La notion de purification occupe une place centrale dans la pensée humaine, à la croisée de la philosophie, de la spiritualité et des pratiques religieuses.
Purifier, c’est chercher à se délivrer d’une souillure, qu’elle soit physique, morale ou spirituelle, afin de retrouver un état d’unité, de vérité, ou de proximité avec le divin. Dans toutes les traditions, la purification vise à rétablir l’harmonie entre l’être humain, la nature et le sacré. Elle prépare à la connaissance, à la sagesse ou au salut.
En philosophie, cette idée apparaît comme un processus intérieur : il ne s’agit plus seulement de laver le corps, mais de purifier l’âme des passions, des illusions et de l’ignorance. En spiritualité, la purification devient le préalable à l’illumination, à la contemplation ou à la rencontre avec le divin.
Ainsi, la purification exprime la tension entre l’imperfection humaine et la perfection transcendante, entre le désordre et l’ordre, entre la matière et l’esprit.
La purification dans la pensée philosophique
Dans la philosophie grecque, notamment chez Pythagore et Platon, la purification (en grec katharsis) désigne le processus par lequel l’âme se libère de l’emprise du corps et des désirs pour accéder à la vérité.
Chez Pythagore, la vie philosophique est une ascèse purificatrice : l’âme, tombée dans le corps, doit se purifier par la tempérance, la musique, le silence et la contemplation du cosmos.
Chez Platon, dans le Phédon (p.206), la philosophie elle-même est définie comme une préparation à la mort : « Or, purifier l’âme, n’est pas, comme nous le disions tantôt, la séparer du corps, l’accoutumer à se renfermer et à se recueillir en elle-même, et à vivre, autant qu’il lui est possible, et dans cette vie et dans l’autre, seule ». Purifier, c’est se détourner des illusions sensibles pour s’élever vers les Idées, c’est-à-dire la réalité intelligible.
La purification a donc une dimension intellectuelle et morale
elle prépare l’âme à recevoir la vérité et à s’unir au Bien suprême.

Dans la Poétique, (1449b), Aristote parle de katharsis à propos de la tragédie : l’art purifie les passions en les représentant, permettant au spectateur de retrouver l’équilibre moral. « La tragédie est donc l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l’œuvre; c’est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre.» Les acteurs portaient des masques, à la fois écran et exhibition pour permettre une identification entre le spectateur et le personnage interprété. Persona est en latin le masque de l’artiste qui cache son visage. Le masque est ainsi le support d’une dialectique du visible et de l’invisible, du dévoilement et du retrait.
Pour les Stoïciens, la purification est rationnelle : il s’agit de se libérer des passions (pathè) par la raison (logos). L’âme devient pure lorsqu’elle atteint l’ataraxie, la paix intérieure, en accord avec la nature et le destin.
Ainsi, dans la philosophie antique, la purification est un chemin de sagesse : elle élève l’homme vers une vérité et une harmonie supérieures.
La purification dans les traditions spirituelles et religieuses
La purification spirituelle est universelle, on la retrouve dans les traditions de l’Inde, de la Chine, de l’Égypte, du judaïsme, du christianisme et de l’islam.
En Inde, la pureté est liée au karma et à la moksha (libération). Les ablutions dans le Gange symbolisent la dissolution des impuretés morales.
En Chine, le taoïsme et le confucianisme prônent une purification de l’esprit et du cœur par la simplicité et la vertu.
En Égypte ancienne, le défunt devait être purifié pour franchir le jugement d’Osiris.
Dans l’islam, la tahâra (pureté rituelle) est indispensable avant la prière : elle manifeste le respect du sacré. Établie il y a quatorze siècles, la charité obligatoire du musulman croyant est connue sous le nom de zakat, qui signifie littéralement «purification», car elle purifie le cœur d’une personne de toute avarice.
Dans le judaïsme et le christianisme, la purification s’enracine dans la révélation biblique : elle devient une condition de la rencontre avec Dieu.
Dans la construction architecturale médiévale, le passage du double carré au carré puis du carré au cercle (de même surface que le carré) correspondait à une purification puis une sacralisation de la Terre.
