« Rêves et songes », titre du dernier opus de MAP (MATIÈRES à penser), s’ouvre comme une loge dont on franchit le seuil en laissant derrière soi le tumulte diurne. Dès l’éditorial, la tonalité est donnée. Évelyne Pénisson, directrice de publication, rappelle qu’il ne s’agit pas d’aborder le rêve comme un simple objet d’étude, mais comme un territoire à parcourir, un espace d’exploration où se mêlent souvenirs intimes, héritages culturels et mystères immémoriaux.

Elle nous invite à songer « mille entrées, envies, partages » et à interroger ce qui relie les songes à nos vies. Cette entrée est celle d’un temple invisible, où chaque texte devient une colonne et chaque auteur un compagnon porteur de lumière.
Il est des textes qui, dès la première phrase, ouvrent une brèche dans le mur des habitudes perceptives. « Le Rêveur de l’univers » d’Emmanuel Licht et « La Réalité du rêve » de Pierre Pelle Le Croisa se répondent comme deux faces d’une même médaille, l’une frappée à l’effigie du rêve cosmique, l’autre à celle du rêve oraculaire et intérieur. Ce dialogue silencieux nous place à la croisée de deux chemins : l’un orienté vers l’immensité des cycles universels, l’autre vers la profondeur de l’expérience humaine dans son commerce avec l’invisible.
Emmanuel Licht, scientifique de formation et métaphysicien de vocation, aborde le rêve comme une navigation à travers l’océan mouvant de l’esprit, un pèlerinage où le rêveur devient à la fois le démiurge et le témoin de mondes qui se créent et se défont dans l’éclat furtif de l’imaginal. La figure de Milarepa, maître tibétain de la mémoire et de la sagesse, traverse ces pages comme une étoile polaire guidant le lecteur. Ici, le rêve ne s’oppose pas au réel, il l’élargit. Le rêveur se tient sur la crête où veille et sommeil se rejoignent, dans un état où l’expérience vécue et la vision intérieure se confondent.

Pierre Pelle Le Croisa, quant à lui, nous ramène à l’oniromancie des civilisations antiques, où rêver signifiait recevoir un message du ciel. Puisant dans les traditions égyptienne, grecque et babylonienne, il restitue au rêve son autorité sacrée et sa valeur performative. Ce n’est pas un simple souvenir nocturne, mais un signe à déchiffrer, un acte de communication avec un ordre supérieur. Ainsi, dans son approche, l’imaginaire n’est pas fuite mais conquête, non pas repli mais déploiement.
Stéphane Debureau, dans « L’examen de conscience », nous place face à ce que le rêve a de plus implacable : il nous renvoie notre propre visage, dépouillé de toute complaisance. Patrick Ballester, avec « Voyage initiatique au-delà du visible », trace un itinéraire où la vision devient passage rituel, comme si chaque étape était un grade franchi dans une loge sans murs. Nadine Auzas-Mille, dans « Songe, rêve et symbole », révèle que l’imaginaire est un alphabet sacré que l’âme apprend à lire dans le silence. Didier Lafargue explore, dans « Le rêve entre le passé et l’avenir », cette zone liminale où le rêve relie ce qui fut à ce qui doit advenir, pont fragile entre mémoire et prophétie.

Philippe Heckmann, dans « Rêve et réalité », interroge la solidité de nos certitudes. Et si, en plein jour, nous rêvions déjà ? Et si notre intelligence n’édifiait pas des illusions plus persistantes encore que celles de la nuit ? Jean-Claude Mondet, dans « Même pas en rêve ! », déjoue les évidences avec humour et acuité, comme pour rappeler que l’esprit aime à se cacher de lui-même. François Brin ouvre, dans « À chacun ses rêves… », la possibilité d’un rêve commun, matrice invisible où nos songes se rejoindraient pour former une trame universelle.

Michel Auzas-Mille convoque, dans « Le rêve de Nicolas Flamel », les ombres et les éclats de l’alchimie, où le rêve devient athanor de transmutations intérieures. Renée Camou médite sur Les songes et les sorts de Marguerite Yourcenar, où les visions nocturnes deviennent autant de sortilèges qui sculptent le destin. Enfin, mon ami et frère d’arme Witold Zaniewicki, officier et historien au parcours exceptionnel, nous offre avec « Songes lituaniens de Bubilas » un voyage où les abeilles deviennent messagères d’un cousinage secret entre l’homme et la nature, rappelant que tout ce qui vit porte en soi une part de rêve.
Au fil de ces pages, « Rêves et songes » se déploie comme un temple polyphonique. Chaque auteur y apporte une pierre unique, et nous, lecteurs, cheminons entre ces colonnes comme dans un sanctuaire intérieur. Nous comprenons alors que le rêve, loin d’être une fuite ou une illusion, est un acte de connaissance et un instrument d’élévation. Lorsque nous refermons ce livre, il nous semble que le jour porte encore la poussière d’or de la nuit, et que le réel lui-même n’est peut-être que le plus persistant de nos songes.
MATIÈRES à penser – se repérer – analyser – se projeter – anticiper
Rêves et songes
Collectif – Éditions du Cosmogone, N°34, Année 2025, 138 pages, 22 €
