lun 11 août 2025 - 21:08

Laïcité : l’ultime rempart de la République

Ce hors-série d’Humanisme, consacré à la loi du 9 décembre 1905, est un monument intellectuel et civique. On y chemine comme dans un Temple dressé par des maîtres d’œuvre venus de tous les horizons : historiens, philosophes, juristes, militants, écrivains, artistes. Chaque contribution est une pierre, polie par l’expérience, la réflexion et l’engagement, qui vient s’ajuster à une architecture d’ensemble : celle de la laïcité comme socle de la République et horizon d’émancipation.

Humanisme HS Juillet 2025
Humanisme HS Juillet 2025

Les biographies, placées dès les premières pages, après la préface de Nicolas Penin, Grand Maître du Grand Orient de France, l’avant-propos de Christophe Devillers, rédacteur en chef de la revue,

Jean-Pierre Sakoun – Unité Laïque
Jean-Pierre Sakoun – Unité Laïque

et la présentation de Jean-Pierre Sakoun, fondateur et président de l’Association Unité laïque, à l’initiative et à la présidence du Comité pour la panthéonisation du militant communiste, résistant, ouvrier et poète arménien Missak Manouchian, annoncent la haute tenue de l’ensemble : elles révèlent des vies tissées d’érudition, d’action et de fidélité aux idéaux, prolongeant dans la vie profane le travail intérieur de l’initié. On referme ce volume comme on sortirait d’une Tenue magistrale, conscient de porter désormais une responsabilité accrue : continuer la construction commencée il y a cent vingt ans.

Les fondations sont posées par « Comment la laïcité vint à la France », où Philippe Raynaud, Stéphanie Roza, Éric Anceau, Jean-Paul Scot, Vincent Duclert et Bruno Fuligni retracent la genèse et les combats ayant conduit à la Séparation, dans le sillage de la Révolution, de l’Affaire Dreyfus et des luttes de la IIIᵉ République.

« Une philosophie de l’émancipation par l’universel et la fraternité » élève les murs de l’édifice : Francis Wolff inscrit la laïcité dans l’humanisme universel, Robert Lévy affirme l’égalité comme principe métaphysique, Pierre Hayat érige la liberté de conscience en valeur absolue, Benjamin Morel pense la neutralité comme vigilance active, Pierre-Henri Tavoillot défend l’universalisme contre les dérives identitaires.

« Une société modelée par la laïcité » concrétise ces principes : Iannis Roder voit l’école comme maillet façonnant la pierre brute, Michèle Vianès relie la laïcité à l’égalité des sexes, Jacqueline Costa-Lascoux alerte sur la rupture dans la transmission, Ismaïl Ferhat décortique les attaques renouvelées contre ce principe.

Pierre Ouzoulias - Source Les Rendez-vous de l'histoire
Pierre Ouzoulias – Source Les Rendez-vous de l’histoire

« Dans l’arène politique » rassemble ceux qui refusent la résignation. Philippe Foussier dénonce les complaisances, Pierre Ouzoulias – historien, archéologue spécialiste de la Gaule et vice-président du Sénat, sénateur communiste des Hauts-de-Seine à l’origine de nombreuses propositions de loi sur la laïcité – met en garde contre les empiètements religieux, Benoît Drouot retrace un siècle d’atteintes.

Parmi les pierres maîtresses de ce hors-série d’Humanisme, celle qu’apporte Eddy Khaldi s’impose comme une clef de voûte véritable : « L’École laïque, clé de voûte de la République ». Ancien professeur, militant syndical, président de la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale depuis 2017, Khaldi ne livre pas ici un simple plaidoyer : il trace un plan d’architecte républicain, rappelant que sans École publique laïque, il n’existe pas de République solide.

Son texte s’ouvre sur un principe fondamental : l’École est le pilier sur lequel repose la démocratie française et l’idée même de citoyenneté. C’est là que se forment des esprits libres, éclairés, capables de jugement et de raison critique, à l’abri de toute emprise religieuse ou communautaire. Cette mission n’est pas accessoire : elle est consubstantielle à la République. L’attaque contre la laïcité scolaire est donc, pour Khaldi, une attaque directe contre le cœur du pacte républicain.

Humanisme HS Juillet 2025
Humanisme HS Juillet 2025

Page après page, il met en garde contre les logiques d’individualisation et de privatisation qui, depuis la loi Debré de 1959, ont peu à peu fracturé l’unité éducative nationale. L’école « subventionnée » sous contrat, au lieu d’émanciper, recrée des ségrégations culturelles et sociales qui minent le lien civique. Il rappelle que l’enseignement public laïque n’est pas l’émanation d’un groupe ou d’une communauté : il appartient à la Nation entière.

Khaldi insiste sur la nécessité de retisser le lien consubstantiel entre la République et son école. Ce lien prend corps dans la Charte de la laïcité affichée dans chaque établissement : une boussole morale et civique qui doit guider élèves, enseignants et familles. La mission de l’École ne se limite pas à instruire : elle doit élever, éveiller l’esprit critique, former à la liberté de conscience et à la responsabilité citoyenne. Sans cela, la République se vide de sens et la démocratie se réduit à une façade.

