Sous la couverture discrète de cette édition en format de poche, se cache une parole d’une puissance immémoriale : la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges.

Élise Pavy-Guilbert, maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne et membre de l’Institut Universitaire de France, en orchestrant cette réédition, ne se contente pas de reproduire un monument littéraire et politique ; elle nous tend une clé, une invitation à franchir le seuil d’un texte qui transcende son siècle pour frapper au cœur du nôtre. La sobriété apparente de l’ouvrage GF Flammarion – en 60 ans, plus de 1000 titres de littérature et de philosophie classiques à son catalogue –, dissimule un double mouvement : la restitution d’une voix essentielle et sa réinscription dans le fil ininterrompu des combats pour la dignité humaine.

Dans le tumulte incandescent de la Révolution française, là où les idéaux naissants se heurtent aux dogmes enracinés, surgit la figure d’Olympe de Gouges, femme d’audace et de flamme, dont la parole fend la nuit comme une comète dans un ciel obscurci. Née Marie Gouze à Montauban, en ce printemps du 7 mai 1748, elle porte déjà en son sang une fracture originelle : fille d’Anne Olympe Mouisset, soupçonnée d’avoir été aimée du poète Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, dit Lefranc de Pompignan (1709 – 1784), elle semble marquée dès l’origine par l’ombre et la lumière, par l’illégitimité et l’élan vers la grandeur.

Portrait de Olympe de Gouges par Alexandre Kucharski (XVIIIe siècle)
Sa vie sera une métamorphose initiatique.
Mariée trop jeune à Louis-Yves Aubry, elle connaît la répulsion d’un destin imposé et s’en libère, veuve ou fugitive selon les récits, pour monter à Paris. Là, elle se façonne une nouvelle identité, choisissant le nom d’Olympe de Gouges comme on choisit un destin.
À Paris, elle fréquente les salons, explore les théâtres, affine son verbe et se nourrit des idées des Lumières. Sa plume devient son épée ! Elle écrit des pièces comme Zamore et Mirza, où elle s’élève contre l’esclavage, affrontant déjà la résistance d’une société qui refuse d’entendre une femme parler d’humanité. Chaque page qu’elle trace est un acte de désobéissance, chaque phrase un éclat de conscience. Elle ne sépare jamais l’intime du politique, ni l’émotion de la raison.

Quand elle rédige, en 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle ne répond pas seulement à la Déclaration masculine de 1789. Elle dévoile la faille, le mensonge d’une révolution qui se prétend universelle tout en excluant la moitié de l’humanité. Elle y inscrit cette phrase fulgurante : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » Ce n’est pas qu’une revendication. C’est un cri métaphysique, un appel à l’équilibre des forces.
Olympe de Gouges est, en cela, une véritable alchimiste des idées : elle tente la transmutation d’une société de plomb en une cité d’or, où l’homme et la femme seraient deux colonnes égales soutenant l’édifice. Ses écrits sur l’égalité des sexes, la reconnaissance des enfants naturels, le divorce ou les droits des Noirs ne sont pas des propositions isolées ; ils dessinent une vision globale de l’humanité libérée. Elle perçoit un ordre supérieur aux lois humaines, un ordre où la complémentarité prime sur la domination. Mais ce chemin est celui de l’épreuve : après l’enthousiasme des débuts révolutionnaires, elle s’oppose à l’exécution de Louis XVI, dénonce la Terreur, affronte Robespierre et Marat. Associée aux Girondins, ces modérés qui veulent une révolution sans sang, elle finit par payer de sa vie la force de sa parole. Le 3 novembre 1793, elle gravit les marches de la guillotine avec la dignité d’une prêtresse sacrifiée, offrant sa tête au nom d’une vérité plus grande qu’elle.

Lire cette Déclaration, c’est ressentir la présence vive d’une femme qui refuse de plier. Son écriture est plurielle, éclatée, comme si elle cherchait par tous les genres littéraires à atteindre cette vérité qui échappe aux discours uniques. Dans cette course contre l’obscurité, chaque phrase porte la densité d’une ultime parole. Et ce volume, réédité en 2025 dans la collection « Littérature et civilisation », restitue cette tension. Il n’est pas uniquement un document d’archive mais est une écriture brûlante, vivante, qui nous interpelle directement. Olympe de Gouges n’écrit pas seulement pour ses contemporains… elle s’adresse à nous, héritiers lointains, pour nous rappeler qu’aucune liberté n’est réelle tant qu’elle exclut l’autre. Son texte est une lame qui fend le voile de l’hypocrisie révolutionnaire : « … et la femme ? Où est-elle dans cette République naissante ? Qui lui rend sa voix ? … »

Dans l’architecture même du livre, Élise Pavy-Guilbert agit comme une initiatrice. Sa présentation situe Olympe dans son siècle sans la réduire à un objet historique. Elle la relie aux luttes contemporaines, montrant combien cette voix demeure active. Le dossier qu’elle compose – « La voix, la force et la cause publiques », « L’égalité : entre violence et modération », « Liberté, Égalité, Humanité », « Des écrits et des actes » – n’est pas un commentaire. C’est un véritable qui nous mène de la parole à l’action, du cri individuel à l’universel, et nous place face à la question : que faisons-nous aujourd’hui de ce legs ?

Ce texte n’est pas gravé tel une gloire mémorielle. Il est un ferment, une flamme. Il porte en lui une force initiatique que l’on peut lire dans une perspective maçonnique :
Olympe de Gouges s’élève comme la colonne manquante du Temple révolutionnaire.
La Révolution des hommes avait érigé une seule colonne, celle de la Liberté masculine, mais le Temple restait bancal. En érigeant sa Déclaration, elle place la seconde colonne : celle de la reconnaissance féminine, non comme simple adjuvante mais comme égale et complémentaire. Elle rétablit la dualité sacrée, ce couple fondateur qui, dans la symbolique hermétique, reflète l’harmonie cosmique. À travers ses mots, nous entendons l’écho d’un ancien mystère car aucun ordre social, aucun progrès spirituel n’est complet tant que le féminin est rejeté dans l’ombre.

Élise Pavy-Guilbert souligne cet aspect avec justesse. En resituant la Déclaration dans une trajectoire de vie, elle nous montre une femme entière : dramaturge, militante, mère, amante libre, citoyenne. Et c’est ce mélange de chair et d’esprit qui rend son texte bouleversant. Nous ne lisons pas un traité abstrait, mais un cri incarné. Le format modeste du livre, sa simplicité apparente, rendent presque plus saisissant le contraste avec la grandeur de ce qu’il contient. Comme une pierre discrète mais précieuse, il se glisse dans une poche, mais il contient un monde.
Et lorsque nous refermons ce livre, un silence habité s’installe. Il nous oblige à nous interroger.
Que reste-t-il de la promesse d’Olympe de Gouges ?
Avons-nous accompli son rêve ou sommes-nous encore en chemin ? Ce petit volume n’est pas un objet clos. Il est un point de départ.

Ainsi, en offrant cette édition, Élise Pavy-Guilbert dépasse la simple érudition. Elle devient une passeuse entre les siècles, une sœur d’âme qui veille à ce que la lumière d’Olympe de Gouges ne soit pas étouffée.
Et nous, en recevant ce livre, devenons les maillons d’une chaîne, les gardiens d’une mémoire vivante, et peut-être les artisans de l’égalité encore à venir.
Olympe de Gouges

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
Édition d’Élise Pavy-Guilbert – GF Flammarion, n°1636, format poche, 2025, 176 pages, 3,80 € – E-book (Epub, PDF) 2,99 €
