ven 11 juillet 2025 - 00:07

Sources des Rites Égyptiens : Exploration des origines et de l’héritage initiatique de la Franc-maçonnerie égyptienne

Par Robert Mingam

La franc-maçonnerie, en tant que tradition initiatique, s’enracine dans un mélange complexe d’histoire, de mythes et de symbolisme. Parmi ses multiples expressions, le Rite Oriental de Misraïm se distingue par sa richesse ésotérique et son lien revendiqué avec les traditions égyptiennes. Selon les travaux de Robert Mingam, ce rite, loin d’être une simple invention moderne, puise ses origines dans des courants spirituels et philosophiques anciens, intégrant des éléments d’hermétisme, d’alchimie, de kabbale et de mystères initiatiques remontant à l’Égypte antique.

Cet article, inspiré des analyses de Mingam, explore les sources historiques et mythiques des rites égyptiens, leur développement au XVIIIe siècle, et leur singularité dans le paysage maçonnique. En examinant les figures clés, les influences culturelles et les controverses entourant leur authenticité, il met en lumière la manière dont Misraïm incarne une quête de vérité universelle, au croisement de l’histoire et de la légende.

I. Contexte Général : La Franc-Maçonnerie Égyptienne et ses Mythes Fondateurs

Erudit dans sa bibliothèque

La franc-maçonnerie du XVIIIe siècle, contrairement à sa forme contemporaine, était profondément imprégnée de spiritualité et d’ésotérisme. Loin de se limiter à des objectifs philanthropiques ou sociaux, elle visait la « conquête de la Vérité » et l’exploration des secrets de la nature, intégrant des influences religieuses, alchimiques, kabbalistiques et hermétiques. Le Rite Oriental de Misraïm, comme d’autres rites égyptiens, s’inscrit dans cette mouvance, se distinguant par une structure hiérarchique complexe et une ambition initiatique ambitieuse. Selon Mingam, ce rite ne se contente pas d’une filiation historique linéaire, mais s’appuie sur une « communauté d’esprit et d’idéaux » qui transcende les époques.

Le mythe central des rites égyptiens repose sur une filiation revendiquée avec l’Égypte pharaonique, perçue comme le berceau d’une sagesse immémoriale. Cette vision, influencée par des textes comme le Corpus Hermeticum et des œuvres littéraires du XVIIIe siècle, a façonné une maçonnerie égyptienne qui se présente comme l’héritière des écoles de mystères antiques. Cependant, Mingam souligne que l’authenticité de ces rites ne réside pas dans une filiation historique ininterrompue, mais dans la fidélité à leurs enseignements initiatiques et à leur respect des doctrines maçonniques.

II. Les Origines Historiques et Mythiques des Rites Égyptiens

1. L’Égypte comme Source Symbolique

L’Égypte antique, avec ses pyramides, ses hiéroglyphes et ses mystères, a fasciné l’Europe dès la Renaissance, particulièrement après la traduction du Corpus Hermeticum par Marsile Ficin en 1472. Ce recueil, attribué à Hermès Trismégiste, dépeint l’Égypte comme une « copie du ciel », un lieu où les forces célestes se manifestent sur terre. Cette vision, popularisée au XVIIIe siècle, a nourri l’imaginaire des rites égyptiens, qui se revendiquent d’une « tradition primordiale » ancrée dans les mystères d’Osiris, d’Isis et d’Horus.

Mingam note que les rites égyptiens ne se réfèrent pas à l’Égypte pharaonique historique, mais à une Égypte idéalisée, reconstituée à travers le prisme néo-platonicien et hellénistique d’Alexandrie. Cette ville cosmopolite, où coexistaient des influences grecques, juives et égyptiennes, a servi de creuset pour l’hermétisme, l’alchimie et l’astrologie, qui ont inspiré les fondateurs des rites maçonniques égyptiens. Le calendrier nilotique, utilisé dans les loges égyptiennes et datant du couronnement de Ramsès II, symbolise ce lien avec une Égypte mythique, perçue comme le centre spirituel du monde.

2. Les Influences Littéraires et Philosophiques

Plusieurs textes du XVIIIe siècle ont alimenté l’imaginaire des rites égyptiens :

  • Jean Terrasson, Sethos (1731) : Ce roman pseudo-initiatique décrit les rites d’initiation égyptiens, influençant des figures maçonniques comme Cagliostro. Bien que fictif, il a contribué à populariser une vision romancée de l’Égypte comme berceau des mystères.
  • Athanase Kircher, Oedipus Aegyptiacus (1652) : Ce traité, mêlant érudition et spéculation, a renforcé l’idée d’une Égypte ésotérique, source de savoir universel.
  • Court de Gébelin, Monde primitif (1773) : Gébelin a présenté les hiéroglyphes comme des symboles d’une sagesse ancienne, influençant les maçons égyptiens dans leur quête d’une vérité universelle.

