sam 28 juin 2025 - 21:06

Mort et renaissance définissent la palingénésie – Mythe fondateur de la Franc-maçonnerie

Lors de la sélection des thèmes proposés pour une réflexion maçonnique, celui de la mort s’est imposé comme un sujet d’une profondeur particulière, souvent abordé dans les travaux initiatiques. Ce thème, récurrent dans les traditions philosophiques et spirituelles, occupe une place significative dans le cadre de la franc-maçonnerie, où il se lie naturellement à la notion de renaissance. Ces deux concepts, enrichis par le terme de palingénésie, offrent une occasion unique d’explorer des dimensions universelles de l’existence humaine.

Cet article se propose d’examiner ces notions à travers une approche équilibrée, s’appuyant sur des perspectives historiques, mythologiques et symboliques, sans prétendre à une interprétation exhaustive, mais invitant à une méditation collective.

I. Définir les Concepts Fondamentaux

Une Compréhension Intuitive

Le feu de la renaissance

Les termes « mort » et « renaissance » résonnent intuitivement dans l’esprit de chacun. La mort est généralement perçue comme la cessation définitive des fonctions vitales d’un organisme biologique, un état où il ne peut plus maintenir son équilibre face aux contraintes extérieures – un phénomène scientifique connu sous le nom d’homéostasie. La renaissance, en revanche, évoque un renouveau, qu’il soit physique, spirituel ou symbolique, un retour à la vie sous une forme transformée. Pour approfondir cette réflexion, il convient d’éclaircir le concept de palingénésie, un terme introduit par les philosophes stoïciens pour désigner la reconstitution ou l’apocatastase du monde après sa destruction par le Feu, dans une vision cyclique plutôt que linéaire. En grec, palingénésie signifie « naissance à nouveau » ou « régénération », suggérant un Éternel Retour. Cette idée trouve un écho dans la mythologie chinoise avec le phénix, cet oiseau légendaire qui renaît de ses cendres, incarnant un cycle de destruction et de renouveau.

Perspectives Philosophiques et Mythologiques

La mort a inspiré de multiples interprétations à travers les âges. Chez Platon et Pythagore, elle est vue comme une étape dans le cycle des âmes, liées au corps comme à une prison imposée par une force divine punitive. Ces âmes migrent d’un corps à l’autre, subissant une purification qui, si elle réussit, les libère vers un état de félicité – une vision parallèle aux croyances hindouistes de réincarnation, où la résilience face aux épreuves trouve sa source. Epicure, quant à lui, propose une perspective stoïque : « Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien ; quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas », invitant à dépasser la peur par une acceptation rationnelle.

Persephone Chez Hades

Dans les textes sacrés, la mort apparaît comme une figure puissante : le quatrième cavalier de l’Apocalypse dans la Bible, accompagné d’Hadès et de l’Ange du Seigneur faucheur de 185 000 hommes dans un camp assyrien. Dans le Tarot de Marseille, l’arcane XIII, réduit numérologiquement à IIII (l’Empereur), symbolise une transformation entre Taureau et Scorpion, possession et dépossession. Les mythologies, elles, lui attribuent une multitude de noms : Ankou en Bretagne, La Camarde, Izanami dans le shintoïsme, Mictlantecuhtli chez les Aztèques, Morrigan en Irlande, Pluton chez les Romains, Mot chez les Cananéens, Odin chez les Vikings, Anubis ou Anpu en Égypte, Shemal chez les Sémites, Sielulintu en Finlande, Atropos et Thanatos chez les Grecs, Yama dans l’hindouisme, Yanluowang en Chine… Cette diversité reflète l’universalité de la mort comme expérience humaine.

Cependant, ces approches, si riches soient-elles, ne capturent qu’une facette de la mort. Celle qui intéresse la franc-maçonnerie n’est pas seulement l’instant final, mais une réalité omniprésente, intimement liée à la vie.

II. La Mort comme Processus Continu : Une Leçon d’Équilibre

Une Présence Permanente

La culture occidentale tend à considérer la mort comme un événement isolé, une transition vers un au-delà, qu’il soit profane ou initiatique, souvent teinté de promesses spirituelles. Pourtant, une perspective plus large invite à la voir comme une composante intrinsèque de la vie, aussi essentielle que son souffle. Chaque seconde, des milliers de cellules meurent et renaissent dans un corps humain. En sept ans, l’ensemble des cellules se renouvelle, démontrant que le corps d’une décennie passée n’existe plus : il est mort, remplacé par un autre. Cette alternance constante de mort et de vie est une vérité biologique et symbolique. Ignorer cette réalité – qu’elle soit physique, temporelle ou métaphorique – revient à se priver de l’instant présent, seul moment véritablement existant. Le passé s’est dissipé, le futur reste incertain ; seul le « ici et maintenant » offre une ancre à l’existence.