La purification dans la Bible
La Bible, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, donne à la purification une importance majeure. Elle n’est pas seulement hygiénique : elle a un sens symbolique et spirituel, traduisant le passage du péché à la sainteté, de l’impureté à la communion avec Dieu.
Dans l’Ancien Testament
La Loi mosaïque distingue le pur de l’impur, le sacré du profane. Ces distinctions marquent la sainteté de Dieu et la nécessité pour l’homme de se conformer à son ordre.
Dans le Lévitique 11–15 sont détaillées ses lois, la pureté concerne les aliments, les maladies, particulièrement le sang, les cadavres et les relations sexuelles. Par exemple, celui qui touche un mort devient impur (Nb 19,11-22) et doit se purifier avec l’eau lustrale.
Les prêtres eux-mêmes devaient se purifier avant de s’approcher du sanctuaire (Exode 30,17-21) : «Aaron et ses fils se laveront les mains et les pieds, Pour entrer dans la Tente d’assignation, ils devront se laver de cette eau, afin de ne pas mourir; de même, lorsqu’ils approcheront de l’autel pour leurs fonctions, pour la combustion d’un sacrifice en l’honneur de l’Éternel ».
Petite parenthèse, c’est un certain Hiram qui fabriqua les cuves de cuivre, avec son support en cuivre, pour les ablutions des prêtres sur les côtés du Temple de Salomon.
Outres les rites de purification par des ablutions la Bible indique des sacrifices d’expiation (Lv 16,30) ; l’usage d’eaux lustrales ou d’hysope (Nb 19,18 ; Ps 51,9) : « Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ».
Les prophètes insistent sur la pureté du cœur, supérieure à la pureté rituelle.
Ainsi, Isaïe déclare : « Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions » (Is 1,16).
La purification devient alors conversion intérieure : non pas seulement se laver extérieurement, mais changer de cœur.
Le Psaume 51 exprime cette prière profonde : « Crée en moi un cœur pur, ô Dieu, renouvelle en moi un esprit bien disposé » (Ps 51,12).
La purification prépare donc à la rencontre avec Dieu, « car nul homme impur ne peut voir le Seigneur » (Is 6,5).
Dans le Nouveau Testament
Avec le Christ, la purification prend une dimension nouvelle : elle devient intérieure et universelle.
Jean prêche un baptême de repentance pour la rémission des péchés (Mc 1,4). L’eau symbolise la purification du cœur, mais Jésus apporte un baptême « dans l’Esprit Saint et le feu » (Lc 3,16), c’est-à-dire une purification spirituelle totale.
Le Christ se présente comme celui qui purifie :
Il guérit les lépreux (symboles de l’impureté) : Mc 1,40-42 ;
Il pardonne les péchés, accomplissant la purification morale et spirituelle ;
Son sang devient le signe de la purification suprême : « Le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché » (1 Jn 1,7).
Ainsi, la purification passe de la Loi à la Grâce
Ce n’est plus par des ablutions extérieures, mais par la foi et l’amour que l’homme est purifié (Mt 5,8 : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu »).
Dans les écrits apostoliques
Les apôtres insistent sur la dimension spirituelle et morale :
Jacques 4,8 : « Nettoyez vos mains, pécheurs, purifiez vos cœurs, hommes partagés » ;
Hébreux 9,13-14 : « Si le sang des boucs et des taureaux sanctifie, à plus forte raison le sang du Christ purifiera notre conscience des œuvres mortes » ;
Tite 2,14 : « Le Christ s’est donné pour nous afin de nous racheter et de purifier un peuple qui lui appartienne. »
La purification devient participation à la vie nouvelle en Christ.
La purification, qu’elle soit philosophique ou religieuse, manifeste la quête d’un retour à l’origine, d’une restauration de l’unité perdue.
Dans la philosophie grecque, elle élève l’esprit vers la vérité.
Dans les traditions spirituelles, elle prépare à la présence divine.
Dans la Bible, elle exprime la transformation intérieure de l’homme pécheur en homme saint, rendu pur par la miséricorde de Dieu.
Ainsi, la purification n’est pas seulement un rite, mais une dynamique existentielle : un passage de l’impur au pur, de la mort à la vie, de l’humain au divin.
