Article inspiré de bbc.com

La Franc-maçonnerie, avec son organisation secrète, ses idéaux philosophiques et son réseau transnational, a joué un rôle significatif dans les mouvements d’indépendance des pays d’Amérique latine au début du XIXe siècle. Bien que son impact ait été parfois exagéré par la mythologie maçonnique, elle a offert un espace de réflexion, de planification et de coordination pour les élites créoles qui cherchaient à renverser le joug colonial des empires espagnol, portugais, français et autres. Simón Bolívar, l’une des figures emblématiques de ces luttes, a été initié à la franc-maçonnerie, un fait qui a influencé sa vision et son action, bien que son engagement maçonnique semble avoir été plus symbolique que central.
Cet article explore le rôle de la franc-maçonnerie dans les indépendances latino-américaines, en s’appuyant sur l’article de BBC News Mundo, et examine comment l’affiliation de Bolívar a pu façonner son parcours de « Libertador ».
La Franc-Maçonnerie : Un Terreau pour la Révolution
Une Arrivée Tardive mais Décisive

La Franc-maçonnerie, née en Europe au XVIIe siècle, ne s’implante en Amérique latine qu’au milieu du XVIIIe siècle, principalement dans les Caraïbes, sous l’influence des empires coloniaux britannique, français et hollandais. Les premières loges, comme celle des « Trois Vertus Théologales » fondée en 1808 à Cartagena de Indias (Colombie), étaient souvent éphémères, car considérées comme une menace par les autorités coloniales espagnoles, qui y voyaient une « nouvelle hérésie » associée aux idées révolutionnaires françaises. Dans le monde hispanique, la franc-maçonnerie était perçue comme un spectre incarnant les maux de l’empire, une idée qui persista jusqu’au XXe siècle sous Franco, qui dénonçait une prétendue « conspiration judéo-maçonnique communiste ».
Malgré cette répression, les loges maçonniques ont servi de modèle associatif secret pour les leaders créoles. Elles offraient un espace discret où les idées des Lumières – liberté, égalité, souveraineté populaire – pouvaient être débattues loin des regards coloniaux. Comme l’explique l’historien Felipe del Solar, spécialiste du sujet, la franc-maçonnerie a permis aux élites créoles de s’organiser et de structurer leurs aspirations indépendantistes, même si son rôle direct dans les révolutions reste nuancé.
Les Loges comme Foyers de Subversion
Les premières loges maçonniques en Amérique latine, établies dans des régions comme le Mexique, le Venezuela, l’Argentine et Cuba, ont attiré des figures clés des mouvements d’indépendance. Par exemple, Francisco de Miranda, précurseur de l’indépendance vénézuélienne, est crédité d’avoir introduit des patriotes latino-américains à la franc-maçonnerie lors de son séjour à Londres, où il fonda la « Gran Reunión Americana », une société révolutionnaire influencée par les structures maçonniques. Ces loges, bien que souvent non affiliées aux grandes obédiences européennes, adoptaient leurs rituels et leur symbolisme, offrant un cadre où les idéaux révolutionnaires pouvaient s’épanouir.

Au Mexique, Benito Juárez, franc-maçon avéré, s’appuya sur les principes maçonniques de laïcité et de rationalité pour élaborer des lois laïques qui marquèrent un tournant dans un pays profondément catholique. En Argentine, José de San Martín, bien que son affiliation maçonnique demeure débattue, participa à des cercles influencés par les idées maçonniques, notamment via la Loge Lautaro, une organisation quasi-maçonnique qui joua un rôle clé dans l’indépendance du Cône Sud. À Cuba, les loges maçonniques, initialement coloniales, prirent un caractère révolutionnaire à la fin du XIXe siècle, soutenant l’indépendance contre l’Espagne.
Cependant, l’historien Felipe del Solar nuance l’impact de la franc-maçonnerie, soulignant que son rôle a souvent été amplifié par une « mythologie maçonnique » postérieure. Lors des célébrations des centenaires des indépendances, les loges ont revendiqué l’appartenance de nombreux héros, mais les preuves documentaires confirment principalement l’initiation de figures comme Bolívar.
Simón Bolívar et la Franc-Maçonnerie
Une Initiation à Paris

Simón Bolívar, le « Libertador » du Venezuela, de la Colombie, de l’Équateur, du Pérou et de la Bolivie, fut initié à la franc-maçonnerie en 1803 dans la Loge de San Alejandro de Escocia à Paris, sous l’égide du Rite Écossais. Ce séjour en Europe, où il fréquenta les cercles intellectuels parisiens et fut influencé par les idées des Lumières, marqua un tournant dans sa pensée. Selon les archives, son initiation fut un acte formel, mais les preuves suggèrent qu’il ne participa pas activement aux activités maçonniques par la suite, son engagement se limitant à ce rite initial.
L’initiation de Bolívar coïncida avec une période de maturation idéologique. À Paris, il rencontra des figures comme Francisco de Miranda, qui l’introduisit aux réseaux maçonniques et révolutionnaires. Ces contacts, combinés à sa lecture de penseurs comme Rousseau et Voltaire, renforcèrent son aspiration à libérer l’Amérique latine du joug espagnol. La franc-maçonnerie, avec ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, offrit à Bolívar un cadre philosophique pour structurer sa vision d’une Amérique unie et souveraine.
L’Influence de la Franc-Maçonnerie sur Bolívar
Bien que l’engagement maçonnique de Bolívar semble avoir été limité, l’influence de la franc-maçonnerie sur son action peut être analysée à plusieurs niveaux :
- Un Réseau Transnational

