Non, car elle ne sait pas trianguler
Certains pensent que l’intelligence artificielle “n’existe pas”. C’est le cas de Luc Julia, un de ses inventeurs, le co-créateur de Siri, il parle plutôt d’intelligence “augmentée”. Cela reste à voir, mais en tous cas il s’agit de l’intelligence des machines, à différencier de l’intelligence humaine qui n’est pas de même nature. Elle ne fonctionne pas selon les mêmes principes ni selon les mêmes modalités, bien que l’une soit inspirée de l’autre, l’une est numérique (binaire), l’autre ne l’est pas.

L’intelligence des machines s’appuie presque exclusivement sur des processus logico-mathématiques : des calculs, de la”computation”. L’une des branches, le Machine Learning repose essentiellement sur un traitement statistique et probabiliste. Une autre, le Natural Language Processing, (NLP) prétend analyser et comprendre le langage naturel. En réalité, il s’agit essentiellement d’un traitement statistique, on serait bien incapable de définir, du point de vue d’une machine, ce que veut dire : comprendre le sens des mots.
Le sens des mots n’a pas de sens pour une machine dont les deux seules modalités sont : 1 et 0. Comme pour la prétendue capacité de création des machines, il s’agit de computer de l’existant pour produire autre chose de semblable, bref de créer du faux Mozart ou du Faux Léonard de Vinci, mais jamais de créer un génie disruptif qui serait Mozart ou Léonard de Vinci. Toutes ces productions ont pour objectif de jouer du miroir pour donner l’impression aux humains que quelque chose a été créé qui pourrait être l’œuvre de l’un d’entre eux.

L’intelligence humaine ne peut pas être résumée à des processus logico-mathématiques mêmes très sophistiqués. On reconnaît aujourd’hui plusieurs formes d’intelligence humaine. Howard Gardner en a déterminé 9 :
- linguistique
- logico-mathématique
- spatiale
- interpersonnelle
- interpersonnelle
- corporelle-kinesthésique
- musicale
- naturaliste
- existentielle
Certains d’entre elles sont copiées par l’intelligence des machines, par exemple, on apprend à des robots à se mouvoir dans le monde réel et adapter sa marche à des terrains accidentés. Mais l’apprentissage est long, laborieux, coûteux. N’importe quel petit chat à la naissance fait mieux et plus vite. Parce que l’intelligence analogique est plus véloce que l’intelligence numérique, elle n’est pas obligée de suivre des algorithmes. L’intelligence de la franc-maçonnerie s’appuie sur le symbolisme. Or le symbolisme n’est pas numérisable. Il est par essence : analogique.

Mais il y a plus grave et cela commence à proposer problème. L’intelligence des machines n’est pas faite pour distinguer le vrai du faux. Ces deux notions n’ont aucun sens en informatique . qui ne connaît que le 0 ou le 1. Quelque chose existe ou n’existe pas. Pour dire les choses autrement, si une information fausse existe au sein de la machine, c’est qu’elle est vraie (1), car le contraire de vrai c’est : n’existe pas (0). Tout ce qui existe dans la machine est généré par la machine, il est fait seulement des lignes de codes, des octets composés de 0 et de 1 et combinés par des lois informatiques.
Les seules lois qu’admet la machine sont les siennes, celles de ses programmes, de ses modalités de computation. Celles de la physique, des mathématiques comme celles de la danse classique ou de l’harmonie musicale, comme celles de la logique humaine, n’existent pas. Par exemple, le principe de non contradiction n’a aucune pertinence. Selon ce principe, si une proposition A est vraie, alors la proposition non-A est nécessairement fausse.
Pour la machine, puisque les deux propositions ont pu être énoncées, elles sont d’égale valeur. Il n’y a aucune différence entre une fake news et une fair news. Il n’y a aucune différence entre une image falsifiée, voire créée de toutes pièces par la machine et une image qui viendrait du dehors. Rien ne vient jamais du dehors. Dans un programme, une ligne de code qui “tourne” est vraie, une ligne de code qui bugge est fausse. C’est tout.. Il ne sert pas à grand-chose de vouloir supprimer les fake news, rien ne s’efface jamais.
Si on tentait de le faire, il y aurait la proposition A, + la proposition Non-A qui contredit la proposition A, +peut-être même la proposition B qui propose le supprimer la proposition A, et même + la proposition C qui propose une solution pour en finir avec ce problème insoluble. Tout cela se juxtaposerait, cohabiterait, nagerait dans le même bocal et ne disparaîtrait jamais vraiment. Que les francs-maçons ne comptent pas sur les machines pour les aider à rechercher la vérité, elles ne sont pas faites pour ça.