Elle demeure une des métaphores les plus profondes du chemin spirituel universel.
| Dimension | Civilisation / Tradition | But de la purification | Moyens / Pratiques | Sens symbolique et spirituel | Références clés |
| Philosophi-que | Grèce antique (Pythagore, Platon) | Libérer l’âme du corps et des passions pour atteindre la vérité et la sagesse | Ascèse, silence, musique, contemplation | Élévation de l’âme vers le Bien suprême (katharsis) | Platon, Phédon 67c-69e |
| Philosophi- que / Esthétique | Aristote (Poétique) | Retrouver l’équilibre moral par la représentation des passions | Art tragique, émotion esthétique | Purification par la catharsis artistique | Poétique 1449b |
| Morale et rationnelle | Stoïcisme (Épictète, Sénèque) | Se libérer des passions pour vivre en accord avec la raison et la nature | Méditation, maîtrise de soi, ascèse morale | Pureté de l’âme par la raison (logos) | Textes stoïciens, Manuel d’Épictète |
| Spirituelle / Religieuse | Inde (hindouisme) | Dissoudre le karma et accéder à la libération (moksha) | Ablutions dans le Gange, prières, ascèse | Détachement du monde matériel | Textes védiques |
| Spirituelle / Éthique | Chine (taoïsme, confucianisme) | Retrouver la pureté du cœur et l’harmonie intérieure | Méditation, vertu, simplicité | Unité avec le Tao, équilibre naturel | Tao Te King |
| Funéraire et rituelle | Égypte ancienne | Préparer l’âme au jugement d’Osiris après la mort | Embaumement, prières purificatrices | Transition vers l’immortalité | Livre des Morts égyptien |
| Religieuse / Légale | Judaïsme (Ancien Testament) | Approcher Dieu dans un état de pureté | Ablutions, sacrifices, hysope, respect de la Loi | Distinction du pur et de l’impur, sainteté | Ex 30,17-21 ; Lv 11–15 ; Nb 19,11-22 |
| Morale et prophétique | Prophètes d’Israël | Conversion intérieure, purification du cœur | Repentance, prière, justice | Pureté morale supérieure à la pureté rituelle | Is 1,16 ; Ps 51,9-12 |
| Spirituelle / Baptismale | Christianisme (Nouveau Testament) | Rédemption et sanctification de l’homme par le Christ | Baptême d’eau et d’Esprit, foi, charité | Purification du péché, vie nouvelle en Christ | Mc 1,4 ; 1 Jn 1,7 ; He 9,13-14 ; Tt 2,14 |
| Mystique / Universelle | Spiritualité chrétienne et universelle | Union avec Dieu et transformation intérieure | Prière, sacrements, ascèse, amour divin | Transfiguration de l’être, saint |
La purification en Franc-maçonnerie
En Franc-maçonnerie, la purification est une étape de transformation intérieure qui vise à dépouiller l’initié de ses préjugés, de ses passions et de son ignorance pour lui permettre d’accéder à la Lumière.
Elle ne consiste pas en un rite d’absolution religieuse, mais en un travail spirituel et moral sur soi.
La Franc-maçonnerie conçoit l’être humain comme une pierre brute qu’il faut tailler pour en faire une pierre polie apte à s’intégrer dans l’édifice symbolique du Temple — c’est-à-dire l’humanité régénérée.
Le travail de taille correspond à une purification de l’âme, de l’esprit et du comportement.
La purification dans les rituels initiatiques
Dès le rite d’initiation du premier degré, la purification est symboliquement mise en scène par plusieurs éléments qui représentent la mort symbolique de l’homme ancien et la renaissance de l’homme nouveau.
Le Cabinet de réflexion
L’impétrant (le candidat) est conduit dans un petit lieu sombre, décoré de symboles alchimiques : un crâne, du sel, du soufre, du mercure, du pain, de l’eau, et une devise : V.I.T.R.I.O.L. — Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem (« Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée »). Le sel, élément purificateur par excellence, symbolise la sagesse et l’incorruptibilité. Le pain et l’eau rappellent la simplicité et la nécessité de se dépouiller de toute vanité.
C’est comme une caverne alchimique où se réalise un rite de purification. La formule V.I.T.R.I.O.L. est un axe de progression vertical reliant les plans subterrestre, terrestre, céleste.