Les loges maçonniques, présentes en Europe et en Amérique, constituaient un réseau permettant aux révolutionnaires de coordonner leurs efforts. Bolívar, en fréquentant des loges à Paris et à Londres, entra en contact avec des patriotes latino-américains et des sympathisants européens, facilitant l’échange d’idées et de stratégies. La « Gran Reunión Americana » de Miranda, influencée par la structure maçonnique, fut un espace clé pour planifier les premières tentatives d’indépendance.
- Les Idéaux des Lumières
La franc-maçonnerie, porteuse des idéaux des Lumières, valorisait la raison, la laïcité et la souveraineté populaire. Ces principes se retrouvent dans les écrits et discours de Bolívar, notamment dans la Carta de Jamaica (1815), où il appelle à l’unité des nations latino-américaines et à la création de gouvernements républicains. Son rêve d’une Grande Colombie, bien que jamais pleinement réalisé, reflète l’idéal maçonnique d’une fraternité universelle transcendant les frontières.
- Le Symbolisme et la Structure Organisationnelle
Les rituels maçonniques, avec leurs grades et leur symbolisme, offraient un modèle pour organiser des mouvements clandestins. Bolívar, en tant que leader militaire et politique, s’inspira peut-être de cette structure pour coordonner les campagnes d’indépendance, où la discrétion et la hiérarchie étaient essentielles. La Loge Lautaro, bien que distincte de la franc-maçonnerie officielle, adopta des pratiques similaires pour mobiliser les patriotes dans le Cône Sud, suggérant une influence indirecte des loges sur Bolívar et ses contemporains.
Cependant, comme le note Felipe del Solar, l’impact de la franc-maçonnerie sur Bolívar doit être relativisé. Son initiation semble avoir été un acte symbolique, motivé par son séjour en Europe et son immersion dans les cercles révolutionnaires, plutôt qu’une participation active à la vie maçonnique. Bolívar était avant tout un pragmatique, concentré sur l’action militaire et politique, et il n’existe aucune preuve qu’il ait cherché à établir des loges ou à promouvoir la franc-maçonnerie dans ses campagnes.
Le Rôle Plus Large de la Franc-Maçonnerie dans les Indépendances
Un Catalyseur Idéologique
La franc-maçonnerie a servi de catalyseur idéologique pour les indépendances latino-américaines en offrant un espace où les élites créoles pouvaient s’imprégner des idées révolutionnaires. Les loges, souvent établies dans des ports comme La Havane, Buenos Aires ou Caracas, étaient des points de rencontre pour les intellectuels, les marchands et les militaires. Elles permettaient de discuter des concepts de liberté et d’égalité dans un cadre protégé, loin de l’Inquisition espagnole, qui voyait dans la franc-maçonnerie une menace à l’ordre colonial.

Des figures comme José de San Martín, Bernardo O’Higgins (Chili) et Antonio Nariño (Colombie) sont souvent associées à la franc-maçonnerie, bien que les preuves soient parfois ténues. La Loge Lautaro, fondée à Londres et active en Argentine et au Chili, joua un rôle déterminant en coordonnant les efforts révolutionnaires, même si elle n’était pas strictement maçonnique. Cette organisation, inspirée par les structures secrètes des loges, illustre comment la franc-maçonnerie a fourni un modèle associatif pour les mouvements indépendantistes.
Une Mythologie Postérieure
Après les indépendances, la franc-maçonnerie a contribué à forger une mythologie autour des héros libérateurs, revendiquant l’appartenance de figures comme Bolívar, San Martín ou Miranda pour renforcer son prestige. Comme l’explique Felipe del Solar, « dans les centenaires des indépendances, la franc-maçonnerie s’est appropriée les héros, assurant que tous étaient maçons ». Cette réécriture historique a amplifié la perception de l’influence maçonnique, même si, dans la réalité, seuls quelques leaders, comme Bolívar et Juárez, ont des affiliations documentées.
Une Influence Variable selon les Pays
L’impact de la franc-maçonnerie variait selon les régions. Au Mexique, elle joua un rôle clé dans la promotion de la laïcité sous Juárez, tandis qu’à Cuba, elle devint un vecteur de l’indépendance à la fin du XIXe siècle. Dans les pays andins, comme le Venezuela et la Colombie, son influence fut plus indirecte, servant de réseau intellectuel plutôt que d’organisation révolutionnaire directe. En Amérique centrale et dans le Cône Sud, des loges comme la Loge Lautaro ont structuré les mouvements, mais leur caractère maçonnique était souvent dilué par des objectifs politiques immédiats.
Parallèles entre la Franc-Maçonnerie et les Fêtes Religieuses Égyptiennes