Ces œuvres, bien que souvent éloignées de la réalité historique, ont fourni un cadre intellectuel aux rites égyptiens, combinant hermétisme néo-platonicien, kabbale judéo-chrétienne et traditions chevaleresques.

3. Le Rôle de Naples et de Malte

temple grec : ancienne civilisation
temple à la vallée des dieux à Agrigente ( Sicile )

Mingam met en lumière l’importance du sud de l’Italie, notamment Naples et la Sicile, comme creusets de l’ésotérisme maçonnique au XVIIIe siècle. Ces régions, hors du contrôle direct de l’Inquisition, étaient des foyers d’activités hermétiques, influencées par des figures comme Giordano Bruno, Tommaso Campanella et Franco Maria Santinelli. Naples, en particulier, se passionnait pour les traditions égyptiennes, perçues comme des clés pour percer les secrets de l’initiation.

Malte, sous l’égide de l’Ordre des Chevaliers de Malte, jouait également un rôle crucial. Des loges maçonniques occultes, comme Saint John’s of Secrecy and Harmony (fondée en 1764), ont servi de laboratoires pour des pratiques alchimiques et kabbalistiques. Le Grand Maître Manuel Pinto de Fonseca (1741-1773), accusé d’avoir recherché la pierre philosophale, et son successeur Emmanuel de Rohan (1775-1797), auraient toléré, voire encouragé, ces activités. Ces loges maltaises, selon Mingam, ont transmis des enseignements ésotériques, notamment les Arcana Arcanorum, qui deviendront les hauts grades du Rite de Misraïm.

III. Les Figures Clés et les Rites Précurseurs

1. Cagliostro et la Haute Maçonnerie Égyptienne

Cagliostro

Joseph Balsamo, plus connu sous le nom de Comte de Cagliostro (1743-1795), est une figure centrale des rites égyptiens. Initié à Malte entre 1766 et 1767 par Luigi d’Aquino, Cagliostro aurait reçu les Arcana Arcanorum, trois hauts grades hermétiques prétendument issus des secrets d’immortalité de l’Égypte antique. Ces grades, intégrés au Rite de Misraïm comme les 87e, 88e, 89e et 90e degrés (l’« échelle de Naples »), portent sur la « pneumatologie néoplatonicienne » et l’alchimie interne, visant à constituer un « Corps de Gloire » – une immortalité spirituelle acquise de son vivant.Cagliostro fonda en 1784 le Rite de la Haute Maçonnerie Égyptienne à Lyon, dans la loge La Sagesse Triomphante. Ce rite, structuré en trois degrés (Apprenti, Compagnon, Maître Égyptien), mettait l’accent sur la construction d’un « corps de lumière », un concept alchimique illustré par la phrase de Cagliostro : « Chacun recevra en propre le Pentagone (Étoile Flamboyante), c’est-à-dire cette feuille vierge sur laquelle les Anges primitifs ont imprimé leurs chiffres et leurs sceaux. » Selon Robert Ambelain, Cagliostro aurait été initié dans des cercles coptes du Caire, héritiers des Rose+Croix d’Orient, qui auraient préservé des rituels oraculaires égyptiens. Bien que ces affirmations soient difficilement vérifiables, elles renforcent la légende de Cagliostro comme « Grand Cophte », un hiérophante dédié à la transmission des mystères égyptiens.

2. Raimondo di Sangro et le Rite Hermétique

Raimondo di Sangro, Prince de San Severo (1710-1771), est une autre figure clé. Grand Maître d’une « Grande Loge de la Maçonnerie » à Naples vers 1750, di Sangro était un occultiste passionné d’alchimie et de magie. Sous son égide, le Baron Louis Henri Théodore de Tschoudy (1724-1769) développa le Rite Hermétique ou Étoile Flamboyante, structuré en sept degrés, dont les hauts grades (Maître Parfait, Parfait Élu, Petit Architecte, Parfait Initié d’Égypte, Chevalier du Soleil) intégraient des éléments alchimiques et hermétiques. Introduit en France, ce rite influença le Rite Écossais Ancien et Accepté ainsi que Misraïm, notamment à travers son catéchisme basé sur le Grand Œuvre.

