dim 16 novembre 2025 - 16:11

La Franc-maçonnerie et l’influence des marginaux de la réforme Protestante

Les Anabaptistes ou la révolution sociale du seizième siècle

« La société est composée de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d’appétit et ceux qui ont plus d’appétit que de dîners »

 Chamfort.

L’histoire des Anabaptistes s’inscrit dans le courant des grands événements de l’histoire sociale et religieuse du monde. D’ailleurs le marxisme reconnu l’anabaptisme comme l’une des grandes expériences de socialisme, voire de communisme, avant l’heure. Cette doctrine religieuse bouleversa l’Europe de l’époque en général et l’Allemagne en particulier et ses conséquences historiques et sociales se prolongèrent après sa défaite militaire et imprima, inconsciemment, aux événements futurs une marque profonde.

L’anabaptisme se répandit dans toute l’Allemagne dès les premières années de la réforme luthérienne. Ayant réprouvé, dès le début, comme contraire aux textes de l’Evangile, le baptême des enfants, les anabaptistes commencèrent dans les premiers jours de 1525, à conférer à leurs adeptes un nouveau baptême qui se voulait le baptême de l’Esprit. Cette particularité purement extérieure, et par ailleurs nullement essentielle, leur valut le nom d’ « Anabaptistes » qui était, en fait, un sobriquet donné par leurs adversaires. Les enfants ne recevaient le baptême qu’à l’âge adulte. Mais, la plus grande diversité de doctrines et d’organisations ne tarde pas à morceler le mouvement en de nombreux conventicules autonomes : Sébastien Franck, un contemporain qui avait d’étroites relations avec les anabaptistes énumérait, dans sa chronique, 44 groupes qui vivaient entre-eux en parfaite harmonie et reconnaissaient tous ce dogme commun qui leur était propre et les séparaient nettement du protestantisme : « le règne intérieur et extérieur de l’Esprit ». Entre eux, ils s’appelaient « Frères » et constituaient des communautés qui visaient à réaliser l’idéal de perfection évangélique dans la pleine liberté l’égalité de tous au point de vue politique et social.

Martin Luther en 1529, par Lucas Cranach l’Ancien.

Comme Luther, ils supprimaient tout intermédiaire entre l’âme et Dieu et rejetaient, dès lors, toute Eglise et toute autorité, pour la plus totale liberté de conscience. Mais, tandis que Luther conservait la Bible comme règle de foi, les anabaptistes s’en tenaient à la parole intérieure et à la communication directe avec Dieu et ne reconnaissaient aucune autorité à cette parole extérieure consignée dans les deux Testaments. Par là même, ils constituaient le courant le plus à gauche et le plus radical au sein du protestantisme, alors que Luther ne rêvait que de l’institution d’une religion d’État ! L’affrontement violent ne pouvait que se trouver au bout du chemin…

Chez les anabaptistes, le prophétisme était un état permanent : dans les assemblées chacun prenait la parole pour édifier les autres. Le « Nouvel Evangile » annonçait le règne de Dieu sur terre, auquel seuls les élus ont part. Pour eux, contrairement à Luther, la foi ne justifiait pas tout et devait être accompagnée d’œuvres. Les contemporains reconnaîtront, avec bonne foi, l’immense charité des communautés anabaptistes. Le port des armes était interdit et ils avaient horreur du sang et de la violence. La communauté des biens était chose courante. Soumis, par la force des choses, à l’autorité civile, ils la regardaient comme une tyrannie contraire au droit divin. Œuvrant à la mise en place du royaume de Dieu sur terre, l’anabaptisme avait comme premier dessein de renverser l’ancien régime, fondé sur le principe d’autorité, sur les distinctions et les inégalités sociales pour établir dans la parfaite liberté des enfants de Dieu, le grand principe de l’égalité, qui se retrouve au premier temps de tous leurs récits. La lutte en Allemagne se déchaîna surtout contre le clergé beaucoup plus riche et beaucoup plus influent que les nobles et considéré comme le grand obstacle au nouvel ordre des choses (1)

