jeu 23 octobre 2025 - 10:10

La Cité en fête – 80 ans de Lumière de Liberté et de Fraternité à la Grande Loge Féminine de France

Nous étions un mardi 21 octobre 2025, et la date avait la tenue des évidences. Quatre-vingts ans auparavant, des femmes devenaient pleinement citoyennes en France ; le même jour, cinq loges – Le Libre-Examen, La Nouvelle-Jérusalem, le Général Peigné, Minerve et Thébâh – se réunissaient pour fonder l’Union Maçonnique Féminine de France, berceau de la Grande Loge Féminine de France.

La matinée s’ouvrit dans un Grand Temple habité par une mémoire active, non pour recomposer un musée mais pour tenir une promesse : la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité comme gestes quotidiens, non comme slogans accrochés au fronton.

Liliane Mirville, Grande Maîtresse, donna le ton dans un prologue précis : une célébration en présentiel et en direct, un déroulé sobre – des loges d’Adoption à l’Union Maçonnique Féminine de France (UMFF), la parole aux quatre ateliers fondateurs, un « regards croisés » Histoire / Droits des femmes, un film, des médailles, puis l’Agape –, tout un art d’ordonner le temps pour que la symbolique demeure respirable.

La-Grande-Maîtresse-de-la-GLFF,-la-TRS-Liliane-Mirville-et-le-Grand-Maître-de-la-GLDF,-le-TRF-Jean-Raphaël-Notton

La chaîne des présences, d’abord, donna à la fête son visage de Cité. La Grande Loge de France était là au complet : Jean-Raphaël Notton, Grand Maître, accompagné de Jean-Louis Lemaître, Grand Secrétaire, et de Dominique Losay, Grand Officier à la Culture. Leur venue disait sans phrase la continuité d’une filiation écossaise qui n’est pas un territoire mais un passage, un compagnonnage exigeant dans l’œuvre commune.

Autour d’eux, les Obédiences sœurs, le plus souvent représentées par leurs Grands Maîtres, dessinaient une carte vivante : la Grande Loge des Cultures et Spiritualités, la Grande Loge des Cèdres du Liban, la Grande Loge Mixte Universelle, la Grande Loge Mixte de France, l’OITAR, la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française, la GL Memphis-Misraïm, la Grande Loge Nationale Française, la Fédération française de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain, le Grand Orient de France.

Les corps de hauts grades féminins complétaient l’horizon : Grand Prieuré Féminin de France, Grand Chapitre Général Féminin, Suprême Conseil Féminin de France. Rien d’une revue d’effectifs ; tout d’une fraternité en actes.

Puis la parole revint aux fondatrices, et la salle prit l’allure d’une charpente

Le Libre-Examen n°1 fit entendre sa boussole : libre examen contre tout argument d’autorité, indépendance de jugement, instruction comme rempart contre les préjugés — et, dans l’après-guerre, l’action de Suzanne Galland, figure tutélaire, membre du comité de reconstruction, artisan de l’autonomie des loges d’Adoption, bientôt Grande Maîtresse adjointe. À travers elle, nous avons reconnu la force d’une laïcité vécue : affranchissement des consciences, amour de la lumière, maîtrise de soi.

La Nouvelle-Jérusalem n°2 ranima la matière des archives : 33 sœurs retrouvées en 1945 sur 90 recensées en 1939, des tenues dans des lieux précaires (rue Froidevaux, puis une cave à charbon rue Ramey), des dimanches musicaux pour remplir une caisse vide, et pourtant, l’enthousiasme qui ne faiblit pas. Plus tard, le passage au Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) se donna à voir dans le détail : communications des signes, mots, batteries et attouchements aux trois degrés (1958-1959), institution de la robe noire, symbolique des médailles, continuité d’une identité en train de s’écrire.

