Pour débuter ce travail j’ai souhaité présenter un extrait d’un poème qui m’a interpelé par sa clarté, sa lumière profonde et vivace dans notre conscience d’Initié. En effet, le poème de Victor Hugo « La conscience » nous fait pénétrer dans l’œil du divin.
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

Mes frères, Mes Soeurs, il ne s’agit pas de retourner dans le cabinet de réflexion, mais bien de se retrouver au plus prés de la lumière avec le delta lumineux qui illumine sans faille la loge, nos travaux de midi à minuit dès que le couvreur a refermé les portes du temple. Je ne souhaite pas tel Icare que nous nous brulions les ailes. Je vais donc essayer de vous faire partager mes nombreuses interrogations, mes réflexions sur ce symbole aussi énigmatique que passionnant.
Dans un premier temps, je vais vous décrire ma rencontre avec le delta lumineux puis celui-ci nous soufflera de sa substantifique saveur symbolique. Depuis mon entrée en loge, je ne vois que le delta lumineux. Rassurez-vous, loin de moi l’idée d’être aveuglé, je vais tempérer mes propos. En effet, dès lors que nos yeux se tournent vers la lumière, nos regards se posent sur le delta lumineux. J’ai donc trouvé très attirant ce sujet. Passé les moments d’extase et d’euphorie vient le moment de rentrer dans le vif du sujet.

A ce titre, je vais vous livrer une digression qui s’est vite imposée à moi. Quelle est la représentation exacte du delta lumineux ? Existe-t-il une forme parfaite ? Une forme « légale » ? Un guide de tracer afin de pouvoir retrouver le sens symbolique le plus vrai. Si nous sommes à la recherche de la parole perdue, nous devons bien avoir quelque part des informations sur l’iconographie, le design.
Le mot est dit, le design. Quel mot étrange pour parler d’un symbole aussi fort que le delta lumineux. Mais je suis obligé de me rendre à l’évidence des dérives artificielles crées par des illustrateurs. Est-ce que la nécessité du Beau doit prévaloir sur le Signe ? Est ce que l’Esthétisme et la Vérité peuvent côtoyer le symbolisme sans en dénaturer le sens ? Est-ce que la vie Profane ne s’immisce pas trop dans la représentation symbolique de notre rite ?
Est-ce que nous voulons un rite à la mode ?
Les plus sages d’entre vous rappellerons avec bienveillance que nous sommes une loge initiatique et que nous travaillons sur les symboles. Qu’importe si le pavé mosaïque de notre temple n’est pas un carré long, qu’importe si les grenades ont été mangées…
Je suis comme Caïn, je vois l’œil tel le miroir dans la lumière.
J’ai relu la légende d’Hiram et il y est décrit comme ceci : « On le reconnaissait à sa haute stature, à ses larges épaules, à sa longue barbe ondulée et à ses yeux d’un bleu perçant sous un front couronné de cheveux bruns et bouclés. Sous la tunique de lin blanc, serrée à la taille par une corde de chanvre, il portait, à même la peau, une chaine d’or autour du cou. Il tenait ce bijou de son père. Au bout de la chaine pendait une lourde plaque de métal précieux, et de forme triangulaire. Sur son avers était gravé l’œil de « Celui » qui voit tout et sur son revers, contre le cœur d’Hiram, les quatre lettres du Nom que l’on ne peut prononcer et qui peut seulement épeler : IOD, E, VAU, E. »
Ce tétragramme est le nom divin dont la prononciation était réservée aux grands prêtres, chez les hébreux, une seule fois par an.