La « Constitution Civile » de Michel Geismayer, anabaptiste du Tyrol, demande tout d’abord la suppression des « Persécuteurs de la parole de Dieu », comme aussi des images, statues, oratoires, la confiscation des calices, de l’orfèvrerie d’église et des monastères, hôpitaux, orphelinats et asiles, l’abolition des privilèges, l’administration par un état démocratique des biens mis en commun. L’ « Union Chrétienne » conclue, en 1524, entre les paysans de Stühlingen et les anabaptistes de Waldshut, jetait l’anathème non seulement aux châteaux, « mais aux couvents, et en général à tout ce qui avait quelque attache au clergé ». Suivant les événements, les régions et la situation économique des pays, deux courants se manifestèrent dès le départ dans le mouvement anabaptiste : le courant pacifiste et le courant révolutionnaire qui, finalement, l’emporta sur le premier. En Allemagne du sud, plus fertile, les tendances générales de l’anabaptisme s’orientèrent plus tôt vers un rêve de paix et de douceur, de tendance millénariste. Mais, dans le nord, plus pauvre, la tendance allait vers une action révolutionnaire pour accélérer la « venue du Royaume ».

Toutes les revendications sociales des anabaptistes et leur idées sur le règne de Dieu avaient été formulées déjà dans le cours du XVe siècle et clandestinement propagées par le peuple et la bourgeoisie. Il est intéressant de constater que les idées de l’anabaptisme existaient virtuellement dans les milieux catholiques au moment de la Réforme, et il serait impossible de comprendre le caractère et la portée de ce mouvement, son éclosion soudaine et son développement rapide dans tous les Etats de l’Allemagne, la précision et l’uniformité de ses revendications, si on voulait l’étudier en dehors de son cadre historique et des troubles sociaux qui marquèrent le cours du XVe siècle. Nous nous bornerons à signaler seulement l’influence persistante des doctrines hussites (2) et l’action des idées luthériennes. Très vite, ces deux courants religieux furent dépassés pour donner naissance à une pensée originale. Mais les anabaptistes, de par leurs convictions religieuses et sociales, ne pouvaient demeurer des penseurs de cabinet. L’histoire allait vite s’emparer d’eux…

L’empereur Charles Quint par Christoph Amberger, 1532.

La publication de l’Edit de Worms, signé par Charles Quint le 26 mai 1521, avait envenimé les choses et les anabaptistes sentirent que l’heure de l’action allait sonner. Tandis que le recours à l’action directe était encouragé à Erfurt par le moine Augustin Lange et que l’anticléricalisme se manifestait dans les journées sanglantes de juin et juillet 1521, une paisible communauté anabaptiste s’organisait, sans bruit, en milieu luthérien, à Zwickau sur la Mulda. Elle avait pour chef le drapier Nicolas Storch, aidé de Marc Stubner, Marc Thomae et Thomas Münzer (3). Nous pouvons considérer que ces hommes représentent les « pères » de l’anabaptisme militant. Nicolas Storch annonçait le règne prochain de Dieu et déclarait tenir directement du ciel la mission de régénérer le monde. A l’exemple du Christ, il avait choisi douze apôtres et soixante-douze disciples parmi ses partisans. C’étaient des gens d’origine modeste, ce qui démontre, sans que le terme en fût évidemment connu, l’aspect de « lutte de classe » que recouvrait ce courant religieux. L’opposition entre anabaptisme et luthérianisme ne tarda pas à se manifester : outre le rejet du dogme luthérien de la justification par la foi seule et l’omniprésence de la Bible, les anabaptistes percevaient que les luthériens étaient d’un « autre monde » et que leur révolte religieuse était surtout le besoin d’émancipation de la bourgeoisie et de la noblesse vis-à-vis de Rome. Au-delà des paroles « révolutionnaires » de Luther, une théocratie en cachait une autre !

