cause complète de la génération et de la destruction de tout : tout ce qui devient a un commencement, une fin, des limites spatio-temporelles et donc, ce qui a un commencement et une fin ne peut être la cause éternelle de tous les êtres ; donc ce qui est illimité et indéterminé peut-être une cause universelle, indestructible et permanente.

Memra

Puisque Dieu est en quelque sorte intouchable, il est nécessaire de fournir un lien viable entre YHWH et sa création terrestre. L’un des liens importants considérés dans la pensée rabbinique antique était le Verbe (la parole, le mot) appelé memar en chaldéen et ma’amar en araméen. Le Pirke Avot utilise le mot au pluriel, assara ma’amaroth, pour qualifier les dix paroles par lesquelles fut créé le monde (ne pas confondre mais à rapprocher avec le décalogue, assereth hadibberoth (עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת), les 10 paroles que sont les 10 Commandements. Leur énoncé est précédé par un verset singulier, Exode 20.1, où il est dit ; «Alors D.ieu prononça toutes ces paroles», seul de tous les versets de la Torah, dont la structure 7 mots et 28 lettres, est identique à celle du 1er verset de la Torah ; «Au Commencement D.ieu créa les cieux et la terre ; Béréchit Bara Elokim Et HaShamayim VéEth HaAréts» (Genèse 1,1). Par cette structuration identique, nous apprenons que la Puissance mise par D.ieu dans Son Acte créateur, a été de la même intensité que celle mise dans Sa Révélation (Secrets de Kabbale Livre 1 : Béréchit par Eric Daniel El-Baze).
Pour la kabbale Memra (םאםר) montre le Aleph, l’Intemporel, projeté en un double modèle biologique dans l’univers séparant les eaux d’en haut des eaux d’en bas (les deux ם) avec le souffle/Esprit (rouakh le ר) ; c’est la liaison entre le matériel et le spirituel, simultanément le mot/création (le verbe) et l’univers créé.
Les rabbins ont enseigné que le memra était l’agent du salut. Qu’il s’agisse d’un salut physique (tel que l’Exode à la sortie d’Égypte) ou d’un salut spirituel, Dieu a toujours sauvé par l’intermédiaire du memra, par Sa Parole. «C’est le Verbe en tant qu’Intelligence divine, qui est le lieu des possibles.» (René Guénon)
La doctrine du Logos de St Jean, avec l’évocation du «memra», se trouve déjà, tout au long de la théologie juive du premier siècle, dans les targums, ces paraphrases rabbiniques et commentaires de l’Ancien Testament qui commencent à apparaître autour du temps des Apôtres.  Le père Lev Gillet III dans Judaïsme et foi chrétienne (à partir de la p.6/20 , explore la notion de Memra dans la littérature du Targum, en la comparant à d’autres concepts théologiques.
Dans la Bible hébraïque, la « Parole de Dieu » est créatrice, protectrice du peuple élu et inspiratrice des prophètes, avec une tendance à la personnification poétique plutôt que métaphysique. Dans le Targum, le Memra devient un intermédiaire entre Dieu et le monde, distinct du Hochmah (Sagesse) et du Métatron (Ange de la Présence). Contrairement au*Logo* de Philon, influencé par la philosophie grecque, le Memra reste ancré dans la pensée rabbinique, bien qu’il partage certaines affinités avec des notions comme le Paraclet.
Le Memra n’est pas un simple outil pour éviter l’anthropomorphisme, mais porte une signification théologique profonde, comme le souligne Nahmanide. Il est parfois personnifié, intercesseur pour Israël, et invoqué dans la prière comme une entité distincte. Le texte évoque aussi l’idée de filiation divine, présente dans l’Ancien Testament et la littérature rabbinique, où le Messie est parfois appelé « Fils » de Dieu dans un sens unique, sans impliquer une descendance physique. Le Zohar établit un lien entre Memra, Fils et une forme d’unité divine, préfigurant certaines idées chrétiennes sans s’y assimiler totalement. Le texte conclut que, bien que la doctrine chrétienne de la Trinité ne se retrouve pas telle quelle dans le judaïsme, la pensée juive a développé des concepts (Memra, Fils, Messie) qui ont influencé les formulations chrétiennes, sans contredire la foi juive ni heurter son monothéisme.