3. Les Architectes Africains et les Philadelphes

Le Rite des Architectes Africains, fondé à Berlin en 1767 par Friedrich von Köppen, s’inspirait des initiations égyptiennes décrites dans Crata Repoa (1770), un traité fictif attribué à Köppen et Johann Wilhelm Bernhard Hymmen. Organisé en sept degrés (Pastophore, Nécophore, Mélanophore, Christophore, etc.), ce rite prétendait révéler les secrets de l’Égypte antique, notamment l’alchimie. Introduit en France en 1770, il fut pratiqué jusqu’en 1806 et influença les structures triadiques (Osiris, Isis, Horus) des rites égyptiens.

Le Rite Primitif des Philadelphes, fondé à Paris en 1779 par Savalette de Langes et les Chefdebien, intégrait des éléments occultes et alchimiques, structurés en multiples grades et chapitres. Les Philadelphes, associés à la loge Les Amis Réunis (1771), cherchaient une « Vérité Unique » à travers une vaste bibliothèque ésotérique. Bien que controversés, accusés de charlatanisme par certains, ils marquèrent l’histoire maçonnique par leur ambition mystique.

4. Le Rite Primitif et les Autres Rites Égyptiens

Le Rite Primitif, organisé en 1759 à Prague par le Vicomte Chefdebien d’Aigrefeuille et importé à Narbonne en 1780, revendiquait une filiation avec l’hermétisme égyptien. Le Rite des Parfaits Initiés d’Égypte (1785), fondé par Etteilla à Lyon, s’inspirait du tarot et du Livre de Thot, mais s’éteignit rapidement. L’Ordre Sacré des Sophisiens (1801), créé par des officiers napoléoniens, et la Souveraine Pyramide des Amis du Désert (1806), fondée par Alexandre Du Mège, témoignent de l’engouement pour l’Égypte suite à la campagne de Bonaparte (1798-1801). Ces rites, bien que variés, partageaient une fascination pour une Égypte mythique, mêlant néo-platonisme, pythagorisme et ésotérisme.

IV. Les Arcana Arcanorum et l’Échelle de Naples

Prison de Gagliostro
Prison de Gagliostro – Dit Joseph Balsamo

Les Arcana Arcanorum, transmis à Cagliostro par Luigi d’Aquino à Malte, constituent le cœur ésotérique du Rite de Misraïm. Ces trois hauts grades, intégrés comme les 87e à 90e degrés, forment l’« échelle de Naples » (scala di Napoli). Selon Mingam, ils enseignent la « survie de l’âme » selon la pneumatologie néoplatonicienne et développent des principes d’alchimie interne, visant à constituer un « Corps de Gloire ». Ces grades, conservés par un Souverain Sanctuaire, chapeautent les 33 degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté, ajoutant une dimension spirituelle unique à Misraïm.

L’origine de ces grades reste obscure. Mingam suggère qu’ils proviennent de traditions coptes ou de cercles ésotériques maltais, mais leur transmission à Naples, via Cagliostro et d’Aquino, marque un tournant. En 1785, la recomposition de la loge Saint John’s of Secrecy and Harmony à Malte, sous la direction de Charles-Abel de Loras, et les contacts de Cagliostro à Rovereto en 1788, auraient facilité l’intégration des Arcana Arcanorum dans Misraïm, conférant au rite une dimension gnostique et égyptienne.

V. Controverses et Authenticité des Rites Égyptiens

1. Le Débat sur le Rite Primitif

Le Rite Oriental de Misraïm revendique une filiation avec un Rite Primitif pratiqué à Paris en 1721, mais cette origine est contestée. Aucun auteur britannique ne mentionne ce rite, et son existence, quatre ans seulement après la création de la Grande Loge de Londres (1717), semble improbable, surtout en l’absence de patente. Mingam insiste sur le fait que l’authenticité d’un rite ne repose pas sur son ancienneté, mais sur la fidélité de ses enseignements aux principes maçonniques : liberté, égalité, fraternité, et quête de la vérité.

2. La Légende d’Ormus

Marconis de Negre

Une légende, rapportée par Marc Bédarride et Marconis de Nègre, attribue l’origine des rites égyptiens à Ormus, un prêtre d’Alexandrie converti par Saint Marc au Ier siècle. Ce mythe, bien que dépourvu de fondement historique, illustre l’aspiration des maçons égyptiens à s’inscrire dans une tradition immémoriale, reliant l’Égypte antique aux chevaliers de Palestine et à l’Écosse médiévale. Mingam voit dans cette légende une tentative de sacraliser l’Égypte comme centre spirituel, à l’image de la Jérusalem céleste ou de La Mecque.