A la fin de décembre 1521, une conférence contradictoire fut organisée par le conseil de la ville de Zwickau, se tient entre anabaptistes et luthériens, en présence de tout le clergé, du bourgmestre et de plusieurs conseillers, sur la question du baptême et du mariage. Les anabaptistes se réclamèrent du libre-examen, de l’illumination de l’âme par l’esprit et attaquèrent le luthérianisme sur ses inconséquences. Le représentant des luthériens, Hausmann, fut mis en difficulté et se retrancha derrière l’argument de tradition, comme un pur catholique. Ce qui fit dire à Münzer : « Et bien, rentre-donc dans le sein de la grande prostituée romaine. Que faites-vous, sinon enchaîner l’esprit à la lettre morte au lieu de la laisser libre de s’élancer vers une région plus élevée ? Vous êtes pareils, en un mot, à ces docteurs juifs, qui ne connaissaient pas le Saint-Esprit et qui ne s’occupaient de l’Ecriture que pour y trouver un remède contre l’ennui ! ». Débordés, les luthériens interdirent la diffusion de la pensée anabaptiste. Une révolte éclata et des membres de la fraternité furent mis en prison. La plupart des chefs réussirent à s’échapper et Münzer alla aussitôt conférer avec les hussites de Bohème, tandis que Storch, Stubner et quelques autres se rendirent à Wittemberg, où ils espéraient faire triompher leur cause auprès de Carlostadt et Mélanchton qui avaient des sympathies pour leurs doctrines. Luther, lui, se trouvait à la Wartburg, quand les anabaptistes de Zwickau arrivèrent à Wittemberg, le 27 décembre 1521.

Le luthérien Carlostadt était de tout coeur avec eux : il déclarait la guerre aux docteurs en théologie, recommandait aux étudiants le travail manuel, cherchait auprès des illettrés et des paysans le sens véritable des Ecritures et, dans ses sermons auxquels accourait la foule, il préconisait la violence puis, se mettant lui-même à la tête des émeutiers, abattait les autels et les croix. Il fit le meilleur accueil aux anabaptistes et son parti fraternisa avec eux. Melanchton n’était pas moins favorable : il accorda, durant plus de six mois, l’hospitalité à Marc Stubner et lui confia même l’éducation de ses enfants ! Luther, informé de tout ce qui se passait à Wittemberg, anxieux de l’influence que prenait l’anabaptisme, après avoir écrit, le 13 janvier, à Melanchton pour le mettre en garde contre les innovations des anabaptistes, se décide, malgré l’avis de l’Electeur Frédéric, de quitter le refuge de la Wartburg et arrive le jeudi 6 mars à Wittemberg, en costume de chevalier, avec une escorte armée jusqu’aux dents. Il est stupéfait des progrès idéologiques que les anabaptistes font et décide d’agir rapidement contre ces « envoyés du diable ». Une conférence eut lieu entre Stubner, Melanchton et Luther. Le réformateur écouta froidement les arguments anabaptistes, puis il refusa la discussion en déclarant péremptoirement que toutes ces « rêveries » n’avaient rien à voir avec l’Ecriture, qu’elles étaient « le produit d’un esprit malade ou d’une inspiration du diable ».

Les anabaptistes quittèrent Wittemberg, mais une guerre implacable venaît de se déclarer entre les deux partis. Vaincu à Wittemberg, l’anabaptisme se répandait, cependant, dans d’autres régions allemandes. L’artisan de cette extension en fut Thomas Münzer, ancien aumônier des religieuses bernardines au couvent de Benwitz, près de Weissenfels. Il avait comparé les doctrines de Luther et celles de Storch et avait rallié ce dernier. Etabli à Altstadt, dans la Thuringe saxonne, au commencement de 1523, il va mobiliser les populations campagnardes par ses sermons révolutionnaires qui préconisaient l’égalité de tous, le commun partage des biens et la lutte contre le clergé. Expulsé d’Altstadt par ordre du Duc Georges de Saxe, après le pillage du pèlerinage de Mellerbach opéré sous sa conduite, il se rendit à Nuremberg où il publia contre Luther, devenu son mortel ennemi, un pamphlet qui attisa les passions. Il organisa également en Souabe et dans la Forêt Noire des groupes armés qui devaient être prêts à lutter contre les nobles et les prêtres. On retrouve partout son passage : en Hegau, en Klettgau, en Souabe, au environs du lac de Constance, en Alsace, à Mülhausen, où il comptait de nombreux partisans. C’est à lui qu’il faut attribuer la conversion à l’anabaptisme des grands chefs du mouvement piétiste de Suisse : Conrad Grebel, Gelix Manz et Balthasar Hubmaier.