Ordo ab chao

L’ordre issu du chaos. C’est la tension entre l’entropie et la négentropie. Le chaos, ce serait l’amoncellement inorganisé sans cohérence. L’idée d’ordre implique la nécessité de penser et de régler, pour ne pas dire réguler l’organisation de la matière à partir d’une nature inerte et désorganisée.

Nassim Haramein explique le Big bang, le chaos et l’ordre : L’infini dans le fini 

L’état primordial, primitif du monde, c’est le Chaos. C’était, selon les poètes, une matière existant de toute éternité, sous une forme vague, indéfinissable, indescriptible, dans laquelle les principes de tous les êtres particuliers étaient confondus. Le Chaos était en même temps une «divinité» pour ainsi dire rudimentaire, mais capable de fécondité. Il engendra d’abord la Nuit, et plus tard l’érèbe (la ténèbre).

Ce grand mystère est au cœur des secrets des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale. Les anciens alchimistes représentaient la formule ordo ab chao à l’intérieur d’un serpent (ou dragon) se mordant la queue, appelé ouroboros.

Pythagore aurait donné le nom de cosmos (monde ordonné en grec) à l’univers à cause de l’ordre qui y règne. Le réel a un ordre et une évolution vers la complexification par émergences successives.

Ordo ab chao, cette formule est aussi la devise et l’emblème de la Franc-maçonnerie hermétique, dont l’origine remonterait à l’Égypte ancienne.
Sur le plan historique, on trouve des traces de cette devise dès 1149, elle apparaît en inscription, dans un document trouvé en Allemagne faisant allusion aux Stone Layers. On la retrouve en 1250, 1295 dans différentes archives compte rendu de congrès ou de réunions de loges liées aux Anciens Maçons Opératifs, qu’elle accompagnera régulièrement. Elle s’affirme progressivement au cours du XVIIIe siècle et définitivement administrativement pour la 1ère fois après des années délicates dans la patente de De Grasse Tilly tout début XIXe, afin de mettre en place un certain ordre après le désordre qui régnait à l’époque en ce qui concerne l’organisation des grades de l‘écossisme. Il était nécessaire de mettre en place une transmission initiatique cohérente favorisant un ordre du chaos de l‘époque, en s‘appuyant sur les grandes Constitutions. Dans ce cadre on peut situer le but du REAA comme l‘union, le bonheur, le progrès, et le bien-être de la famille humaine en général et de chaque homme en particulier.

Comme l’écrit René Guénon (Aperçus sur l‘initiation, p.21) «Pour que le Chaos puisse commencer à prendre forme et à s‘organiser il faut qu‘une vibration initiale lui soit communiquer par les puissances spirituelles que la Genèse hébraïque désigne comme élohim, cette vibration, c‘est le Fiat Lux qui illumine le Chao et qui est le point nécessaire de tous les développements ultérieurs».
Le  Chao est perçu comme un état négatif, alors qu‘il peut aussi être source d‘inspiration et qu‘il contient en germe tous les éléments de la création, de notre développement d‘homme en tant que franc-maçon.

Cela est repris par Michel Constant (Réflexions sur  Ordo ab Chao  dans  Traditions écossaises, n° 4 Juillet 2002) «Par étapes successives, par degrés l‘impétrant est confronté à la destruction d‘anciens repère de pensée ; destruction qui doit permettre de construire de nouveaux repères plus subtils qui, une fois assimilés, seront eux aussi détruits pour permettre une nouvelle étape, une nouvelle construction.»

Depuis la création du 1er Suprême Conseil du Monde le 31 mai 1801 aux États-Unis à Charleston,  la devise Ordo ab chao est la devise du Rite Écossais Ancien et Accepté. En adhérant à cette devise, le Maçon du REAA reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’Univers.

Le relèvement du maître est un nouvel ordre donné après le désordre, celui du chaos de sa mort.

