mer 16 juillet 2025 - 14:07

La Grande Troménie de Locronan : « Une odyssée spirituelle entre foi chrétienne et héritage celtique »

De notre confrère ouest-france.fr

La Grande Troménie de Locronan, dont le nom dérive du breton Tro Minihi (« tour du sanctuaire »), puise ses origines dans une double tradition : celtique et chrétienne. Avant l’arrivée du christianisme en Armorique, Locronan était un haut lieu spirituel celtique, structuré autour d’un calendrier luni-solaire. Les druides, savants de l’époque, y pratiquaient des rituels liés aux cycles saisonniers et aux forces naturelles.

Le sanctuaire, situé au pied de la colline de Menez Lokorn, était orienté selon des repères cosmiques, marquant les parcours annuels du soleil et de la lune, comme l’a souligné l’ethnologue finistérien Donatien Laurent. Selon ses recherches, les pèlerins de la Troménie reproduisent avec leurs pas un cheminement symbolique calqué sur ces cycles cosmiques, une pratique antérieure à l’ère chrétienne.

Au VIe siècle, l’arrivée de saint Ronan, un moine irlandais venu évangéliser la Bretagne, marque un tournant. Vivant en ermite à Locronan, il intègre les traditions locales tout en christianisant le site. Après sa mort, son culte se développe rapidement, et la Troménie devient une célébration dédiée à sa mémoire. Selon la tradition, saint Ronan parcourait quotidiennement le trajet de la Petite Troménie (6 km) et, chaque dimanche, celui de la Grande Troménie (12 km), suivant les anciennes limites paroissiales. Ce parcours, jalonné de 12 stations symbolisant les mois de l’année celtique, perpétue une vision du monde où les forces cosmiques – lune et soleil, féminin et masculin, hiver et été – s’équilibrent dans une harmonie complémentaire.

La Grande Troménie, qui se tient tous les six ans, s’inscrit dans cette périodicité ancienne, potentiellement liée aux cycles calendaires celtiques. Christianisée au fil des siècles, elle reste un témoignage vivant de la fusion entre paganisme et christianisme, une caractéristique typique des pardons bretons. Comme l’explique Lukian Kergoat, linguiste et participant de longue date à la Troménie, « c’est une déambulation spirituelle qui dépasse le simple fait religieux ».

Le déroulement de la Grande Troménie 2025

La Grande Troménie de 2025, qui se déroule du 13 au 20 juillet, a été officiellement présentée lors d’une conférence de presse le 18 juin à Locronan, en présence des organisateurs, dont le curé de la paroisse Sainte-Anne de Châteaulin et les représentants de l’association Locronan, Vie et Tradition. Cette dernière, née en 2024 de la fusion de deux entités locales, veille à la pérennité de ce patrimoine immatériel, tout en entretenant l’église Saint-Ronan et en mobilisant la communauté pour l’événement.

Un coup d’envoi festif et symbolique

Les festivités commencent la veille, le samedi 12 juillet, avec un spectacle son et lumière retraçant la vie de saint Ronan, de son arrivée en Bretagne à la fondation de Locronan. Ce spectacle, porté par des habitants de la commune, met en scène les légendes et traditions liées au saint, illuminant les bâtiments historiques de la petite cité de caractère. À minuit, le tantad (feu de joie) est allumé, symbolisant l’ouverture du chemin sacré pour une semaine.

La procession du dimanche 13 juillet

Le dimanche 13 juillet marque le point culminant de l’événement. Dès 9h, la Gorsedd, fraternité des druides de Bretagne, inaugure la journée avec une procession dédiée au culte celtique. Une centaine de participants, guidés par le grand druide Per Vari Kerloc’h et le porteur de l’épée d’Arthur, s’élancent sur le parcours de 12 km, traversant chemins creux, champs et ruisseaux. Ce rituel, qui célèbre la vie, les éléments et la mort, s’inscrit dans la continuité des pratiques préchrétiennes.

À 10h30, Mgr Dognin, évêque de Quimper et Léon, célèbre une messe solennelle à l’église Saint-Ronan. À 14h, la grande procession chrétienne débute depuis la chapelle du Pénity, où repose le gisant de saint Ronan. Les pèlerins, portant bannières, reliques et costumes traditionnels du pays glazik, parcourent les 12 stations, marquées par des croix de granit et des huttes abritant des statues de saints en bois ou en pierre. L’évêque prononce une homélie sur la butte de Menez-Lokorn, avant un retour à Locronan vers 20h.

Une semaine de pèlerinage ouvert

Du 13 au 20 juillet, le chemin sacré reste accessible, permettant à chacun de participer à son rythme. Des milliers de pèlerins – près de 5 000 lors de l’édition 2019 – affluent pour accomplir ce parcours, chacun avec ses motivations : foi catholique, quête spirituelle, hommage aux traditions bretonnes, ou simple désir de marcher dans un cadre naturel et historique.

Un chemin sacré : entre nature et spiritualitéLe parcours de la Grande Troménie, long de 12 km, traverse la plaine du Porzay et la montagne du Prieuré, sur des chemins privés spécialement ouverts pour l’occasion. Les préparatifs, minutieux, impliquent de faucher les blés, couper le maïs, débroussailler les chemins creux et installer des ponts improvisés sur les ruisseaux. Les 12 stations, marquées par des croix de granit, correspondent aux 12 mois du calendrier celtique, débutant en novembre. Le bas du parcours symbolise l’hiver et la lune, tandis que le haut évoque l’été et le soleil, incarnant une vision du monde où les opposés s’harmonisent.