Les émissaires de Storch et Stubner parcouraient de leur côté le pays souabe et administraient désormais, le « baptême de l’Esprit » aux adeptes qui entraient dans leur fraternité. Ce n’était pas un sacrement, mais un signe de ralliement. C’est là qu’ils reçurent le nom d’anabaptistes. Münzer se prononça en faveur de cette pratique, mais sans la rendre obligatoire. Revenu en Thuringe en 1524, il n’en dirigeait pas moins le mouvement révolutionnaire dans la Haute-Souabe : on a conservé quelques-unes des « tablettes » qu’il faisait distribuer au peuple et où il indiquait les dimensions des balles fondues à Mülhausen pour servir à la prochaine guerre entre riches et pauvres. L’Alsace fut à son tour inondée d’écrits anabaptistes. A Strasbourg, la communauté était nombreuse et recrutait dans tous les milieux, contrairement à l’Allemagne où la composante sociologique était nettement paysanne. En Suisse, l’anabaptisme menaça très directement le luthérianisme et le zwinglianisme. C’est à Zurich, sous un gouvernement encore catholique que le mouvement anabaptiste prit naissance : il répondait mieux aux aspirations démocratiques du pays que le Zwinglianisme. Comme en Alsace, le recrutement se fit dans des milieux divers et les chefs en étaient des intellectuels : Grebel, Hubmaier, Manz. Autant, en Suisse et en Alsace le mouvement anabaptiste représentait un courant théologique, issu de la moyenne et petite bourgeoisie, autant en Allemagne, il représentait les classes populaires avides de changement social. Ce sera d’Allemagne que débutera, inévitablement, la guerre sociale…

Les fraternités s’établissaient partout, les plans s’élaboraient, les chefs se concertaient d’un bout à l’autre de l’Allemagne, la guerre sociale s’organisait. Chaque membre de la « Fraternité évangélique » devait chaque semaine verser sa contribution d’un demi-batzen pour le recrutement des « frères » en Souabe, Saxe, Misnie, Franconie et en pays Rhénan. Une seule direction préside à cet immense mouvement : Hans Müller, par exemple, avait été mis à la tête de la « Grande fraternité chrétienne de la Forêt Noire » et, drapé dans un vaste manteau rouge, coiffé d’un béret à plumes de même couleur, il parcourait la contrée et enrôlait des paysans. Mais il est établi, aujourd’hui, que le véritable organisateur de la guerre fut Balthasar Hubmaier, chef de la communauté de Waldshut, et secondé énergiquement par Thomas Münzer. Ils purent même espérer un succès définitif quand, pour des raisons politiques locales, le duc Ulrich de Wurtemberg se mit au service de la fraternité, avec ses trente bannières, sous lesquelles ne marchaient que des soldats suisses. La révolte éclata en Thurgovie, dans les derniers jours de juin 1524 : la chartreuse d’Ittingen, près de Frauenfeld fut assaillie par 5OOO paysans aux ordres des anabaptistes. Elle fut pillée et incendiée. Cet acte fut motivé par les sermons anti-anabaptistes des prêtres et des moines de la chartreuse.

Pendant ce temps, les paysans de Stülingen se soulevaient contre leur comte et, se réunissant aux vassaux de l’abbaye de Saint-Blaise sous le commandement d’Hans Müller de Bulgenbach, marchaient sur Walshut, précédés du drapeau noir, rouge et blanc des anabaptistes. L’Algau, resté à l’écart des prédications luthériennes, mais activement travaillé par les anabaptistes, se souleva : une insurrection eut lieu contre le prince-abbé de l’abbaye de Roth et les montagnards du Haut Algau et il fut déclaré par les révoltés qu’ils ne reconnaissaient plus ni seigneurs, ni maîtres. Les paysans de Kempten, en lutte avec leur prince-abbé prirent les armes au nom du « droit divin ». Des groupes venus de Baltringen, de la vallée de Schüssen, des bords du lac de Constance, animés par les discours « communistes » de Christopher Schappeler, l’animateur le plus politisé de la Haute-Souabe et par son disciple le pelletier Sebastien Latzer, se réunissaient à Memmingen, où se constituait la puissante association de l’ « Union Chrétienne », destinée à faire revivre la fraternité des temps apostoliques. Dans toute l’Allemagne, les anabaptistes s’emparèrent de biens religieux.

