(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Je m’installe dans l’été. Hier, le 14 juillet, j’ai vu défiler nos armées sur les Champs-Élysées, tous ces militaires en uniformes impeccables qui, d’un même pas, verseraient leur sang pour sauver la patrie, en cas de conflit. Beaucoup à dire à ce sujet, dans ce monde fracturé. Nous voilà donc le 15, jour anniversaire d’un être qui m’est très cher. En quelques heures, tant d’impressions, tant de réflexions tant d’aspirations filant vers divers horizons. Puis, cette conscience d’être un infime individu, fragile et mortel (j’allais dire, en plaisantant, de plus en plus mortel, attendu mon âge). Or cet infime individu se pose beaucoup de questions, sur sa vision des choses, sur les conditions de son engagement, etc.

Il sait aussi qu’il n’est rien sans les autres, que la vie se renouvelle et qu’il est essentiel de transmettre. Mais que transmettre ? La révolution technologique transforme à une vitesse fulgurante les métiers, les activités, les productions, les relations, les perspectives, en d’autres termes, la culture et les modes de pensée voire les modes de vie, tout comme les opportunités et les risques. En tant que maçons, nous ne détenons aucune solution particulière face à ces émergences multiples mais, comme il s’agira toujours de réagir en homme libre, loyal et responsable, la petite école initiatique garde toute sa place. En aiguisant ses connaissances des réalités, chacun peut se fier, en toutes circonstances, à une boussole exigeante comportant trois aiguilles : tout d’abord, ne jamais faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas subir, à défaut de lui faire tout le bien dont on souhaiterait bénéficier – ce dernier point étant délicat et se discutant aussi sous plusieurs angles, pour ne pas s’imposer à l’autre en dehors des cas de nécessité – ; ensuite et, plus prosaïquement, ne jamais céder à la médiocrité, quoi qu’il arrive ; enfin, s’exercer tous les jours à voir plus large, plus haut et plus loin. Cela n’a l’air de rien, mais il n’est point facile de se conformer sans faillir à de telles injonctions…

Or c’est cette unité qui compte, sans quoi une initiation à éclipses devient, par sa légèreté, une imposture. Ses propriétés constantes façonnent des obligations qui ne s’interrompent pas. Elles ne sauraient, dès lors, pas plus être sélectives qu’intermittentes. L’initié s’alimente de sa continuité. Et ce n’est pas en se badigeonnant de références occultistes qu’il échappera à la vérité de son silence intérieur. Bien au contraire, s’il est sincère, car le rendez-vous avec soi-même est permanent. Toute négligence, toute rupture, participent à l’effondrement du monde. Sa quête n’est, pourtant, pas si fragile ni dramatique. On s’habitue assez facilement à rester fidèle à quelques principes élémentaires, à garder un certain parallélisme entre sa propre voie et La Voie inspirante.

Toutefois, parmi toutes les personnes que l’on fréquente, combien sont réellement celles, maçonnes ou profanes, qui observent incessamment cette rigueur ? Cette rigueur, qui n’est pas plus sévère que rigide et qui repose sur la régularité et l’exactitude, implique un esprit indépendant, dépourvu d’ambitions secrètes ou secondaires. Elle caractérise simplement – mais au sens plein – un homme libre et de bonnes mœurs. Dans la vie courante, il y a souvent de quoi être découragé. Il faut parier sur le moyen terme : la qualité des personnes finit par faire son chemin. Certes, au début, il faut avoir le cuir un peu épais : bien faire et laisser dire.

À l’échelle de l’Histoire et du monde, l’évolution de nos sociétés comme celle des empires ou de la planète laissent pour le moins perplexe et dubitatif. Avons-nous, cependant, mieux à faire dans nos environnements ? Cela rappelle peut-être la parabole du colibri qui allait projeter ses gorgées d’eau sur le feu pour éteindre un incendie de forêt – comme ceux qui endeuillent le paysage, l’été – ou encore, toujours en cette période estivale, ces châteaux de sable montés en bord de plage, à marée descendante, avec force pelles et seaux. Ce serait vain si nous étions seuls. C’est pourquoi il ne faut jamais renoncer à l’inlassable effort de réunir les bonnes volontés. Or elles existent, bien plus nombreuses qu’on ne le croit, et on ne peut bel et bien compter que sur elles, dans tous les cas de figure.
Alors, au boulot et vivent les colibris et les châteaux de sable !