L’intelligence des machines, c’est l’intelligence du point de vue des machines, pas du point de vue des hommes. Et le réel n’existe pas. Seul compte la réalité de la machine, c’est-à-dire leur monde intérieur. Un jour, l’image a cessé d’être une représentation du réel. Auparavant, à ses débuts, elle l’était, du temps de Louis Daguerre, puis de Nicéphore Niepce, la photographie était la capture du réel, de son reflet dans la lumière, à la différence de la peinture et du dessin qui sont des recompositions, des représentations, pas des captures.
Jusqu’à il y a peu, la photographie avait valeur de preuve du réel, le photojournalisme est né de là. D’ailleurs quand on voulait fictionnaliser l’image il fallait fictionnaliser le réel, construire une mise en scène devant l’objectif, ce qu’a fait le cinéma. L’image numérique a tout changé. Elle est produite par l’ordinateur et non pas par un appareil de prise de vue. Rien ne sert de prendre une loupe, si on veut savoir comment elle a été créée, modifiée, falsifiée, il faut descendre dans le code c’est-à-dire à l’intérieur d’elle-même.
L’image produite par l’IA va plus loin, elle n’a même plus pour source le réel, mais le contenu gargantuesque de ce que l’IA a avalé. Vrai-faux, réel, inventé : même combat. Mais si le réel n’existe pas, quelle pierre allons-nous tailler ? Selon Jacques Lacan, le réel, c’est ce qui résiste. On vérifie qu’il est bien réel en se cognant dessus. Imaginons que l’on veuille tailler une pierre virtuelle sur un écran, on ferait ce qu’on voudrait avec la souris, on effacerait, on recommencerait, on pourrait même aller directement au résultat sans passer par l’effort et par l’apprentissage. Sans l’obstination du réel et la résistance des pierres, pas de franc-maçonnerie.

L’intelligence des machines va-t-elle supplanter l’intelligence humaine ? Luc Julia ne le pense pas. Il cherche à démonter l’illusion dans laquelle nous nous enfermons, quand nous croyons qu’elle est capable de tout, de tout savoir, de tout résoudre, de tout créer.
Non, dit-il, et il énonce 7 reproches majeurs.
1. L’IA se trompe souvent. Il y aurait environ 30% de réponses erronées dans les productions de ChatGPT.
2. L’IA ne raisonne pas. C’est nous qui construisons des raisonnements à partir de ses réponses qu’on lui fait formuler par phrases. Elle calcule, elle compute, c’est tout
3. L’IA hallucine. C’est-à -dire qu’elle produit des choses qui n’existent pas dans le réel. Elle dessine une doudoune au pape, par exemple. Elle invente des citations, puisque le réel n’existe pas, où est la différence?
4. L’IA n’est rien de nouveau. Elle est la multiplication par des dizaines de fois mille, de processus numériques qui existaient déjà. Mais on ne parlait pas alors d’intelligence.
5. L’IA ne comprend pas ce qu’elle écrit. N’importe qui ayant été confronté avec un chatbot le sait, elle ne comprend pas ce qu’on lui demande et elle ne comprend pas ce qu’elle répond. Elle cherche, à partir du champ sémantique de la question, un formulaire de réponse qu’elle aurait en mémoire et qui aurait la plus de chances statistiquement de correspondre à la demande. Si ça ne marche pas, elle est en panne : “Veuillez reformuler la question”.
6.L’IA ne produit pas de contenu original. Ce qu’elle donne comme création n’est qu’une nouvelle computation de contenus existants. Elle copie, elle ne crée pas. En décembre 2019, elle n’aurait pas vu le COVID, parce qu’il n’existait pas encore
7. L’IA ne fait que répéter ce qu’elle a appris. Elle est et demeure un computeur, une immense base de mémoires et un formidable outil de connexion pour mettre tout cela en œuvre.

Mais justement, elle serait peut-être en train d’atteindre ses limites ?
Physiques, tout d’abord. En visite en France, Jeff Bezos voulait acheter une centrale nucléaire pour faire tourner sa machine. La génération des IA génératives aurait un coût environnemental déraisonnable. Coût informationnel ensuite.
Il semble que les Chats GPT, Gemini, Claude et même Le Chat aient déjà absorbé la totalité des connaissances disponibles sur la toile. Et comme elles ont besoin de continuer de se nourrir, elles puisent dans ce qu’elles ont elles-mêmes produit. Et par un effet Larsen, les erreurs sont recyclées en sources et produisent à leur tour des erreurs. Par exemple, on s’est aperçu que les IA produisent des images de plus en plus jaunes. Le jaune étant la couleur dominante des images qu’elles ont en mémoire, elles s’en nourrissent pour produire d’autres images encore plus jaunes et ainsi de suite.
Est-ce la mort des IA ?
Certains président leur effondrement, au moins celui des mastodontes d’IA génératives que sont Chat GPT et ses sœurs. Mais l’essentiel se passe ailleurs. Dans des IA plus réduites, mises au service d’une mission précise et n’incorporant que des données sécurisées et validées.
Alors l’IA danger ou opportunité ?

C’est une question de triangulation. Si nous nous laissons prendre à son piège binaire, si nous nous regardons dans son miroir en y cherchant notre image, il nous arrivera ce qui est arrivé à Narcisse : se noyer dans l’abîme de son image, ou ce qui est arrivé à Echo : attendre sans fin une réponse qui ne viendra pas et n’écouter que sa propre voix qui se répercute dans le vide.
Mais si nous triangulons, alors les IA deviendront des outils précieux pour tailler toutes les pierres qu’on veut, et c’est l’intelligence humaine qui tiendra le manche….de la souris.
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