Au Tyrol, en Styrie et en Carinthie la révolte eut le même caractère : l’abbaye de Neustift fut attaquée la première et Lichel Geismayer, ancien employé de l’évêque de Brixen fut élu des révoltés, le 13 mai 1525. Les sujets de l’archevêque de Mayence se soulevèrent à leur tour dans presque toutes les villes et tous les villages de l’électorat. Mayence tomba aux mains des anabaptistes le 25 avril 1525. Le coadjusteur de l’archevêque, Guillaume, évêque de Strasbourg, négocia avec les révoltés et fut obligé d’accepter les revendications des paysans. Trois cent mille paysans, divisés en détachements de huit à dix mille hommes, aidés parfois par la bourgeoisie des villes, portaient ainsi sur tous les points de l’Allemagne une guerre sociale qui n’était plus une jacquerie, mais véritablement un mouvement révolutionnaire à partir d’un courant religieux.

Charles Quint était alors en Espagne et le conseil de régence n’avait ni autorité ni activité. Mais les nobles, conscients du péril qui les menaçait, organisèrent les premières résistances. Dans un premier temps, ils avaient considéré le mouvement comme sympathique, car ils étaient foncièrement anti-cléricaux et avaient opté, dans la plupart des cas, pour la réforme luthérienne. Mais dès que les paysans s’attaquèrent aux châteaux, la réaction s’organisa. Une « Ligue Souabe » vit le jour. Le duc Georges de Saxe, catholique, organisa les premières armées régulières qui, composées de troupes entraînées, commencèrent l’extermination des paysans. La peur avait été telle que la répression ne pouvait être que d’une sauvagerie impitoyable. En Souabe et en Franconie, le chef de la ligue, Georges Truchsess de Waldburg remporta près de Bollingen, le 12 mai 1525, une victoire sur l’armée des paysans, forte de dix à vingt mille hommes. Cette victoire fut suivie d’une répression épouvantable qui dépasse en horreur tout ce que l’on peut imaginer… Les paysans alsaciens furent battus par Antoine de Lorraine près de Saverne. Presque en même temps, les forces réunies de l’archevêque de Trèves, du landgrave Philippe de Hesse, du duc Georges de Saxen du duc Henri de Brunswick remportèrent la victoire décisive de Frankenhausen. Les paysans, mal armés et mal entraînés périrent avec un courage remarquable.

Thomas Münzer, capturé au cours de cette bataille, fut jugé et pendu immédiatement. Disparaissait la grande figure prophétique de l’anabaptisme. Plus de 5000 anabaptistes étaient morts à la bataille de Frankenhausen, en chantant le cantique : Viens Esprit Saint » ! Cette guerre religieuse et sociale, véritable tournant historique, avait fait plus de cent mille morts, plus de mille couvents et châteaux incendiés, d’innombrables villages détruits. Tel est le bilan de cette guerre qui avait failli anéantir tout l’ancien équilibre politique et social de l’Empire. Le martyrologue des anabaptistes compte plus de 5000 exécutions en quelques années : dans le Tyrol, plus de deux mille furent pendus et dans la seule ville d’Ensisheim, siège du gouvernement de l’Autriche intérieure, on relève 600 exécutions d’anabaptistes, brûlés, décapités ou noyés. En 1529, le comte palatin, en fit pendre 350 en quelques mois. Dans la petite ville de Kitzbüche, 67 furent pendus en 1527.

Luther, au milieu de toutes ces horreurs, de ces ruines, de cette tristesse, savoura le plaisir de la vengeance. Il montrait ainsi son vrai visage et sa vraie pensée théologique et sociale : le luthérianisme voulait remplacer le catholicisme, mais en ne bouleversant pas l’ordre social. Luther avait un besoin impérieux de la noblesse et de la bourgeoisie et l’anabaptisme qu’il nommait la « prostituée rouge » représentait un immense danger pour le « bon docteur » de Wittemberg. Il laissera faire le « sale boulot » aux catholiques !

L’aventure de l’anabaptisme devait trouver une fin apocalyptique à Münster. C’était une ville catholique soumise à l’autorité de l’évêque malgré l’opposition d’une grande partie des habitants que les anabaptistes réussirent à rallier à leurs convictions et à constituer un état. Depuis l’échec de la révolution sociale à Frankenhausen et la terrible répression qui ‘en suivit, Strasbourg devint le rendez-vous des vaincus. En 1529, Schwenkfeld et Hoffmann annoncèrent de nouveau la renaissance de l’anabaptisme et proclamèrent que Strasbourg était la « Nouvelle Jérusalem ». Hoffmann fut incarcéré et les anabaptistes ne purent établir à Strasbourg le « règne de Sion », mais ils furent plus heureux à Münster.

