ven 11 juillet 2025 - 21:07

Le Kebra Negast : Un voyage au cœur de l’héritage Éthiopien et maçonnique

Un reportage vu par hasard, mêlant des images vibrantes d’Éthiopie, d’Haïlé Sélassié, du Kebra Negast, d’Israël, de l’Arche d’Alliance, du roi Salomon, de la reine de Saba et de la cathédrale Sainte-Marie de Sion, a éveillé ma curiosité. Comment ce pays, souvent associé dans mon esprit à la pauvreté et à la famine, pouvait-il être le creuset d’une culture si riche, au carrefour des fondements judéo-chrétiens et des traditions maçonniques ? Perplexe, j’ai entrepris des recherches modestes, mais passionnantes, pour explorer ce mystère.

Cet article retrace les grandes lignes du Kebra Negast, l’histoire de la reine de Saba et de Ménélik I, ainsi que leur résonance dans le symbolisme maçonnique, tout en offrant une plongée dans un héritage universel.

I. Le Kebra Negast : La Gloire des Rois d’Éthiopie

Le Kebra Negast, ou « Gloire des Rois », est bien plus qu’un simple texte : c’est une épopée sacrée, un récit national qui célèbre la dynastie salomonienne éthiopienne et ses liens avec le roi Salomon et la reine de Saba. Ce livre, considéré comme une compilation de traductions issues de sources arabes, coptes et syriaques, se distingue par son style linguistique varié, reflet de ses origines multiples. Il n’a été largement diffusé qu’à partir de 1270, lorsque la dynastie salomonienne a pris le pouvoir, éclipsant ses rivaux zagwés.Le texte s’ouvre sur un débat fictif entre 318 patriarches lors du concile de Nicée en 325, affirmant la doctrine de la Trinité et les fondements de la foi chrétienne. Les vingt premiers chapitres retracent l’histoire du monde depuis la Création jusqu’au règne de la reine de Saba, posant les bases d’une théologie éthiopienne.

L’originalité du Kebra Negast réside dans sa capacité à tisser une « histoire sainte » pour le peuple éthiopien, présenté comme élu de Dieu. Il superpose plusieurs cycles légendaires, où les fils de Salomon – Roboam à Jérusalem, Ménélik I en Éthiopie, et Adrami à Rome – se partagent symboliquement le monde, incarnant respectivement la perle, l’Arche d’Alliance et la Croix du Christ.Au cœur du récit se trouve la rencontre entre Salomon et la reine de Saba, dont l’union donne naissance à Ménélik I, fondateur de la dynastie éthiopienne. Cette filiation, codifiée dans la Constitution éthiopienne de 1955, stipule que l’empereur doit descendre directement de Ménélik I, fils de la reine de Saba et de Salomon. Haïlé Sélassié, couronné le 2 novembre 1930 sous le nom de « Puissance de la Trinité », fut le 225e descendant de cette lignée, jusqu’à sa déposition en 1974. Le Kebra Negast n’est donc pas seulement un texte religieux, mais un manifeste politique et spirituel, ancrant l’identité éthiopienne dans une généalogie divine.

II. La Reine de Saba, Ménélik I et l’Arche d’Alliance : Un Mythe Fondateur

1. La Reine de Saba : Sagesse et Beauté Légendaires

La reine de Saba, figure emblématique du Kebra Negast, est une souveraine d’une beauté légendaire et d’une sagesse proverbiale. Son royaume, situé au Yémen ou en Éthiopie selon les sources, prospère grâce à ses richesses. Intriguée par la réputation de Salomon, roi d’Israël et fils de David, elle entreprend un voyage à Jérusalem pour éprouver sa sagesse.

Conquise par son intelligence et sa ruse, elle succombe à son charme, tandis que Salomon est ébloui par sa beauté. De leur union naît Ménélik I, conçu lors du retour de la reine dans son royaume.Cette rencontre, narrée avec une dimension presque mythique, transcende l’histoire pour devenir un symbole d’union entre deux figures initiatiques. La reine de Saba incarne la sagesse intuitive et la beauté, tandis que Salomon représente la sagesse divine et la force. Leur histoire, au-delà du récit, illustre une complémentarité spirituelle et humaine.

2. Ménélik I : Le Fils de la Lumière

Selon le Kebra Negast, Ménélik I, une fois adulte, se rend à Jérusalem pour rencontrer son père. Salomon, en le voyant, déclare : « Maintenant, mon père David retrouve sa jeunesse, il est ressuscité des morts. » Après un séjour de plusieurs années, Salomon consacre Ménélik roi d’Éthiopie et le renvoie accompagné des fils des Lévites, dont Azarias, qui emporte secrètement l’Arche d’Alliance. Ce transfert, central au récit, légitime l’Éthiopie comme nouvelle gardienne de ce trésor sacré.

3. L’Arche d’Alliance : Symbole de la Présence Divine

L’Arche d’Alliance, décrite dans la Bible comme le coffre contenant les Tables de la Loi (les Dix Commandements), est le réceptacle de l’esprit de Dieu : « Ils me feront un sanctuaire, et je demeurerai au milieu d’eux » (Exode 25:8). Elle accompagne les Israélites durant l’Exode, guidée par une colonne de feu la nuit et une nuée le jour, avant d’être installée par Salomon dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, un espace cubique symbolisant la perfection divine.

Dans le Kebra Negast, l’Arche est transférée à Aksoum, où elle aurait été conservée jusqu’en 2015 dans l’église Sainte-Marie-de-Sion, gardée par un moine et inaccessible au public. Ce récit confère à l’Éthiopie une aura sacrée, la positionnant comme l’héritière spirituelle d’Israël.