Écouter Marc Halévy sur la notion d’ordo et chao et la complexification de la réalité 

Tétraktys

Quelle époque cette Renaissance ! Des érudits qui connaissent plusieurs langues (l’hébreu en particulier), les écrits des Anciens et qui pensent courageusement malgré l’Inquisition.
– Au chapitre, « Du nombre quaternaire & de son Échelle », Henri Corneille Agrippa (qui parle huit langues :allemand, français, italien, espagnol, anglais, latin, grec, hébreu) dans son livre « La philosophie occulte », énumère, à partir de la Tetracte (Tétraktys), les représentations et les significations holistiques du nombre quatre : .
– Joannhes Reuchlin fait une analogie entre la tétraktys et le tétragramme : si uultis tetragrramaton per choros ad cubum, per cubum ad romani quadernitudinem appellant, per cubum ad tetractyn uestram, quam nos tetragrammaton , romani ab ea ad binariu angelicam naturam significantem et inde ad unitatem deum optimum maximum et experiemini « De Arte cabalistica libri tres (On the Art of the Kabbalah De Arte Cabalistica, version latine avec traduction en anglais).
L’idée est traduite par François Secret dans son ouvrage, La Kabbale (De arte cabalistica) (pp.177 et 178) : «Nous voyons donc découler d’une seule source les principes jumeaux des choses temporelles, la pyramide et le cube, c’est-à-dire la forme et la matière. Nous les voyons provenir du même carré, dont l’idée, comme nous l’avons montré auparavant, est la Tétractys, le divin exemplaire de Pythagore. J’ai donc expliqué le plus brièvement que j’ai pu les symboles primordiaux qui, en fait, ne désignent rien autre que la matière et la forme.»
Rappelons que pour Reuchlin, le nom de Jésus, traduit en hébreu, présente les cinq lettres du pentagramme YHSVH ou IHSUH : il équivaut aux quatre lettres du nom sacré de Yahvéh יהוה, le tétragramme sacré, YHWH ou IHUH, où, au milieu, vient s’insérer un shin (un « s »), une consonne entre deux voyelles de part et d’autre ; ainsi, le Nom interdit, ineffable, devient dicible. Trois étapes dans les Noms de Dieu se dessinent, selon Reuchlin : aux temps de la nature Dieu s’appelait par le trigramme Sadaï (SDI), aux temps de la Loi (sous Moïse) Dieu s’appelait par le tétragramme sacré prononcé Adonaï (ADNI), enfin, au temps de la grâce (sous Jésus), Dieu s’appelle par le pentagramme Jhesu (IHSVH). In natura SDI, in lege ADNI, in charitate IHSVH (Dans la nature SDI, dans la Loi ADNI, dans la charité IHSVH).

Le mot tétraktys signifie «quadruple éclat rayonnant», elle est la tétrade, le Quatre sacré par lequel juraient les Pythagoriciens pour qui cela représentait le résumé universel de la révélation divine enfermé dans les nombres quatre, trois, deux et l’unité.

La tétraktys est un formalisme, un plérome, une image pour exprimer une vision de la formation de la création, de la structure du monde selon une théorie de l’émanation. L’importance de la Tétraktys pythagoricienne, dans n’importe quel type de connaissance métaphysique et cosmogonique, est incontestable.

Tohou wa Bohou ; tohou bohou

L’état de l’univers avant la séparation des eaux est dans la Bible le tohu bohu.
Tohou, le souffle est dans le signe ; Bohou, le souffle est à l’intérieur.
Tohou wa bohou (וָבֹהוּ תֹהוּ), qui apparaît dans la Genèse 1,2, semble être le chaos qui s’est organisé pour donner naissance à la vie. Tohou est la substance pure première qui ne contient pas d’information et le bohou est l’information de l’existence.
Bohou n’est jamais utilisé dans la Bible sans tohou.


[1] Lors du légendaire Débat d’Oxford de 1860,  l’évêque Wilberforce aurait demandé, sarcastiquement, au biologiste et anthropologiste Thomas Henry Huxley, si « c’était par son grand-père ou sa grand-mère qu’il prétendait descendre d’un singe ». Huxley aurait répondu : « Si l’on me demande si je préférerais avoir un misérable singe pour grand-père ou un homme hautement doué par la nature et doté d’une grande influence, mais qui emploie ces facultés et cette influence dans le seul but de ridiculiser une sérieuse discussion scientifique, j’affirme sans hésiter ma préférence pour le singe. » Ou quelque chose du genre.

[2] Aperçu sur la kabbale p. 73 

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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