Pour enrichir le dialogue entre la franc-maçonnerie et les traditions anciennes, il est pertinent de noter que les rites maçonniques, notamment ceux d’inspiration égyptienne comme Misraïm et Memphis, puisent dans l’héritage symbolique de l’Égypte antique. Les fêtes religieuses égyptiennes, qui occupaient environ 105 jours par an, étaient des moments de communion avec le divin, visant à maintenir l’ordre cosmique (Maât). Ces célébrations, avec leurs processions, mystères et rituels, partagent des affinités avec les pratiques maçonniques, qui utilisent le symbolisme pour guider l’initié vers la lumière.
- Le Symbolisme Initiatique
Les fêtes égyptiennes, comme les mystères d’Osiris, étaient des rituels initiatiques où les participants revivaient la mort et la renaissance du dieu, symbolisant la transformation intérieure. La franc-maçonnerie, avec ses grades (apprenti, compagnon, maître), propose un chemin similaire, où l’initié traverse des épreuves symboliques, comme le cabinet de réflexion, pour s’élever spirituellement. Le pilier djed, symbole égyptien de stabilité, trouve un écho dans les colonnes Jakin et Boaz, qui encadrent le temple maçonnique et représentent l’équilibre entre force et sagesse.
- L’Harmonie Cosmique
Les Égyptiens organisaient leurs fêtes pour soutenir la Maât, l’ordre universel, face au chaos (Isfet). La franc-maçonnerie, avec son concept du Grand Architecte de l’Univers, vise également à aligner l’initié avec un ordre cosmique. Le pavement mosaïque, avec ses carrés noirs et blancs, symbolise l’harmonie des opposés, un thème proche de la Maât. Les rituels maçonniques, rythmés et ordonnés, reflètent cette quête d’harmonie, tout comme les processions égyptiennes reliaient la communauté au divin.
- La Fraternité et l’Égrégore
Les fêtes égyptiennes, comme celle de Bastet, réunissaient des foules dans une communion spirituelle, créant une énergie collective. Les tenues maçonniques, où les frères et sœurs forment un égrégore, reproduisent cette dynamique. Les agapes maçonniques, repas fraternels, évoquent les festins égyptiens, où la nourriture et la musique renforçaient les liens communautaires. Dans les deux cas, le collectif transcende l’individu, favorisant une unité spirituelle.
- L’Héritage Hermétique
Les rites maçonniques égyptiens s’inspirent de l’hermétisme, qui lie les traditions égyptiennes à la franc-maçonnerie via Thot, dieu de la sagesse et du Verbe, assimilé à Hermès Trismégiste. Dans les fêtes égyptiennes, Thot jouait un rôle de gardien du temps et des archives, un rôle repris dans la franc-maçonnerie par le secrétaire de la loge. La maxime hermétique « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » relie les fêtes égyptiennes, qui unissaient le terrestre et le divin, aux rituels maçonniques, qui visent à harmoniser l’initié avec l’univers.
Une Influence Subtile mais Profonde
La Franc-maçonnerie a joué un rôle significatif dans les indépendances latino-américaines, non pas comme une force révolutionnaire directe, mais comme un terreau idéologique et organisationnel pour les élites créoles. Elle a offert un espace secret pour discuter des idées des Lumières et coordonner les efforts révolutionnaires, influençant des figures comme Simón Bolívar, dont l’initiation à Paris a renforcé sa vision d’une Amérique libre et unie. Cependant, comme le souligne Felipe del Solar, son impact a été amplifié par une mythologie postérieure, et seule l’affiliation de Bolívar est clairement documentée
Les parallèles avec les fêtes religieuses égyptiennes enrichissent cette réflexion. Les célébrations égyptiennes, occupant environ un tiers de l’année, étaient des rituels initiatiques visant à maintenir l’ordre cosmique, une mission que la franc-maçonnerie prolonge à travers ses rituels et son symbolisme. Entre les processions du Nil et les colonnes du temple maçonnique, entre la Maât et le GADLU, se dessine une quête intemporelle : celle de l’homme cherchant à s’élever, par la fraternité et la sagesse, vers un idéal d’harmonie et de lumière.
Sources :
- World History Encyclopedia, « Fêtes dans l’Égypte ancienne ».
- BBC News Mundo, « Qué papel jugó la masonería en la independencia de los países de América Latina (y cómo influyó que Bolívar fuera masón) », 5 juillet 2025.
- Bunson, Margaret. Encyclopedia of Ancient Egypt.
- Hérodote, Histoire, Livre II.
- Bonardel, Françoise. L’hermétisme.
- Gordon, Pierre. Le Mythe d’Hermès.
- Lachaud, René. L’invisible présence, Les dieux de l’Égypte pharaonique Kybalion.