Frères, Sœurs, Compagnons de la voie initiatique,
À Waco, la pierre parle bas et le temps écoute. Le Temple de granit de la Grande Loge du Texas* se dresse comme un porche d’Égypte sorti d’un rêve moderne : masses nettes, pilastres sobres, un Art déco tenu qui préfère la justesse à l’ostentation. On entre comme on monte une échelle intérieure, une marche après l’autre, jusqu’à l’Orient.

La fresque promise en 1945
Longtemps, un silence veillait… Inscrite dans l’intention des bâtisseurs, laissée en jachère par les circonstances et la fatigue des années d’après-guerre. Ce n’était pas un renoncement, seulement une respiration plus longue que prévu, un vœu déposé dans l’ombre pour mieux s’y recharger de sens. Aujourd’hui, la parole de l’image a repris souffle. Le Temple a retrouvé son chant.
La maison, sur ses pages publiques, se présente avec simplicité : une revue pour dire, des vidéos pour témoigner, des albums pour se souvenir, des ressources pour instruire. Rien d’emphase, tout d’utilité. Ce faisceau d’outils montre une Obédience attentive à la continuité, à la transmission, au travail patient des Frères : l’architecture extérieure annonce déjà l’architecture mentale, et la façade dépouillée prépare la lumière intérieure. Dans cet écosystème discret, la fresque manquante – comme une note tenue en suspens – attendait son timbre. Elle revient aujourd’hui en accord parfait avec la grammaire du lieu.
Car ce que 1945 n’avait pu accomplir, 2025 le réalise
L’artiste texan Sean Starr, Frère de l’État de l’Étoile solitaire, a repris la proposition originelle et l’a recomposée en triptyque : trois carrés de cinq pieds de côté, non pas une réduction timide, mais une forme juste, à l’échelle de la pièce où l’œuvre s’est d’abord incarnée – le bureau du Grand Secrétaire. Trois panneaux comme trois piliers, trois souffles, trois vertus qui soutiennent la voûte du cœur. Dans l’entrebâillement des décennies, l’intention n’a pas faibli : elle a attendu qu’une main fraternelle la hisse à la clarté.

Au centre, se tient la figure de l’Architecte – Hiram Abiff, ou peut-être Salomon, double visage de la Maîtrise : l’un qui lève la pierre et l’autre qui gouverne la mesure. Autour, les deux Jean, gardiens du temps intérieur, règlent la cadence de l’ouvrage : à l’un le tranchant austère, à l’autre la douceur lumineuse, deux solstices pour une même orbite. Le cercle recueille l’Un, les lignes parallèles veillent sur la rectitude, l’équerre convoque la tenue, le compas ouvre la mesure, et la verticale, comme un chant discret, entonne l’ascèse du relèvement.
Rien ici ne décore, tout opère…
La géométrie n’est pas un motif ; c’est une prière tenue, une discipline qui ordonne le regard et, par lui, l’âme du contemplateur.
On objectera qu’une fresque réduite à trois panneaux n’est plus l’immense page rêvée derrière l’Orient. C’est méconnaître la dynamique du symbole. Le symbole n’a pas besoin d’emporter le mur pour porter son sens. Il rayonne par tension plus que par extension. Ici, l’échelle resserrée concentre l’intensité : le triptyque devient un foyer, un athanor où la tradition s’actualise sans s’affadir. Cette économie des moyens relève d’une esthétique et d’une éthique : la beauté se tient dans la justesse, non dans la démesure. Le Temple, d’ailleurs, fut lui-même pensé dans cette rigueur : Art déco et Renaissance égyptienne, un alliage rare où la lisibilité structurelle est le vrai luxe. La main de Raoul Josset, sculpteur et compagnon des grands chantiers texans, a laissé dans la pierre cette leçon de tenue : forme accordée à la fonction, sobriété comme puissance maîtrisée. La fresque réapparaît comme la phrase qui manquait à cette syntaxe.

