dim 09 novembre 2025 - 14:11

Tolérance et Violence

Parmi les outils qui favorisent nos échanges, dans le respect des intervenants – tant par rapport à ce qu’ils sont que dans ce qu’ils expriment –, nous avons la tolérance. Par ailleurs, dans le monde profane, la violence est toujours d’actualité et sa fin n’est pas encore à l’ordre du jour. Au-delà de ces deux notions, ce qui va nous intéresser, c’est le rapport entre la violence et la tolérance, et notamment de savoir où commence la violence et où s’arrête la tolérance.

Y a-t-il des violences tolérables ? Peut-on mesurer cette tolérance de la même façon que l’on mesure le niveau de tolérance face à la douleur ? Ce travail ne prétend pas donner des réponses toutes faites et intangibles ; il propose des pistes de réflexion afin de percevoir jusqu’où peut aller la tolérance face à la violence. Peut-on avoir une vue objective et collective, sachant que chacun d’entre nous possède sa personnalité et son expérience de vie ? À un degré plus ou moins fort, nous avons tous été confrontés à ce problème et l’avons traité selon notre tempérament, parfois en entrant nous-mêmes dans la violence.

Chacun a pu, à certains moments, être violent dans son comportement et se trouver dans une lutte intérieure entre se laisser emporter par une passion débordante ou non contrôlée, et la raison qui permet de garder la maîtrise de soi-même. Qu’est-ce qui peut faire qu’à un moment donné nous oublions la tolérance pour basculer dans la violence ? Volontairement, cette planche sera courte afin de laisser du temps à chacun d’entre nous pour réfléchir, réagir et apporter sa pierre à l’édifice.

LA VIOLENCE

Définition et formes de la violence

La violence est l’utilisation d’une force, contrôlée ou non, selon qu’elle est individuelle ou collective. Elle peut être d’ordre psychique (la peur, entre autres) ou physique (actions matérielles diverses), à des fins de domination voire d’élimination d’autres personnes (individu ou groupe). Souvent, la violence psychologique, comme la menace, précède la violence matérielle, comme l’agression.

Il existe une graduation de la violence qui amène la ou les victimes à céder ou à se soumettre à partir d’un certain seuil devenu insupportable. La violence peut prendre diverses formes et être exercée autant par des personnes isolées que par des groupes plus ou moins manipulés par des leaders. Au sommet des utilisateurs de la violence, nous trouvons les États.

S’arrêter à cet aspect « offensif » serait toutefois incomplet. La violence peut aussi servir de moyen de défense afin de se préserver ou de préserver l’existence – au moins intellectuelle – d’un groupe. Dans ce cas, elle est plus ou moins construite, allant au-delà de l’instinct de conservation, comme réponse à une agression extérieure. Cela pose déjà la question de la légitimation ou non de la violence, selon que l’on en est l’auteur ou la victime.

Jean-Paul Sartre (1905-1980) résumait : « La violence n’est pas un moyen parmi d’autres d’atteindre la fin, mais un choix délibéré d’atteindre la fin par n’importe quel moyen. »

La violence dans l’histoire

Guerrier en combat, guerre

Dans l’histoire de l’humanité, la violence a toujours existé, d’abord pour la survie physique (ressources alimentaires, matières premières) puis pour la domination (guerres). Les deux motifs étaient souvent liés : peuples chassés d’une région ou contraints de conquérir un nouveau territoire en expulsant ses occupants par la force. L’Histoire regorge d’exemples, des invasions dites « barbares » du début de l’ère chrétienne à la théorie nazie de l’« espace vital » (Lebensraum) durant la Seconde Guerre mondiale – une cause théorique inventée pour justifier des visées purement expansionnistes.

Cet aspect expansionniste a dominé la construction des États, légitimant le recours à la force : annexion des provinces pour former le Royaume de France, absorption des États baltes par l’URSS, etc. Au-delà, l’imposition d’idées, d’idéaux ou de dogmes par la violence a été une constante, les religions s’étant souvent révélées maîtresses en la matière, utilisant le spirituel comme alibi pour asseoir un pouvoir temporel.

Violence individuelle et violence collective

La violence individuelle

Humains préhistoriques dans la grotte près du feu

Elle n’est pas rationnalisée, du moins à son origine. Elle réside dans notre part animale, « comme un fauve au fond d’une cage ». Soit nous le laissons enfermé, soit nous le libérons et l’éduquons pour dominer autrui. Parfois, l’état mental de l’auteur l’empêche d’avoir conscience de son acte. Combien de fois entend-on : « Je ne sais pas ce qui s’est passé, ça a été plus fort que moi » ou « Ça a été un coup de folie irrésistible » ?

Selon la personnalité et le niveau intellectuel, la violence s’exprime plus ou moins facilement. Elle répond à une envie (imposer ses conceptions) ou à une frustration (éliminer un concurrent). Elle transgresse les règles conventionnelles et compense souvent une carence :
« Loin d’être une preuve de caractère, la violence constitue souvent une manifestation de faiblesse. »

Gustave Le Bon (1841-1931), Les incertitudes de l’heure présente. Elle peut aussi être un cri d’existence (« j’existe ! ») de la part de groupes marginalisés ou minoritaires. Enfin, il existe une violence calculée, volontaire, en réponse à une agression : un acte de résistance pour la survie.