En dépit des efforts luthériens, Münster paraissait encore, en 1529, l’un des plus fermes remparts des catholiques. Mais, en mai 1531, des troubles éclatèrent à la mort de l’évêque Erich. Bernard Rothmann chapelin de Saint-Maurice et le drapier Bernard Knipperdollinck étaient les principaux chefs de l’insurrection. Né en 1495 à Stadtlohn, où son père était forgeron,

Bernard Rothmann, tout en appartenant à la maîtrise de Saint-Maurice, avait suivi des cours de la célèbre école du chapitre de la cathédrale, réorganisée par le savant humaniste, Rodolphe de Langen, et obtenait, en 1524, le grade de maître des arts à l’université de Mayence.Il devint vicaire à Saint-Maurice et fut un prédicateur très populaire. Ses tendances luthériennes ultérieures le firent éloigner de son poste et le chapitre l’envoya se perfectionner dans la théologie, à Cologne.A son retour, les choses avaient changé et l’anabaptisme commençait à s’infiltrer dans la ville. Il avait son plan de réforme à lui, qu’il prêcha, au-dessus des avis de l’évêque, et ce, avec l’appui de la petite bourgeoisie de la ville qui lui était acquise. Les églises furent pillées, les autels et les statuts brisés.

C’est sur ces entrefaites que fut nommé évêque de Münster, le 1er juin 1532, le comte Franz von Waldeck, dont la mission consistait à détruire la « Nouvelle Sion » que les anabaptistes voulaient établir dans la ville épiscopale. Jusqu’en 1533, Rothmann resta en dehors en dehors de la pensée anabaptiste, mais il fut converti par Strapade, qui lui avait été adjoint comme prédicateur. En mai 1533, il prêcha contre le baptême des enfants, ce qui fit grand bruit en Europe et les anabaptistes accoururent de toutes parts, entre autres Buckelson de Leyde, qui vint de hollande. Le conseil de la ville, maintenant acquis aux Luthériens, se retourna contre Rothmann et, n’osant l’expulser, lui interdit la prédication. Mais, celui-ci prêcha clandestinement. Plus que tout autre, la doctrine de la communauté des biens attirait de nombreux adeptes et les étrangers affluaient de plus en plus nombreux à Münster.L’anabaptisme prenait le pouvoir…

Le 5 janvier 1534, les envoyés de Harlem, Barthélémy, Boekebinder et Guillaume de Kniper arrivent dans la ville et annoncent que le temps de la promesse est arrivé. Ils rebaptisent Rothmann. En huit jours, plus de 1400 personnes, protestants et catholiques reçoivent le nouveau baptême. Les religieuses du couvent de Saint-Eloi et du couvent d’Ueberwassen quittent leurs cloîtres pour suivre les anabaptistes. A ce moment, de Hollande, arrive une foule d’anabaptistes qui cherchent à se soustraire aux mesures de répression édictées par Marie de Bourgogne. A leur tête se trouve le « prophète » Jean Matthison. Leur rêve est d’établir dans Münster la « Jérusalem Nouvelle » et les événements prennent aussitôt une tournure révolutionnaire.

Le 28 janvier, les anabaptistes paraissent en armes dans les rues et s’emparent des portes de la ville. Ils forcent le conseil à capituler et à proclamer la liberté de conscience. Rothmann rassemble à Münster toutes les familles anabaptistes de la région de façon à renforcer la défense de la cité et le 23 février, les anabaptistes s’emparent du conseil de la ville. Knipperdollinck devient bourgmestre et mes biens ecclésiastiques sont mis sous séquestre et constituent un trésor de guerre. Les catholiques et les luthériens sont expulsés de la ville et leurs maisons servent à loger les « Frères étrangers ». La communauté des biens fut établie et sept hommes furent choisis pour la gérance des biens confisqués et de la distribution des vivres et des vêtements aux indigents. Ils prirent le nom de « diacres ». Ordre fut donné, sous peine de mort, de livrer à l’administration commune les valeurs et les bijoux, l’or et l’argent, monnayé ou non.