Les 42 huttes qui jalonnent le chemin abritent des statues de saints, sorties de leurs églises ou chapelles pour saluer les pèlerins. Ces figures, souvent sculptées dans le bois polychrome, sont des dons d’artistes locaux ou de familles, comme celles du pays glazik offertes par des donateurs crozonnais. Certaines, comme la hutte de sainte Barbe, sont rattachées à des familles locales, perpétuant une tradition d’hospitalité et de transmission.

Le père Christian Le Borgne, curé de la paroisse, résume l’essence de ce pèlerinage : « Chacun y trouve ce qu’il est venu chercher, et beaucoup trouvent… en marchant. » Les pauses aux stations deviennent des moments de recueillement, où les pèlerins déposent leurs fardeaux – prières, espoirs, ou chagrins – pour repartir plus légers.

Un patrimoine vivant : la Grande Troménie dans la culture contemporaine

La Grande Troménie transcende le cadre religieux pour devenir un événement culturel et patrimonial majeur. Elle attire des visiteurs aux profils variés : pèlerins catholiques, adeptes de la spiritualité celtique, touristes curieux, ou habitants attachés à leurs racines. Cette diversité reflète la richesse de l’événement, qui fédère au-delà des croyances.

La contribution d’Anne Gouerou

La documentariste Anne Gouerou a joué un rôle clé dans la valorisation de ce patrimoine. Son ouvrage, La Troménie de Locronan : un chemin au rythme du temps celtique, publié le 11 juillet 2025 aux éditions Yoran Embanner, explore les origines et les rituels de la Troménie. Illustré par des photos anciennes, des aquarelles d’Anne Cognard et enrichi de QR codes donnant accès à des vidéos de l’édition 2019 et aux archives de Donatien Laurent, ce livre rend accessible un savoir ethnologique et historique. Gouerou, passionnée par les travaux de Laurent, souligne l’importance de vulgariser ces connaissances pour préserver la mémoire de ce rituel.

Une projection de courts-métrages réalisés par Gouerou sur l’édition 2019 a également eu lieu le 1er mars 2025 à Ti Lokorn, permettant aux Locronanais et aux habitants des environs de se replonger dans l’ambiance de la Troménie et de préparer l’édition 2025.

Un ancrage communautaire

L’engagement de la communauté locale est au cœur de la pérennité de la Troménie. L’association Locronan, Vie et Tradition mobilise des bénévoles pour entretenir le parcours, organiser les festivités et préserver l’église Saint-Ronan. Des initiatives comme le montage de la crèche paroissiale, qui reproduit la Troménie en miniature avec des costumes bretons brodés, témoignent de cet attachement. En 2024, après des années de polémiques, la crèche a retrouvé sa place dans la chapelle du Pénity, marquant une réconciliation communautaire.

La Troménie et la modernité : une résonance universelle

Dans un monde marqué par les bouleversements sociaux et environnementaux, la Grande Troménie de Locronan offre un espace de connexion avec des valeurs intemporelles : la marche, le silence, la nature, et la quête de sens. Comme le souligne Anne Gouerou, « c’est bien plus que du folklore » : c’est une expérience qui traverse l’humain dans toute sa complexité.

Le pèlerinage attire également l’attention pour son lien avec le deuil et la mémoire. Les stations du parcours, où les pèlerins s’arrêtent pour prier ou méditer, sont des lieux de recueillement où l’on honore les disparus et les promesses faites. Cette dimension spirituelle, ouverte à tous, qu’ils soient croyants ou non, fait de la Troménie un rituel universel.

Sur les réseaux sociaux, l’événement suscite un vif intérêt. Des publications sur X soulignent son caractère incontournable : « Il faut y participer au moins une fois dans sa vie, sinon… », écrit un utilisateur, tandis qu’un autre évoque la magie des bannières et des costumes bretons portés lors de la procession.

une invitation à marcher ensemble

La Grande Troménie de Locronan, qui se tient du 13 au 20 juillet 2025, est bien plus qu’un simple pardon breton. Elle est une célébration de l’héritage celtique et chrétien, un moment de communion entre les générations, et une invitation à parcourir un chemin sacré où chacun trouve sa propre vérité. Comme l’écrit Anne Gouerou, « les troménies sont des processions en forme de pardons circulaires », des cercles qui relient le passé au présent, la terre au ciel, et l’individu à la communauté.

Que l’on soit attiré par la spiritualité, la culture bretonne, ou simplement l’envie de marcher dans un cadre chargé d’histoire, la Grande Troménie de Locronan est une expérience à vivre. Rendez-vous est pris pour 2025 – ou dans six ans, pour la prochaine édition de ce rituel millénaire.

Sources :

  • Ouest-France, articles sur la Grande Troménie de Locronan, 2025.
  • Le Télégramme, articles sur la Troménie et l’ouvrage d’Anne Gouerou, 2025.
  • Diocèse de Quimper et Léon, présentation de la Grande Troménie, 2025.

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