Le Très Respectable Frère Brad Billings a précisé que l’œuvre serait projetée derrière le Grand Orient lors de la prochaine communication annuelle. Geste simple, mais d’une portée initiatique : faire passer l’image de l’intime au commun, du cadre au volume, du regard individuel à la conscience partagée de la Loge. La projection n’est pas un artifice ; c’est une liturgie de lumière. Elle inscrit le triptyque dans l’architecture même, comme si la pierre se souvenait soudain du plan premier. Des tirages soutiendront l’artiste, mais ce qui circule d’abord, c’est le souffle d’un vœu tenu, la preuve qu’une tradition vivante sait attendre sans renoncer.
Lisons maintenant la fresque comme nous lirions un rituel
Le centre n’est pas un portrait : c’est une fonction. Hiram/Salomon y tient le rôle de l’axe, du point d’équilibre où la sagesse décide, où la force se contient, où la beauté éclaire sans éblouir. Les deux Jean ne flanquent pas, ils balisent : ils disent la limite ferme où la liberté demeure vraie, parce qu’elle se sait tenue. Le cercle ne clôt pas ; il rassemble. Les parallèles ne raidissent pas ; elles conduisent. Et ces plages de silence – ces vides nécessaires entre les signes – ne sont pas des manques : ce sont des chambres d’écho où l’initié peut déposer son souffle pour entendre mieux. La fresque, alors, devient un miroir de travail : non pour complaire à l’œil, mais pour régler la main et le cœur.
On notera que l’œuvre s’est d’abord posée dans le bureau du Grand Secrétaire. Faut-il y voir une coïncidence ? Elle est plus parlante qu’il n’y paraît. L’administration de l’Ordre et la mémoire imaginale du Rite, trop souvent séparées dans nos représentations, se tiennent ici dans une même pièce. La tenue de nos écritures, la rigueur des archives, la vigilance des règles ne sont pas extérieures à la poésie du symbole : elles en sont la contrepartie opérative. La Loge tient parce que l’intention se fait règle, et la règle, mémoire.

La fresque au Secrétariat est une parabole !
L’image et la Loi s’appuient, et c’est ainsi que l’Œuvre demeure. Ce relèvement iconique n’est pas un événement isolé. La ville et l’imaginaire texans portent depuis longtemps un goût de monumentalité tenue, une manière de lier grandeur et service, histoire et usage. Qu’on lise les notices locales, qu’on parcoure les chroniques, on retrouve ce même souci d’accorder le patrimoine et l’avenir : les pierres n’y posent pas pour la postérité, elles travaillent encore. Il convenait que la Grande Loge, doyenne des fraternités wacotiennes, réponde à sa propre vocation : instruire en édifiant, édifier en instruisant. La fresque reparaît ainsi non comme une relique, mais comme un outil : un miroir de tenue, une échelle de justesse, un appel à la rectitude heureuse.
Revenons à la triade plastique
Trois panneaux : c’est la Sagesse qui ordonne, la Force qui soutient, la Beauté qui achève. Trois souffles : Pensée, Parole, Action. Trois postures : écouter, discerner, accomplir. Le triptyque ne se lit pas de gauche à droite comme un récit linéaire ; il se reçoit en étoile, depuis le centre vers les bords et retour, à la manière d’un souffle qui se concentre et se déploie. La figure centrale n’attire pas tout à elle ; elle redistribue. Les deux Jean ne sont pas des gardiens sourcilleux ; ils sont des passeurs d’équilibre. Et le cercle, posé comme une coupe, recueille ce qui risquerait de s’éparpiller. Cette dynamique radiale correspond à la pédagogie du Temple : entrer, se recentrer, rayonner.

Il y a, dans la stylisation Art déco, une politesse envers le secret. Tout dire, ce serait trahir. Ici la ligne géométrique coupe court à l’anecdote : elle ne décrit pas, elle indique. Elle place le regard non dans la narration, mais dans la contemplation active : ce que tu reconnais devient ce que tu peux travailler. Loin d’un historicisme de carton-pâte, le langage visuel moderne épouse la tradition sans la farder ; il lui donne cette netteté qui empêche la superstition et requiert la pratique. C’est la noblesse des formes discrètes : elles n’interposent pas l’image entre toi et l’axe, elles te reconduisent à l’axe.
Peut-on, dès lors, parler d’achèvement ? Oui et non
Oui, parce qu’une intention ancienne accède enfin à la visibilité, parce que l’Orient retrouve l’image qui lui manquait. Non, parce que toute image vraie ouvre un chantier. La fresque accomplie n’est pas une borne ; c’est un seuil. Elle demande des lectures, des silences, des travaux, des relèvements. Elle appelle, dans chaque atelier, une méditation sur l’usage des lignes parallèles et du cercle, sur la cadence des deux Jean, sur l’alliance d’Hiram et de Salomon au cœur du Maître. Elle nous engage à faire de nos propres bureaux – si souvent encombrés de paperasse – des lieux où la Loi et l’Image se soutiennent pour mieux servir la lumière.