III. Le Symbolisme Maçonnique : Une Lecture Ésotérique

Le Kebra Negast n’est pas seulement un texte historique ou religieux : il porte une dimension ésotérique qui résonne profondément avec le symbolisme maçonnique. En loge, la rencontre entre Salomon et la reine de Saba est interprétée comme une allégorie de l’union des opposés, une quête de transcendance qui trouve un écho dans les rituels et les symboles de la franc-maçonnerie.

1. L’Union du Masculin et du FémininLa reine de Saba, souvent comparée à Isis, Marie ou la « reine alchimique », incarne la sagesse intuitive, la beauté et la pureté. Salomon, quant à lui, représente la sagesse divine et la force, héritier du Dieu unique. Leur union symbolise la rencontre du masculin et du féminin, du soleil et de la lune, de l’eau et du feu. Dans l’alchimie maçonnique, cette « hieros gamos » (mariage sacré) produit un « fils de la lumière », un être androgyne réunissant les trois composantes alchimiques : mercure, sel et soufre.

Ménélik I, fruit de cette union, incarne cette transmutation : il porte la sagesse de sa mère, la force de son père et la beauté de la jeunesse. En loge, ces qualités se retrouvent dans le ternaire maçonnique : Sagesse, Force, Beauté. Lors de l’ouverture des travaux au grade d’apprenti, le Maître de Cérémonies allume les colonnettes ionique (sagesse, pour le Vénérable Maître), dorique (force, pour le premier surveillant) et corinthienne (beauté, pour le second surveillant), déclarant : « Que la Sagesse préside à la construction de notre édifice ! Que la Force la soutienne ! Que la Beauté l’orne ! »

2. La Trinité et le Delta Lumineux

Le Kebra Negast met en avant la Trinité, un concept central en Éthiopie chrétienne, qui trouve un parallèle dans le symbolisme maçonnique. En loge, le ternaire est représenté par le Volume de la Loi Sacrée, l’équerre et le compas. L’équerre symbolise la droiture et l’équité, le compas la mesure et la comparaison, tandis que le Volume de la Loi Sacrée transcende ces outils en incarnant le Verbe, la lumière divine.

Le Delta Lumineux, entouré du soleil et de la lune à l’Orient de la loge, synthétise cette lumière parfaite. Le soleil (force masculine) et la lune (sagesse féminine) s’unissent pour former un « feu ardent », un symbole de l’initiation. Comme la reine de Saba voyageant vers Salomon, l’apprenti maçonnique quête la lumière, mais doit d’abord dompter ses peurs et accepter ses faiblesses pour l’accueillir progressivement.

3. Une Tradition Millénaire

Le Kebra Negast transmet un message de transcendance : l’union de Salomon et de la reine de Saba engendre une lignée qui perpétue la sagesse divine. En maçonnerie, cette idée se traduit par la transmission de la lumière à travers les âges. Les francs-maçons, héritiers d’une tradition millénaire, portent cette lumière, la font vivre et la transmettent. Comme le souligne l’Évangile de Luc (11:31), « La reine du Midi se lèvera au jour du jugement […] parce qu’elle vint des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon. »

IV. Une Réflexion Universelle

Le Kebra Negast n’est pas seulement l’histoire de l’Éthiopie : c’est un récit universel sur la quête de la lumière, la complémentarité des opposés et la transmission des savoirs. En Éthiopie, il a forgé une identité nationale, légitimant une dynastie qui s’est éteinte en 1974 avec Haïlé Sélassié, mais dont l’héritage spirituel perdure. En franc-maçonnerie, il offre une lecture ésotérique de l’initiation, où la rencontre de Salomon et de la reine de Saba devient une métaphore de l’union intérieure, de la transmutation alchimique et de l’élévation spirituelle.

Ce texte nous invite à méditer sur notre propre quête : comment, à l’image de la reine de Saba, pouvons-nous chercher la lumière ? Comment, comme Salomon, transmettre la sagesse ? Et comment, tel Ménélik I, incarner un avenir qui réunit passé et présent ? En loge, cette réflexion se vit à travers les rituels, les symboles et la fraternité, où chaque maçon, par son travail, accède à une beauté qui est aussi une forme de grâce.

Une Lumière Intemporelle

Le Kebra Negast est un pont entre l’histoire et le mythe, l’Éthiopie et le monde, la religion et l’ésotérisme. À travers l’union de Salomon et de la reine de Saba, il raconte la naissance d’une lignée sacrée, mais aussi la quête universelle de la lumière. En franc-maçonnerie, ce récit résonne comme une allégorie initiatique, où la sagesse, la force et la beauté s’unissent pour construire un édifice spirituel. Comme les maçons de la loge Futura à Bordeaux (Proclamation de Bordeaux, 31 mai 2025), qui appellent à « rassembler ce qui est épars », le Kebra Negast nous rappelle que la lumière, née de l’union des opposés, doit être portée, vécue et transmise pour éclairer l’humanité.

Sources :

  • Recherche personnelle et sources internet.
  • Kebra Negast – La gloire des Rois d’Éthiopie (Éditions J.-M. Bel – Reine de Saba).
  • Hiram et la Reine de Saba – un mythe maçonnique (Édition Maison de Vie).
  • Symbolisme Maçonnique Traditionnel.
  • Rituel du 1er degré maçonnique.
  • Proclamation de Bordeaux, 31 mai 2025 (pour le contexte maçonnique).

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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