Minerve n°4, fidèle à son nom, honora la lumineuse trajectoire de Gisèle Fèvre : initiée en 1934 à la Minerve d’Adoption souchée sur la GLDF, six fois Grande Maîtresse, infatigable ouvrière du passage du Rite d’Adoption au REAA, semeuse de fondations en France et hors de France ; une vie tendue vers l’instruction des sœurs et la pleine dignité de la voie féminine.

Thébâh n°5, née en 1935 dans « la grande année des loges d’Adoption », rappela ce moment décisif : la GLDF, après avoir rédigé en 1906 une Constitution des loges d’Adoption, conféra en 1935 leur autonomie complète ; en 1945, la reconstruction se fit d’abord au Rite d’Adoption, puis l’UMFF (1952 : GLFF) adopta le REAA en 1959, entérinant un tournant majeur. Nous avons entendu aussi la voix de Germaine Réal, oratrice inlassable sur le rôle des femmes, et l’éclat discret d’une loge « long cours » fidèle au travail et à la joie.

Quant à la Loge Général Peigné, elle a depuis été placée en sommeil, non par reniement mais faute d’un effectif suffisant ; sa trace demeure, fraternelle et vivante, dans la mémoire de l’Obédience.

Grand-Temple-archiplein

Ce patient labeur s’enracine plus profond encore. L’histoire des loges d’Adoption au début du XXe siècle forme la charnière : à partir de 1901, la GLDF reprend cette tradition, et un Secrétariat général des loges d’Adoption est créé en 1935. La guerre suspend l’élan, mais le Convent de 1945, sous la présidence de Michel Dumesnil de Gramont, homme politique,  résistant, socialiste et franc-maçon, accorde leur pleine autonomie aux Loges d’Adoption. Les sœurs se constituent en comité de reconstruction, aidées matériellement par les frères – geste fraternel sans lequel la naissance d’une Obédience féminine autonome eût été plus lente. L’UMFF naît aussitôt, puis deviendra, en 1952, GLFF : la GLDF a, très concrètement, « donné naissance » à la franc-maçonnerie spécifiquement féminine.

Sceau GLFF
Sceau GLFF

Cette trame historique, le « regards croisés » l’a dépliée à voix double : Commission Histoire et Recherches maçonniques / Commission Droits des femmes. De 1945 aux défis contemporains, des principes aux lois effectives, des conquêtes juridiques à leur incarnation, ce fut une leçon de méthode : pas d’initiation possible sans droits concrets pour les femmes, pas de droits vivants sans maisons initiatiques pour les faire respirer. L’argument, simple et sûr, a relié archives et présent ; il a fait sentir que notre démarche ne sépare pas la Cité du Temple, mais les nourrit l’une l’autre.

Vint alors le cinéma, moment sensible où l’intime rejoint l’Histoire

Dominique Eloudy-Denys présenta un documentaire de 14 minutes – format court, ouvert au grand public – et annonça la version longue d’environ une heure, destinée aux loges, conçue comme un outil de mémoire, d’étude et de transmission. Elle en dit la genèse : un travail collectif, nourri par la Commission Histoire, par des sœurs de province ayant envoyé anecdotes et documents, par l’œil patient d’un monteur complice, et par l’exigence de restituer des parcours, des rites, un langage symbolique vécu.

Nous avons retenu une parole juste – « entrer en maçonnerie, c’est le plus beau cadeau que je me sois fait » – qui ouvrait une porte vers l’intérieur. Le film court sera mis en ligne pour le public ; la version longue circulera dans les Ateliers : deux usages, un même souffle, une même fidélité à la chaîne des sœurs.