Il faut enfin saluer la fidélité d’une maison qui sait attendre. Le Temple de Waco n’a pas forcé le destin ; il l’a préparé. Les années ont passé, des communications se sont tenues, des Frères ont reçu la Lumière puis se sont tus, et la promesse est demeurée, intacte, dans la mémoire des plans et des comités. Cette patience, c’est la vertu maçonnique par excellence : travailler au rythme du temps long, ne pas confondre vitesse et fécondité, savoir que la pierre polie n’a pas d’horloge. La fresque, enfin posée – ou plutôt, projetée puis posée – devient la parabole de cette constance : le Temple ne possède pas le symbole, il le sert. Et le symbole, servi avec droiture, finit toujours par engendrer sa forme.
Regardons donc, longtemps, cette image comme on prononce un mot de passe exact : avec droiture, gratitude, vigilance. Elle ne clôt rien ; elle relance. Elle remet l’Orient à sa place – devant et dedans – et nous rappelle que nous ne sommes pas propriétaires de la lumière mais ouvriers de sa justesse. Qu’elle habite nos travaux comme une musique tenue, qu’elle règle nos pas, qu’elle nous garde dans la joie grave du chantier.

*Grand Lodge of Texas, Ancient Free and Accepted Masons
Issue des ombres vénérables des « Anciens », éclose en 1751 au cœur de la Turk’s Head Tavern de Soho, où les murmures des initiés se mêlaient au tumulte des rues londoniennes, la fraternité maçonnique, tel un vent impétueux chargé de mystères, traverse l’océan Atlantique, effleure les rivages sauvages et s’ancre profondément dans les terres indomptées du Texas.
À Brazoria, entre 1835 et 1836, sous l’égide bienveillante de la Louisiane, la Holland Lodge s’érige comme un phare au milieu du chaos : le cliquetis des armes et le grondement des charrettes composent une symphonie guerrière, tandis que les échos de Gonzales, de l’Alamo et de San Jacinto inscrivent dans l’éternité les noms de Frères tombés en martyrs, quand d’autres, la plume à la main, gravent les Déclarations qui forgent une nation naissante.

Le 20 décembre 1837, dans l’ardeur naissante de Houston, les volontés convergent en un concile solennel pour édifier la Grande Loge de la République du Texas ; le 16 avril 1838, elle s’éveille enfin « en bonne et due forme », tel un rituel ancestral invoquant la lumière. Le 11 mai, Sam Houston, figure tutélaire, intronise Anson Jones et ses officiers : la loi s’incarne en un souffle vital, la promesse se mue en chair palpable. Déjà, les ateliers prolifèrent comme des semences portées par le vent – Milam à Nacogdoches, McFarland à San Augustine, Temple à Houston –, et plus tard, à Waco, la No. 92 orchestre l’élévation d’un siège aux contours Art déco, bordés de réminiscences égyptiennes, où Raoul Josset cisèle la pierre pour exprimer une esthétique de discrète élégance plutôt que d’ostentation vaine : une architecture qui guide l’âme, sans l’éblouir par la force.

Au fil des XIXe et XXe siècles, présidents, gouverneurs, pionniers intrépides et professeurs éclairés incarnent cette fraternité au service du pays, tissant un tapis d’actions où l’idéal maçonnique irrigue les veines de la société. En 2019, 69 099 âmes fidèles attestent d’une loyauté mesurée, qui distingue la grandeur authentique de l’excès trompeur. Puis advient l’ère des unions fraternelles : le 23 avril 2007, la reconnaissance mutuelle avec Prince Hall est scellée d’un sceau solennel ; le 6 décembre 2014, l’intervisite s’affirme, et les colonnes, autrefois séparées, dialoguent enfin en harmonie. En 2025, un vœu immémorial renaît des cendres : la fresque promise, nichée derrière l’Orient, recouvre sa voix et sa luminescence, bouclant un cycle entamé en 1945. De la pierre brute au symbole poli, du dessein esquissé à l’œuvre accomplie, la Grande Loge du Texas honore son serment immarcescible : ériger des hommes pour qu’ils édifient, à leur tour, les fondations du monde.
Puisse cette méditation t’accompagner en ce jour. Bon dimanche, et bons baisers du Texas, éternelle Ville Lumière !

Sources : présentation et rubriques « Media », « Texas Freemason Magazine » ; pages officielles de Grand Lodge of Texas, Ancient Free and Accepted Masons ; notice historique locale sur l’édifice et les travaux de Raoul Josset ; annonce et précisions sur la réalisation du triptyque par Sean Starr et sa projection à l’Orient (Christopher L. Hodapp, Freemasons for Dummies, et publication de l’artiste).