3. Le Rôle du Sage Ananiah

Marc Bédarride, dans ses écrits, évoque un mystérieux initiateur égyptien, « le Sage Ananiah », qui aurait transmis les secrets de la maçonnerie égyptienne à Gad Bédarride en 1782 à Cavaillon. Mingam explore plusieurs hypothèses : Ananiah pourrait être un rabbin kabbaliste, comme Hayyim Joseph David Azulai, un disciple de l’école de Luria, ou même Cagliostro lui-même. Cette figure, mentionnée également par l’initié Vernhes en 1822, incarne l’idée d’un « Supérieur Inconnu », un thème récurrent dans l’ésotérisme maçonnique.

VI. Les Rites Égyptiens et leur Singularité

1. Une Maçonnerie Initiatique et Ésotérique

Contrairement à la franc-maçonnerie contemporaine, souvent axée sur des valeurs humanistes, les rites égyptiens du XVIIIe siècle étaient résolument initiatiques. Leur structure hiérarchique, avec des hauts grades comme les Arcana Arcanorum, visait à transmettre des connaissances ésotériques, mêlant alchimie, kabbale et théurgie. Mingam souligne que Misraïm, avec ses 90 degrés, incarne une école de « secrets de toute espèce », où l’initiation est un voyage vers l’immortalité spirituelle.

2. L’Influence des Loges Vénitiennes et Napolitaines

Les loges de Venise et de Naples, foyers de l’ésotérisme au XVIIIe siècle, ont joué un rôle clé dans la genèse de Misraïm. Leur proximité avec les courants templiers, la Stricte Observance et le Rite Écossais Rectifié a permis une synthèse unique, intégrant des éléments de la kabbale judéo-chrétienne, de l’hermétisme néo-platonicien et des traditions chevaleresques. Cette fusion, selon Mingam, confère à Misraïm une originalité qui transcende les simples filiations historiques.

3. Une Tradition Vivante

Les rites égyptiens, bien que critiqués pour leur manque de preuves historiques, tirent leur légitimité de leur capacité à répondre à une sensibilité spirituelle. Mingam argue que leur pérennité repose sur leur aptitude à incarner une « tradition primordiale », symbolisée par un arbre aux racines immémoriales. Cette tradition, nourrie par l’Égypte pharaonique, l’Inde védique et l’hermétisme alexandrin, traverse les cultures et les époques, offrant un cadre universel pour la quête initiatique.

VII. Conclusion : Entre Histoire et Utopie

Robert Mingam

Les travaux de Robert Mingam sur les sources des rites égyptiens révèlent une franc-maçonnerie riche et complexe, où l’histoire se mêle à la légende pour former un édifice initiatique unique. Le Rite Oriental de Misraïm, avec ses racines dans l’hermétisme, l’alchimie et la kabbale, incarne une quête de vérité universelle, portée par des figures comme Cagliostro, Raimondo di Sangro et les Bédarride. Si son authenticité historique est contestée – notamment en raison de l’absence de patente pour le prétendu Rite Primitif de 1721 – sa valeur réside dans la profondeur de ses enseignements et son respect des principes maçonniques.

En explorant les écoles de mystères de l’Égypte antique, les loges occultes de Malte et de Naples, et les textes hermétiques, Mingam montre que Misraïm n’est pas un simple produit de l’imagination du XVIIIe siècle, mais un rameau vivant d’une tradition initiatique plus large. Comme un arbre dont les racines se perdent dans la nuit des temps, ce rite puise sa force dans une synthèse d’influences diverses, unissant l’Égypte mythique à l’ésotérisme européen. Pour les maçons égyptiens, l’important n’est pas la véracité historique des filiations, mais la vérité spirituelle qu’ils transmettent, guidés par l’idéal de « rassembler ce qui est épars » dans une quête intemporelle de lumière et d’harmonie.

Sources :

  • Crata Repoa (1770), attribué à Köppen et Hymmen.
  • Mingam, Robert, travaux sur les sources des rites égyptiens, cités dans les documents maçonniques.
  • Terrasson, Jean, Sethos ou Vie tirée des monuments et anecdotes de l’ancienne Égypte (1731).
  • Kircher, Athanase, Oedipus Aegyptiacus (1652).
  • Gébelin, Court de, Monde primitif (1773).
  • Ambelain, Robert, contributions sur Cagliostro et les traditions coptes.
  • Galtier, Gérard, études sur les influences kabbalistiques dans la maçonnerie égyptienne.
  • Documents historiques sur les loges maltaises et napolitaines, notamment Saint John’s of Secrecy and Harmony.
  • Bédarride, Marc, écrits sur le Sage Ananiah et les origines de Misraïm.
  • Vernhes, plaidoyer pour le Rite Égyptien (1822).

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