La matinée respira aussi par la musique, non en ornements mais en compagnons d’ouvrage. Sous l’archet de Françoise (alto) et de Marité (violoncelle), « Autour de J.-S. Bach » ouvrit une clairière de gravité souriante, bientôt prolongée par la « Berceuse » de Rebecca Clarke, où le duo fit entendre cette tendresse grave qui relève autant qu’elle apaise. La voix de Marie, chanteuse lyrique, fit perler le temps dans « Lascia ch’io pianga » de Haendel, et celle de Nathalie, également lyrique, donna à « Ombra mai fu » sa pure ligne, comme un fil d’or tendu entre mémoire et présent. Louise, chanteuse, ramena la cité au Temple avec « Le temps des cerises », chanson-emblème devenue ici cantique discret de fraternité ; plus loin, Monteverdi réunit Marie et Nathalie dans « Pur ti miro », mariage de deux souffles qui se cherchent et se répondent. Le duo d’altiste et de violoncelliste revint pour les « Bucolics » de Lutosławski puis pour l’« Invention » n°1 de Bach : preuve qu’une architecture peut danser. Et parce qu’une fête n’est accomplie que lorsqu’elle fait lever l’étoile, Louise offrit « La lumière » puis « La Quête », cette étoile « inaccessible » qui nous oblige à marcher encore. Ainsi la musique, portée par Louise, Marie, Nathalie, Françoise et Marité, embellit la cérémonie d’une joie simple et juste, donnant au rituel une chair sonore et à la mémoire un battement de cœur.

Les médailles remises aux Passées Grandes Maîtresses ne sonnaient ni la clôture ni l’exploit ; elles reconnaissaient une fidélité tenue, une barre maintenue au bon cap dans les vents contraires. Là encore, le rituel n’était pas un décor, mais une manière d’habiter la durée.

Enfin, l’histoire longue se resserra dans quelques dates qui valent boussole. 21 octobre 1945 : l’Assemblée générale des sœurs, 63 rue Froidevaux, décide l’UMFF. 1952 : l’Union devient GLFF. 1958-1959 : sous l’impulsion des études rituelles et de figures comme Gisèle Fèvre, l’Obédience quitte le Rite d’Adoption pour le Rite Écossais Ancien et Accepté, degré par degré, signe par signe, mot par mot, jusqu’à la mise en place d’une observance qui demeure la nôtre. Ce sont moins des dates que des seuils – des passages accomplis avec rigueur et joie.

Que gardons-nous de cette célébration ?

Une œuvre et une manière de la servir. Œuvre presque séculaire où les loges d’Adoption, reprises par la GLDF dès 1901, organisées par un Secrétariat en 1935, autonomisées en 1945, transmises en 1952, reformulées dans le REAA en 1959, ont fait naître une voix pleinement féminine et pleinement maçonnique. Manière de servir où les symboles instruisent la conduite : persévérer dans le libre examen, pratiquer la laïcité comme climat d’apaisement, refuser l’argument d’autorité, exercer la responsabilité, tenir la chaîne, travailler humblement.

Jean-Raphaël-Notton,-Grand-Maître-de-la-GLDF,-et-Denise-Oberlin,-Grande-Maîtresse-de-la-GLFF-de-2009-à-2011

Dans ce cadre, la présence fraternelle des délégations – et plus encore celle de la GLDF, par son Grand Maître, son Grand Secrétaire et son Grand Officier à la Culture – ne relevait pas d’un protocole mais d’une fidélité. Elle rappelait ce que la mémoire orale disait depuis longtemps : « la GLDF a donné naissance » à la voie spécifiquement féminine, et nous continuons, ensemble, d’ouvrir et d’élargir le parvis.

Nous sommes sortis dans la lumière du jour avec une certitude calme : la lumière n’est pas un effet, elle est un fruit. Et ce fruit a le goût de la fidélité recommencée.

Puisse la GLFF continuer d’accorder l’ouvrage et la cité, l’exigence et la douceur, la mémoire et l’avenir ; puisse la fraternité, avec la GLDF et les Obédiences amies, demeurer ce passage, ce pont, par lequel nous apprenons, de siècle en siècle, à bâtir des maisons humaines.

Photos © Yonnel Ghernaouti, YG

1 COMMENTAIRE

  1. Mon TCF Yonnel,
    Tes reportages sont toujours aussi éblouissants.
    Grâce à ta plume, j’ai l’impression de vivre cette commémoration avec mes soeurs parisiennes.
    Mille fois merci.
    TAF

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES