sam 13 septembre 2025 - 17:09

La lumière en héritage : Le Suprême Conseil de France, deux siècles d’Écossisme vivant

Nous entrons dans ce livre comme on franchit une porte de Temple, dans le silence habité où l’odeur de la cire et du bois ciré dispose l’âme au travail, et déjà des noms se lèvent comme des colonnes vivantes, des voix reviennent du fond des siècles, des regards se croisent, et nous comprenons que nous ne tenons pas seulement entre les mains un volume d’histoire mais une constellation de destins qui composent la voûte d’un Orient intérieur.

LE SUPRÊME CONSEIL DE FRANCE 1804 - 2025 Un essai biographique
LE SUPRÊME CONSEIL DE FRANCE 1804 – 2025 Un essai biographique

Le Suprême Conseil de France s’impose comme une institution vivante, traversant les époques et assurant la continuité d’une lignée écossaise, juridique et mystique, savante et fraternelle.

Publié aux Éditions Numérilivre en 2025, l’ouvrage de Jean-Pierre Thomas compte trois cent soixante douze pages et propose au lecteur une traversée de deux siècles et plus que nous lisons comme un rituel de mémoire. Nous sortons de cette lecture convaincus que la biographie, lorsqu’elle épouse le rythme d’une Tradition, cesse d’être un simple relevé de faits pour devenir une méthode de connaissance, une anamnesis, un art d’assembler des pierres dispersées afin que la lumière circule de nouveau entre elles.

Jean-Pierre Thomas a choisi la forme du portrait pour approcher le cœur de l’institution. Nous suivons les Souverains Grands Commandeurs, leurs proches, leurs pairs, leurs collaborateurs, autant de visages qui forment la chaîne d’union d’un gouvernement symbolique dont la responsabilité majeure est d’assurer l’équilibre du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) sur le territoire de France. Cette responsabilité ne se résume pas à l’administration des degrés ou à la garde d’archives, elle tient d’une magistrature morale qui se reçoit et se transmet, elle suppose la juste alliance de l’autorité et du service, elle exige la probité d’un esprit et la patience d’un artisan. Au fil des pages, nous voyons se dessiner la dialectique délicate entre la verticalité initiatique et l’horizontalité fraternelle, entre la fidélité aux sources du Rite et l’attention aux circonstances historiques, entre l’unité de principe et la diversité des parcours. Cette dialectique, l’ouvrage la rend sensible par une écriture qui ne force jamais la gloire mais qui sait reconnaître l’exemplarité lorsqu’elle s’impose.

Nous avançons d’époque en époque et l’histoire générale se superpose à l’histoire du Rite. Nous entendons le fracas des mutations politiques, l’Empire qui s’installe puis s’effondre, la Monarchie qui revient puis s’éteint, la République qui s’affermit, les idéaux qui se heurtent, les guerres qui dévastent, l’Occupation qui éprouve la conscience et contraint à la clandestinité, la Libération qui demande des comptes, la reconstruction matérielle et morale qui s’ensuit. Le Suprême Conseil de France n’est jamais une tour d’ivoire, il respire avec la cité et consent à cet étrange labeur qui consiste à garder la flamme au milieu des vents contraires. Nous pensons alors au caractère initiatique de l’épreuve historique, nous y reconnaissons cette pédagogie secrète par laquelle une institution apprend à se convertir sans se renier, à se réformer sans se dissoudre, à s’ouvrir sans se perdre. L’auteur évite les simplifications commodes, il montre des hommes qui doutent, qui choisissent, qui négocient avec l’inexorable, et c’est cette humanité qui donne au livre sa densité de vérité.

Jacques Rozen Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France

La trame biographique ne se réduit pas à une galerie de portraits. Elle devient une topographie du symbolique. Ici un frère incarne la force de l’équerre, là un autre épouse l’arc du compas, ensemble ils décrivent un cercle qui protège le travail de tous. Nous voyons la rose éclore au cœur de la croix et nous savons que cette image n’est pas une figure d’esthète mais la marque d’une alchimie intérieure qui transmute l’autorité en service et la doctrine en amour de l’humain. L’Écossisme que célèbre le livre n’est pas un mot d’école, il se manifeste comme une discipline de l’esprit et du cœur, une fidélité à la promesse d’universalité que les constitutions historiques ont formulée et que les Convents successifs ont cherché à faire rayonner. Le souvenir de Lausanne nous accompagne, non comme un monument que l’on vénère, mais comme une source vive où se retrempe l’exigence d’un rite capable de parler à tous les continents de l’âme. Nous sentons combien l’idéal humaniste n’est pas un supplément de discours, il est l’armature de ces vies offertes au bien commun du rite.

La force du livre tient à la manière dont la mémoire des noms devient un instrument de discernement pour notre présent. Lire ces portraits, c’est apprendre à reconnaître ce que veut dire exercer un pouvoir sans cesser d’être frère, diriger sans s’éloigner de l’atelier, rendre des décisions et rester soumis à la loi intérieure qui nous dépasse. La biographie se fait miroir et mise au point, elle corrige notre regard, elle nous détourne des mythologies faciles, elle nous rend attentifs à ces petits gestes de probité qui font les grandes fidélités. Nous ressortons plus vigilants et plus confiants, nourris par ces existences qui n’ont pas toujours connu la gloire mais qui ont patiemment tenu la lampe, nuit après nuit, afin que la relève trouve le chemin.

La prose de Jean-Pierre Thomas possède la tenue qui convient lorsque l’on approche une institution qui touche au sacré de la conscience. Nous entendons l’érudit qui a longuement fouillé les fonds et confronté les traces, mais nous entendons surtout l’homme de Tradition, celui qui sait que les documents ne vivent pas sans l’âme qui les anime. Ce double mouvement donne au livre une allure de pierre d’angle qui soutient une façade et révèle un axe. Le choix de la biographie n’est pas un artifice, il épouse la structure initiatique elle-même, car le Rite Écossais Ancien et Accepté avance par étapes qui sont autant de métamorphoses personnelles. Chaque vie rapporte à sa manière la conquête d’une vertu, la clarification d’un devoir, l’acceptation d’un renoncement, et l’ensemble compose un itinéraire collectif qui ressemble à une montée vers un Orient intérieur. Le lecteur maçon en reçoit un bénéfice immédiat, il y puise des modèles, mais aussi des avertissements, et cet équilibre entre l’éloge et l’examen de conscience donne au livre sa grande utilité initiatique.

Jean-Pierre Thomas

Nous devons dire un mot de l’auteur lui-même, car sa trajectoire éclaire son propos. Jean-Pierre Thomas s’est imposé au fil des années comme un écrivain de la franc-maçonnerie écossaise, attentif à la rigueur documentaire et à la respiration symbolique. Plus d’une cinquantaine d’ouvrages portent sa signature, et la reconnaissance ne s’est pas fait attendre avec des distinctions venues de sphères savantes exigeantes, preuve que sa méthode sait convaincre au-delà des cercles familiers.

Nous savons son engagement durable dans la revue Points de Vue Initiatiques (PVI), où sa compétence historique s’unit à une écoute de la vie rituelle. Nous savons aussi ses responsabilités assumées dans l’orbite de la Grande Loge de France, responsabilités qui n’ont pas durci son regard, bien au contraire elles l’ont affiné par la fréquentation du réel. Avant ce livre, il a consacré un travail précieux aux Grands Maîtres de la Grande Loge de France, puis il a accompagné le bicentenaire de la Grande Loge centrale devenue Grande Loge de France, et nous comprenons qu’avec ce nouvel essai, il clôt provisoirement une trilogie qui embrasse la Maison écossaise dans sa souveraineté, sa régularité de cœur et sa continuité de service. Cette biographie implicite de l’auteur se lit en filigrane de son écriture, elle donne confiance dans la rectitude de son approche et dans la justesse de ses choix.

Le livre rappelle avec sobriété la place du Suprême Conseil de France dans l’histoire générale du Rite, notamment sa précocité au regard des structures écossaises du monde, et nous mesure combien cette antériorité n’est pas une vaine fierté. Elle oblige, elle invite à la hauteur, elle appelle à la vigilance, car ce qui fut donné au commencement doit être gardé sans crispation mais avec une fermeté douce, en gardiens de source plutôt qu’en propriétaires de fleuve. Cette conscience de l’héritage fonde une éthique de la décision, elle protège des emballements, elle dissuade des guerres de préséance. Jean-Pierre Thomas n’insiste jamais de manière appuyée, pourtant sa composition nous conduit à cette conséquence pratique. Nous lisons et nous nous sentons appelés à une sobriété de gouvernement, à une amitié de travail, à un usage mesuré du prestige, qui correspond à la vertu du Rite Écossais lorsqu’il se souvient que la dignité la plus haute consiste à s’effacer devant la lumière.

SCDF

Nous avons aimé la manière dont l’auteur laisse affleurer des détails sensibles qui donnent chair à ces existences. Une signature ferme au bas d’une décision délicate, une parole tenue quand la tempête incitait à se taire, un geste de discrétion qui a sauvé un frère, une intuition doctrinale qui a permis d’éviter une fausse querelle, ces notations ne sont jamais gratuites. Elles composent la morale concrète d’un pouvoir initiatique, elles disent que la supériorité n’est pas une hauteur mais une profondeur, une capacité à descendre en soi pour écouter ce qui doit être entendu. Cette morale nourrit la conscience du lecteur et lui rappelle que la franc-maçonnerie n’est pas un théâtre d’apparences mais une école d’humilité, où l’on apprend à régler ses passions et à ordonner ses pensées, afin que l’outil frappe juste et que la pierre prenne la forme convenable.

L’ouvrage devient alors une aide précieuse pour le travail des loges et des ateliers de hauts grades. Nous pouvons y puiser des matériaux pour des planches de réflexion, non pour répéter des notices biographiques, mais pour interroger la manière d’exercer une charge, la manière de susciter des héritiers, la manière de tenir une ligne lorsque la pression du temps rend tout vacillant. La lecture met en mouvement, elle donne envie de rectifier ce qui doit l’être, elle rend à chacun le sens de sa part dans la grande architecture. Les plus jeunes y verront des aînés qui ne se contentent pas d’être des portraits au mur, ils deviennent des compagnons de route qui parlent encore. Les plus anciens y trouveront une confirmation que la patience et la droiture finissent par porter du fruit, si l’on consent à travailler longtemps sans chercher la lumière pour soi.

Nous remercions Jean-Pierre Thomas d’avoir écrit un livre qui réhabilite la grandeur discrète. Nous sortons de ces pages avec une gratitude de disciple, car la mémoire des noms nous a rééduqués. Nous savons mieux ce qu’il faut demander à une institution écossaise, nous savons mieux ce qu’il faut lui offrir. L’ouvrage ne flatte pas, il élève. Il nous fait aimer cette tradition qui ne se paie pas de mots, qui préfère la preuve au discours, le service à l’affichage, la durée à l’éclat. Nous refermons le volume et nous entendons cette exhortation muette, continuer à tenir la lampe, continuer à faire passer le feu, continuer à faire que la chaîne ne se rompe pas.

Il demeure enfin ce sentiment d’une concorde possible entre l’exigence historique et l’ardeur initiatique. Le livre prouve que la connaissance précise des lignées n’éteint pas l’élan de l’esprit, bien au contraire elle lui donne un socle. La vérité y gagne en densité, la fraternité y gagne en justesse, la liberté y gagne en courage. Au moment où la famille écossaise se souvient de Lausanne et interroge son avenir, cette biographie du Suprême Conseil de France nous paraît une réponse de haute tenue. Elle nous enseigne que l’exemplarité n’est pas un mot de pierre mais un mouvement du cœur qui se transmet par des vies données. Nous en sortons ragaillardis dans notre désir de construire et apaisés dans notre manière d’habiter la tradition. Que ce livre circule de main en main, qu’il prenne place sur les tables de loge, qu’il soutienne des méditations discrètes, et qu’il soit pour chacun une invitation à l’ascèse fraternelle. Ainsi la mémoire deviendra avenir, et la pierre se laissera polir jusqu’au moment où la lumière passera sans obstacle.

LE SUPRÊME CONSEIL DE FRANCE 1804 – 2025 Un essai biographique

Jean-Pierre ThomasPréface de Jacques RozenSouverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France

Éditions Numérilivre, 2025, 372 pages, 28 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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