La purification par les éléments
Dans certaines traditions maçonniques (notamment au Rite Écossais Ancien et Accepté), le récipiendaire subit des purifications par les quatre éléments : L’eau purifie le corps et l’âme, symbole de fluidité et de régénération. L’air purifie la pensée et l’esprit. Le feu purifie le cœur et la volonté. La terre représente la matière à maîtriser.
Ces quatre purifications évoquent la transmutation alchimique de l’être.
Après la première épreuve effectuée dans le cabinet de réflexion et puis celle de la Terre, où la materia prima est putréfiée en dehors de la loge, l’impétrant poursuit avec sa purification dans le temple. On lui fait franchir la porte basse, celle qui permet de quitter la vie profane pour s’engager dans la voie initiatique. Son premier voyage (troisième si les épreuves précédentes sont considérées comme voyages) est une épreuve de purification par l’Air, celui de la volatilité, permettant au mental de s’élever, L’épreuve de l’air met l’apprenti en contact avec l’invisible, l’air véhicule la vie et le souffle, reçoit la puissance d’unir le haut et le bas. L’épreuve de l’air est un acte de construction, elle participe à la naissance de l’apprenti, le vent divin, le souffle divin est le véhicule. Et l’air par sa nature mobile est insaisissable ; l’âme et l’esprit sont purifiés. L’apprenti a les yeux bandés et se trouve donc en relation avec l’invisible. L’apprenti perçoit puisqu’il ne voit pas. Cette épreuve figure la sublimation de la partie volatile de la materia prima avant de pouvoir la travailler. Le deuxième voyage est l’épreuve de l’Eau, en fait celui du mercure philosophique, principe femelle présent dans tous les corps, la quintessence coagulée des éléments. Il faut renoncer au vieil homme afin de pouvoir faire place à l’être ; il faut laver la pierre brute avant de la tailler. Le troisième voyage est l’épreuve du Feu. Les transformations de l’être, les transmutations des métaux vils en or ne peuvent se faire que grâce au feu alchimique, «celui qui détruit et purifie, qui consume et régénère, qui brûle et éclaire, qui permet de changer d’état».
La mise à nu et le dépouillement
Dépouillement vestimentaire, dépouillement des métaux, dépouillement de la parole, de la liberté gestuelle sont des métanoïa largement pratiquées au cours de cérémonies maçonniques d’initiation. Le dépouillement maçonnique réalisé lors de cette cérémonie d’initiation est une condition de la séparation d’avec l’appartenance à un groupe profane pour pouvoir être agrégé à un groupe sacré. Philippe Langlet nous en livre de précieuses réflexions. Le candidat est privé de métaux (argent, montre, bijoux), ce qui symbolise le détachement des biens matériels. Les prêtres égyptiens, pour sacrifier au soleil, déposaient leurs bagues et leurs autres ornements d’or ou d’argent (note 2, p. 46, Manuel maçonnique ou Tuileur de tous les rites maçonniques pratiqués en France,…, 1820, par un vétéran de la maçonnerie, supposé être Claude-André Vuillaume). Ce geste signifie qu’il doit entrer dans le Temple pur de toute influence profane, prêt à recevoir la Lumière.
Dans le Maçon démasqué ou le vrai secret des franc-mâcons de 1786, on trouve une explication à la présentation du récipiendaire ni nu, ni vêtu lors de sa cérémonie d’initiation: «on lui découvre la mamelle gauche pour représenter l’innocence de son cœur, et la pureté de ses intentions. »
Les symboles maçonniques de la purification
| Symbole | Rôle purificateur | Signification spirituelle |
| L’eau | Lave les impuretés, régénère | Baptême symbolique de la conscience |
| Le feu | Brûle les scories morales | Transformation, illumination |
| Le sel | Préserve et purifie | Sagesse, incorruptibilité |
| Le maillet et le ciseau | Taillent la pierre brute | Travail moral, maîtrise de soi |
| La lumière | Dissipe les ténèbres de l’ignorance | Purification intellectuelle |
| Le silence | Calme les passions | Purification intérieure, écoute du Soi |
Dans la construction médiévale, le passage du double carré au carré puis du carré au cercle (de même surface que le carré) correspondait à une purification puis une sacralisation de la Terre.
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