Une Parabole Naturelle : L’Aigle et le Phénix

Pour illustrer cette dynamique, une histoire tirée des traditions orales mérite d’être évoquée. L’aigle, doté d’une espérance de vie de 70 ans, atteint à 40 ans un seuil critique : ses serres s’enroulent, son bec se replie, ses plumes s’usent, le rendant incapable de chasser ou de voler. Face à ce dilemme – muer ou périr –, il entreprend un rite initiatique. Avec son bec, il arrache ses plumes et ses serres, puis brise son bec contre un rocher, se retirant ensuite 150 jours pour se régénérer. Ce processus, symbole de sacrifice et de renouveau, reflète la palingénésie naturelle, évoquant le phénix renaissant de ses cendres. Il illustre la nécessité d’accepter la mort d’un état pour accéder à une nouvelle vie.

Aigle

Dans la franc-maçonnerie, ce principe se retrouve dès l’entrée en loge. L’Apprenti, rédigeant son testament dans le cabinet de réflexion, accepte symboliquement la mort de son état profane pour renaître initié. Les trois degrés – Apprenti, Compagnon, Maître – incarnent ce cycle de transformation, une palingénésie spirituelle intégrée au cœur du travail maçonnique.

III. La Palingénésie en Maçonnerie : Un Rite de Passage Universel

Une Parenthese sur la Métempsycose

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d’un original grec du dernier quart du IVe siècle av. J.-C.

Avant d’approfondir, une clarification s’impose concernant la métempsycose, souvent associée à la palingénésie dans la tradition orphique de Platon. Cette croyance en la migration des âmes d’un corps à l’autre jusqu’à la perfection peut offrir un réconfort à ceux qui s’accrochent à l’idée d’une vie répétée. Cependant, une vision intégrant mort et vie comme deux faces d’une même pièce invite à les aborder simultanément, sans dissociation. L’essentiel réside dans une incarnation totale dans l’instant présent, une intégrité que des rites de passage – naissance, puberté, crise de milieu de vie – viennent jalonner. Dans des sociétés obsédées par le risque zéro, ces rites sont souvent édulcorés, privant l’individu de son accomplissement. Un accompagnement par les anciens, facilitant ces transitions, reste essentiel pour gravir les degrés de la sagesse.

Les Origines Mythiques : De Seqenenre Tao à Hiram

La maçonnerie spéculative a puisé dans les rites de passage universels, notamment à travers la légende d’Hiram Abiff, architecte du Temple de Salomon. Cette parabole trouve des racines encore plus anciennes dans la mythologie égyptienne, avec Seqenenre Tao, dernier roi de Thèbes avant l’ère des Pharaons, exposé au Musée du Caire. Vaincu par les Hyksos, qui usurpaient le pouvoir civil sans le divin, Seqenenre fut assassiné – frappé au front, derrière l’oreille et à la tempe – pour les rituels de renaissance et de couronnement, perdus avec sa mort. Ces textes, partiellement reconstitués via le Livre des Morts, restent incomplets, laissant planer un mystère sur les incantations stellaires.

Le mythe d’Hiram reprend cette trame : assassiné par Jubela, Jubelo et Jubelum pour le secret des rituels, il incarne le cycle vie/mort/renaissance. Les trois coups – règle de 24 pouces au sud (Jubela), équerre au cœur à l’ouest (Jubelo), maillet à la tête à l’est (Jubelum) – symbolisent les degrés maçonniques. Hiram perd sa vie physique, sentimentale et spirituelle, mais renaît via l’acacia, représentant savoir, tolérance et détachement. Cette légende, enrichie par le lien entre « Giblim » (maçons d’élite dans la Geneva Bible) et les assassins, suggère une unité des protagonistes comme facettes d’une même conscience.

Le Mécanisme de la Substitution

L’initiation maçonnique repose sur ce principe de substitution. L’entrée en loge, yeux bandés, marque une transition entre mondes. Les épreuves des trois grades reflètent la légende d’Hiram : le salut pénal rappelle Jubela, le signe de fidélité Jubelo, et le coup final de Jubelum ouvre la voie à la lumière. Cette substitution successive – signes et symboles remplacés par le postulant – induit une dynamique initiatique, guidant vers la connaissance. Le V.I.T.R.I.O.L. (Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem) invite à rectifier, non à rejeter, mais à intégrer toutes les facettes de soi, menant à l’harmonie par l’amour et le pardon.

IV. Enseignements et Perspectives

Une Leçon pour l’Humanité

Que nous enseigne ce mythe ? Au-delà du maçon, il semble une clé universelle de l’apprentissage humain. Limité aux trois premiers grades, on observe une difficulté croissante à concentrer l’esprit, perturbé par les distractions modernes – médias, travail, consommation. Comme Ulysse résistant aux chants de Calypso, le maçon doit focaliser ses vertus sur un travail profond. La racine latine de « connaissance » (con, avec, et naissance) suggère une renaissance initiatique, un dévoilement progressif, comme les couches d’un oignon. Même sans atteindre la sagesse, participer au Grand Œuvre, guidé par des valeurs humaines, justifie l’effort.

Une Acceptation Apaisée

Cette quête mène à une sérénité : « Je ne sais pas », voire « je ne sais rien », devient une joie lorsque l’esprit s’apaise. À un stade de quiétude, les coups symboliques d’Hiram perdent leur emprise sur les peurs.

Accepter la mort imminente intensifie la vie, offrant une rencontre avec soi-même – un ami, un amour, jadis perçu comme un ennemi dans le miroir initiatique. Ce jour, espéré avant l’Orient éternel, marquera la réalisation d’une existence pleinement vécue.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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