L’exemple de Münster représentait un trop grand danger social pour les possédants, et il fallait de toute urgence anéantir cette expérience qui dépassait le cadre d’une querelle théologique, mais s’attaquait aux bases même de l’ordre social. L’évêque de Münster, réfugié à Telgte, négocie avec l’archevêque de Cologne et le landgrave de Hesse pour obtenir des secours. Le 28 février, les travaux du siège commencèrent. Les troupes épiscopales furent frappées de l’efficacité et le courage des assiégés. Des troupes armées accoururent de tous les points des Pays-Bas au secours de la « Sainte Jérusalem » et que les lansquenets du lieutenant impérial Georges Schenk de Thautenberg eurent grand peine à disperser. Au cours d’une sortie, Matthison fut tué et Jean de Leyde lui succéda. Il fallait une constitution à la cité et Jean de Leyde choisit douze anciens (rappel des douze apôtres de l’évangile) qui devaient gouverner la cité en commun. La nouvelle constitution régla aussi tous les détails de la vie : le service de garde, les repas en commun, la distribution des travaux à chaque corps de métiers et l’institution de la polygamie. Ce dernier point fut très largement exploité par les adversaires contemporains et futurs de l’anabaptisme !…

Affamés, dans une ambiance de fin du monde, les assiégés ne surent pas toujours résister à des tendances paranoïaques. Ainsi, Jean de Leyde ; s’intitulait : « Prince de la fin des temps » et reçu, à ce titre, l’onction sainte et s’entoura de toute la pompe du monarque. Trois fois par semaine, sur son trône de la place du marché, il rendait la justice au milieu de sa cour magnifiquement parée. Les condamnations étaient souvent dues à une opposition au nouveau régime et la tentation de l’intolérance surgissait, mais cette tentative de démocratie se faisait dans de telles conditions qu’il ne faut pas en retenir que l’aspect extérieur des choses. L’énergique résistance des assiégés triomphait de tous les assauts et leur propagande s’étendait jusque dans les rangs de l’armée épiscopale qui commençait d’ailleurs à s’éclaircir. François de Waldeck, inquiet, voulut parlementer. Son offre fut repoussée et le siège reprit. Jean de Leyde réussit à faire passer, à travers les lignes ennemis, 27 envoyés qui défendirent la cause anabaptiste dans toute l’Europe. Ces prédications et les écrits de Rothmann, répandus dans les pays environnants, soulevaient de plus en plus les populations et le danger menaçait toute l’Allemagne du nord. Aussi les archevêques de Cologne, Trèves et Mayence, l’électeur de Saxe, le landgrave de Hesse, le duc de Clèves et tous les princes des districts rhénan et westphalien se résolurent à un nouvel effort : la diète impériale, réunie à Worms le 1er avril 1535, assura elle-même un subside de cinq cent mille florins d’or.

Un assaut général fut préparé et grâce aux indications fournies par un bourgeois de Münster, Heinrich Gresbeck, et par un lansquenet, Eck von der Langenstraten, tous deux échappés de la ville. Un détachement catholique put s’introduire dans la nuit du 24 au 25 juin, à la faveur d’un orage, au centre même des fortifications. La ville tomba après une lutte acharnée. Rothmann tomba au combat. Jean de Leyde, Knipperdollinck et Bernard Krechting furent poignardés, le 28 janvier 1536, après avoir eu la langue arrachée et les membres torturés avec des tenailles ardentes sous les yeux de la foule… Conformément aux prescriptions de la diète de Worms, du 1er novembre 1535, le catholicisme fut rétabli à Münster, mais non sans la résistance des corporations.

L’Europe des possédants respirait mais, en réalité, malgré leur défaite militaire, les anabaptistes venaient de gagner une immense bataille : ils avaient montré aux déshérités que la révolte était possible et qu’une organisation de la société ne se concevait pas forcément d’une façon pyramidale et que la spiritualité ne peut s’abstraire du social…

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Michel Baron
Michel Baron
Michel BARON, est aussi conférencier. C'est un Frère sachant archi diplômé – entre autres, DEA des Sciences Sociales du Travail, DESS de Gestion du Personnel, DEA de Sciences Religieuses, DEA en Psychanalyse, DEA d’études théâtrales et cinématographiques, diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, certificat de Patristique, certificat de Spiritualité, diplôme Supérieur de Théologie, diplôme postdoctoral en philosophie, etc. Il est membre de la GLMF.

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