Le delta lumineux appelé également delta rayonnant, lumineux ou radieux est constitué d’un triangle pointe en haut, d’un œil sans paupière en son centre, plusieurs rayons s’en dégagent. Il est l’une des représentations symboliques parmi les plus visibles du temple maçonnique puisque situé à l’orient, au dessus de la place du Vénérable, entre la lune et le soleil. Par cette position, le Delta domine physiquement les travaux. Delta est le nom de la 4éme lettre grecque qui en majuscule, est représentée par un triangle.
Je vais commencer par vous parler du triangle :
Issu du patrimoine de Pythagore comme d’autres symboles que nous utilisons, le delta lumineux se rattache à la tradition primordiale et son histoire est celle du triangle lui-même.
C’est le symbole de la stabilité, c’est le profil des pyramides égyptiennes, mais aussi celui des toitures de tout âge. Il existe plusieurs formes de triangles, selon l’abbé Aubert : « d’après Plutarque, Xénocrate comparait la divinité à un triangle équilatéral : c’était la faire avec raison parfaitement égale en toutes ses perfections, tandis que les génies ne ressemblaient qu’au triangle isocèle, qui n’a que deux de ses côtés égaux, et par conséquent par manque de quelque perfection. Enfin, les hommes étaient symbolisés par le triangle scalène, dont tous les cotés sont inégaux : c’était l’idée la plus exacte possible de toute les inégalités de notre nature. »

Le triangle équilatéral représente souvent la trinité divine. On traduit souvent les trois cotés du Triangle par la formule : Bien penser, bien dire, bien faire. Jules Boucher nous donne également des pistes de recherche sur la représentation idéale du delta. Il trouve le triangle équilatéral instable malgré toutes ses perfections. Il y préfère un triangle isocèle dont l’angle au sommet est de 108° et deux angles de base de 36° chacun, comme le fronton d’un temple. Ce triangle présente alors les rapports du nombre d’or. Trois positions de ce triangle permettent de tracer le pentagramme qui était également dénommé triple triangle recroisé.
Abordons-le côté symbolique des chiffres. Nous savons que 180° est la somme des 3 angles d’un triangle. 108 est le nombre de l’Homme, 72 le nombre de la terre et 36 le nombre du ciel. Puisque 72 + 36 font 108, il y a là corrélation entre la Terre, le Ciel et l’Homme.
Si nous traçons un cercle autour du triangle équilatéral et un autre dans le triangle lui-même, il s’avère que le point central est identique. Si nous symbolisons le grand cercle par le Collectif et le petit cercle par l’Individuel cela nous fait penser au rapport entre le macrocosme et le microcosme. Un élément pour nous rappeler l’Unité mais aussi que l’Homme est infiniment petit par rapport à l’Univers.

Le triangle, dont la pointe est orientée vers le haut symbolise la masculinité et le feu, la pointe vers le bas la féminité et l’eau. De la composition de ces 2 triangles, résulte une étoile à 6 branches qui est le symbole très ancien du Sceau de Salomon. Elle est également l’emblème de l’Etoile de David dans la religion juive.
Je vous propose maintenant de nous concentrer sur les trois points du Delta lumineux formant chaque angle. Les trois points disposés en triangle équilatéral, dont un sommet est dirigé vers le haut, sont souvent employés pour abréger les mots « Franc-maçonnerie » ou « Frère», ce qui a valu aux Francs Maçons d’être appelés « les frères Trois points. »
Les rayons qui en émanent sont le témoignage de la transmutation et du résultat du
« VITRIOL, Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ».

Ces rayons montrent que ce symbole est actif et autonome. En effet, que ce soit le Maillet, le Ciseau, l’Equerre, ou le Compas une action de l’Homme est nécessaire afin de les employer. Il rayonne de manière autonome et prodigue à qui veux bien le reconnaitre ses vertus, sa direction, son chemin. Nous sommes aux premières loges du combat perpétuel : Que ces ténèbres se changent en lumière, et, comme le dit le poète grec Sophocle, « que le jour sorte de la nuit ainsi qu’une victoire ». Enfin, le triangle nous laisse découvrir en son centre un Œil. Cet œil qualifié de divin, omniscient semble tout embrasser dans son champ de vision.
Pierre-Simon de Laplace formula la question de l’omniscience en ces termes :« Une intelligence qui à un instant déterminé devrait connaitre toutes les forces qui mettent en mouvement la nature, et toutes les positions de tous les objets dont la nature est composée, si cette intelligence fut en outre suffisamment ample pour soumettre ces données à analyse, celle-ci renfermerait dans une unique formule les mouvements des corps plus grands de l’univers et des atomes les plus petits ; pour une telle intelligence nul ne serait incertain et le propre futur comme le passé serait évident à ses yeux »
Cet œil est également appelé « œil d’Horus » ou L’œil Oudjat (oudjat voulant dire intact). Il symbolise la vision, la fécondité, l’intégrité physique, la pleine lune, la bonne santé. Sur les tombes, il permet au défunt de voir le monde des vivants. L’œil Oudjat est peint aussi sur les proues des bateaux, leur permettant de « voir » et de tenir leur cap.

Tout est dans l’œil d’Horus. Le combat incessant du Bien et du Mal, le mystère de la Vie et de la Mort, la quête de la Lumière et de la Connaissance, le pouvoir de Justice et le triomphe de la Vérité. Dans l’œil est le feu du Soleil, le Verbe divin
L’œil d’Horus, comme tant de symboles fondamentaux, trouve sa naissance dans un mythe qui se veut une explication fondamentale de l’Univers. Osiris, le dieu bon, l’homme-dieu cosmique, pivot de cet Univers, a été assassiné par son frère Seth qui est le dieu traître, le dieu mauvais, l’ange déchu. Isis, la sœur-épouse, rassemble les morceaux épars d’Osiris et le ressuscite. Et de leur union naît Horus. Horus, vengeur de son père, combat contre Seth et l’émascule, mais dans le combat il perd un œil.

Osiris reste ainsi, à travers cette légende, le dieu momifié, éternellement mort-vivant et qui aide chacun des hommes à franchir le passage, à réussir sa mort dans la vie retrouvée. Osiris préside aux métamorphoses. Il est l’Etre primordial, le maître de l’éternité, le roi des dieux.
Dans nos travaux, il semble plus observer que juger, il sonde la conscience de chacun d’entre nous. Il incite l’individu à découvrir son propre mystère pour le fondre à celui de la Nature, à chercher les réponses à ses questions depuis la nuit des temps. Il nous invite à l’éveil, à l’ouverture et à la vigilance.
Temple en soi, ce regard énigmatique symbolise l’effort vers la connaissance. Il symbolise également la vigilance et la clairvoyance qui permettent de discerner la réalité de l’illusion. Son articulation ternaire induit « force, sagesse, beauté » et le témoignage de l’égrégore de nos tenues.
L’ensemble des symboles vu de manière indépendante ne doit nous faire perdre de vu la cohérence du Delta Lumineux.

Il nous invite à nous unifier, à réunir ce qui en nous est épars « Ordo ab chao » afin de nous accomplir dans une plénitude certaine.
« Qu’adviendrait-il si, un jour, le sens du beau et celui du bien se fondaient en un concert harmonieux. Qu’arriverait-il si cette synthèse devenait un merveilleux instrument de travail, une nouvelle algèbre, une chimie spirituelle qui permettrait de combiner, par exemple, des lois astronomiques avec une phrase de Bach et un verset de la Bible, pour en déduire de nouvelles notions qui servirait à leur tour de tremplin à d’autres opérations de l’esprit ? » Hermann Hesse – Le jeu des perles de verre
Le Delta Lumineux, une porte de communication, un symbole qui nous guide, un décor que j’ai vu à mon premier regard en loge lors de mon initiation. Il nous aide à construire notre temple intérieur, à tailler notre pierre brute. Il nous rappelle que nous devons transmettre au dehors ce que nous avons reçu au-dedans.
Le delta flamboyant représente la Trinité de la Connaissance, la figuration du Grand Œuvre par la régénération cosmique perpétuelle et son principe de Création. Il souffle et veille à la construction de notre idéal.

Bibliographie
- La symbolique du grade d’apprenti – R. Bertaux
- La franc maçonnerie Histoire et Initiation – Christian Jacq
- L’édifice – www.l’edifice.net
- Points de Vue Initiatiques
- La symbolique maçonnique – Jules Boucher
- La franc maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes – Oswald Wirth
- Recherches encyclopédiques
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