Il rappelle que la laïcité est une égalité de liberté : liberté de croire ou de ne pas croire, garantie par un espace commun protégé de toute pression spirituelle ou idéologique. L’École, en ce sens, est un sanctuaire républicain où l’enfant apprend que son appartenance fondamentale n’est pas religieuse, ethnique ou communautaire, mais citoyenne. « La laïcité signifie que dans la société nous sommes définis par notre citoyenneté, et en aucun cas par notre religion », martèle-t-il. Sa conclusion est un appel d’urgence. Notre République est à reconstruire ! Le renoncement à une École pleinement laïque conduit à un effondrement silencieux, préparant un éclatement communautaire. Il faut renouer avec l’idéal de l’école gratuite, obligatoire, laïque et émancipatrice, fondée sur l’intérêt général, la justice sociale et la liberté de conscience.

Guillaume Trichard Passé Grand Maître du Grand Orient

Ce plaidoyer rejoint l’avertissement de Guillaume Trichard, Passé Grand Maître du GODF, pour qui la République est aujourd’hui « à réparer » face à l’entrisme islamiste politique – le frérisme – qui avance masqué, profitant de complaisances coupables jusque dans certaines élites politiques et intellectuelles.

Maitre Louise El Yafi - Source Justifit
Maitre Louise El Yafi – Source Justifit

En écho à cette vigilance, l’article de Louise El Yafi, avocate pénaliste et essayiste franco-libanaise, collaboratrice régulière de Marianne et de L’Orient-Le Jour, agit comme un scalpel sur un angle souvent méconnu : « Radicalisation féminine : un séparatisme sous influence ». Elle y démonte, exemples récents et données chiffrées à l’appui, un processus ni marginal ni accidentel, mais pensé, progressif et ciblé. Les femmes – et surtout les jeunes filles – sont désormais au cœur de la stratégie islamiste : vectrices de normes religieuses radicales, gardiennes supposées de la morale collective, elles sont mobilisées pour légitimer, transmettre et renforcer le séparatisme. Trois registres sont distingués : salafisme quiétiste féminin, jihadisme féminin et frérisme féminisé, ce dernier habillant d’atours progressistes une logique communautariste inflexible. L’école devient un champ de confrontation idéologique : pressions vestimentaires, injonctions religieuses, harcèlement, influence des réseaux sociaux… Un faux choix se dessine : rester fidèle à la République ou « préserver » une identité religieuse redéfinie par les radicaux. Ce séparatisme prospère sur les failles de notre société, sur le vide de sens et l’éclatement du lien civique, offrant aux islamistes l’occasion d’y implanter leur contre-modèle.

Humanisme HS Juillet 2025
Humanisme HS Juillet 2025

La suite du hors-série élargit encore le champ : « La République laïque au défi du XXIᵉ siècle » examine les menaces contemporaines (Michel Seelig, Nathalie Heinich, Richard Malka, Gérard Biard, Jean-Pierre Sakoun, Pierre Vermeren), « Un monde compliqué » explore les terrains étrangers (Cécile Révauger, Djemila Benhabib, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Frantz-Olivier Giesbert). Enfin, « Le Grand Orient de France, inlassable architecte de la laïcité » conclut par un témoignage de fidélité : Christophe Devillers, Charles Coutel, Denis Lefebvre, Pierre Mollier, Nathalie Zenou, et les anciens Grands Maîtres, de Patrick Kessel à Jean-Philippe Hubsch.

Autochrome de Ferdinand Buisson en 1930
Autochrome de Ferdinand Buisson en 1930
Georges Clemenceau par Nadar
Georges Clemenceau par Nadar

À cette charpente s’ajoutent deux signatures graphiques qui confèrent à l’ouvrage une densité visuelle rare. Christian Guémy, alias C215, nous gratifie de portraits habités par la mémoire et la lumière, prolongeant l’hommage qu’il avait rendu aux « Illustres de la franc-maçonnerie » au musée de la rue Cadet. La couverture qu’il signe s’orne d’un visage saisissant, mais l’artiste offre aussi une galerie de figures tutélaires : Jean Jaurès, Aristide Briand, Ferdinand Buisson, Jules Ferry et Georges Clemenceau, aux côtés de Caroline Rémi, dite Séverine – grande journaliste, militante dreyfusarde et féministe, aujourd’hui injustement méconnue. Ces visages, gravés avec la précision d’un ciseau sur pierre, deviennent autant de pierres de façade du grand édifice républicain.

École Jules Ferry, Clamart (Hauts-de-Seine)
École Jules Ferry, Clamart (Hauts-de-Seine)


Xavier Gorce, par son trait incisif et son humour distancié, introduit une respiration critique ; comme un compas vérifiant la régularité des lignes, il rappelle que l’ironie et la lucidité sont aussi des outils indispensables à la construction commune.

Ce hors-série est un instrument de travail, un viatique et un acte. Dans la France d’aujourd’hui, où la laïcité est attaquée par des forces qui veulent la réduire à un simple aménagement du pluralisme, cet ouvrage rappelle qu’elle est au contraire une exigence structurante. Défendre la laïcité, et singulièrement la laïcité scolaire, c’est préserver l’unité de la Nation et la promesse républicaine d’égalité, de liberté et de fraternité. Ne pas le faire, c’est consentir à ce que l’histoire se défasse pierre après pierre.

Humanisme – Revue des francs-maçons du Grand Orient de France
Hors-série : Séparer pour unir – La force de la loi de 1905
Conform Édition, hors-série, 2025, 220 pages, 19 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.
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