La violence collective

Lénine (1870-1924) l’a définie dans L’État et la Révolution :
« L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir : c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe. »

Il s’agit de la lutte entre groupes pour la conquête et la conservation du pouvoir (« la fin justifie les moyens »). Cette violence n’est pas seulement idéologique (politique, religieuse) ; elle est aussi économique : domination du monde par quelques grands groupes financiers et familles qui exploitent 80 % de la population planétaire.

Dans certains régimes, la violence est légitimée par les dirigeants qui font régner la terreur via une population asservie ou décervelée. Chacun devient instrument et surveillant à la fois (Allemagne 1933-1945, Corée du Nord, Iran actuel).

Claude Adrien Helvétius (1715-1771) :
« Les hommes sont si bêtes qu’une violence répétée finit par leur paraître un droit. » L’effet de groupe facilite aussi la violence : hooligans, casseurs lors de manifestations, individus qui, isolés, n’auraient jamais agi.

Les formes de violence

On distingue :

  • Violences psychologiques : mots, harcèlement, pressions, menaces…
  • Violences matérielles : mauvais traitements, destructions…

Les premières servent souvent d’intimidation avant de passer aux secondes. Instaurer la peur pour faire craquer la victime avant d’aggraver.
À un degré moindre : la peur du gendarme ou du radar est-elle une forme de violence ? Infraction → confiscation du véhicule, annulation du permis… Même mécanique que l’interrogatoire avant la torture. La question reste : jusqu’où la violence est-elle tolérable ?

LA TOLÉRANCE

Qu’est-ce que la tolérance ?

« À mes yeux, la tolérance est la plus belle et la plus noble des vertus. Rien n’est possible sans cette disposition de l’âme. […] Elle indique simplement qu’on accepte que d’autres ne pensent pas comme vous sans les haïr pour cela. »
Paul-Henri Spaak (1899-1972), Congrès de la Fraternité mondiale, Bruxelles, 1955.

La tolérance relève de la raison et se renforce par la connaissance.
« La tolérance est la charité de l’intelligence. » Jules Lemaitre (1853-1914).
L’intolérance, elle, est le propre des ignorants et des simples d’esprit, qui n’ont pour seule force que la violence.
Albert Memmi (né en 1920) : « La tolérance est un exercice de conquête sur soi. »

Georges Clemenceau par Nadar

Ne pas confondre supporter (subir sans choix, comme durant la Guerre froide) et tolérer (accepter volontairement la différence). La tolérance supprime le rapport de force ; elle peut mener à la complémentarité et à l’enrichissement intellectuel.
Gandhi (1869-1948) :
« La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité sous des angles différents. »

Tolérer ne signifie pas permissivité ou soumission. Celui qui tolère reste critique, exprime son désaccord de façon apaisée et propose des solutions. Tolérer, c’est construire et évoluer.
L’éducation est le meilleur vecteur pour inculquer la culture de la tolérance et effacer l’esprit de violence.
Georges Clemenceau (1841-1929) : « Toute tolérance devient à la longue un droit acquis. »
John Rawls (1921-2002) voyait dans la tolérance la clé d’une société plus juste.

Les limites de la tolérance

La tolérance s’arrête là où elle est menacée.
« N’ayez d’intolérance que vis-à-vis de l’intolérance. »
Hippolyte Taine (1828-1893).

Si un groupe tente d’imposer par la force des conceptions opposées aux valeurs démocratiques et humanistes, il faut recourir à la violence adaptée pour écarter le danger. Être pacifique, non pacifiste – le pacifisme étant une maladie qui tue la démocratie.

Céder aux extrémistes qui se réclament hypocritement de la démocratie tout en la haïssant, c’est passer de la tolérance laxiste à la soumission. Entre 1939 et 1945, sans résistance armée, serions-nous ici à débattre librement ?

Aujourd’hui, le combat continue contre les idéologies extrémistes qui veulent renverser démocratie et laïcité pour nous soumettre à leurs lois en éliminant toute tolérance.

Voulons-nous voir se reproduire chez nous ce qui se passe dans certaines universités tunisiennes, à Tombouctou, en Corée du Nord ? Dire que l’intolérance est une fatalité contre laquelle rien n’est possible parce que s’y opposer serait être intolérant, c’est un suicide.

Soyons intolérants contre l’intolérance, y compris par la force si nécessaire. Des mots humanistes face à ceux qui veulent tuer la tolérance, c’est vouloir éteindre un feu de forêt avec un seau d’eau.

CONCLUSION

N’abandonnons jamais nos valeurs si chères. Défendons-les pour que l’ignorance et l’obscurantisme perdent pied.

Un peu d’humour pour terminer
(sachant que l’humour peut être violent sans sombrer dans l’intolérance) Pierre Dac (1893-1975, souvent attribué à Pierre Doris) :
« La tolérance, c’est quand on connaît des cons et qu’on ne dit pas les noms. »

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES