ven 13 juin 2025 - 10:06

La liberté maçonnique : une quête authentique ou une illusion confortable ?

Chaque maçon parle de liberté, mais combien la pratiquent réellement ? À longueur de tenues, nous entendons vanter cette sacro-sainte liberté : le maçon libre, la loge libre, la parole libre… Des mots qui résonnent comme des mantras, des idéaux brandis avec ferveur, mais qui, à l’épreuve des faits, semblent souvent se dissoudre dans les méandres des conventions, des hiérarchies et des vanités humaines. Si, comme le disait notre Frère Winston Churchill, « je suis toujours prêt à apprendre, bien que je n’aime pas toujours qu’on me donne des leçons », force est de constater que peu de maçons accueillent avec humilité le miroir de leurs propres contradictions. Les idées qui suivent ne plairont pas à tous, et je m’en excuse d’emblée, mais le travail maçonnique n’est-il pas précisément celui de confronter ses turpitudes pour mieux s’en libérer ?

La liberté : un idéal exigeant

Diogène de Sinope: un homme cohérent!

Combien de maçons sont véritablement sur la voie de la liberté, celle qui exige le dépouillement de ses chaînes ? Combien, dans nos ateliers, incarnent l’esprit de Diogène de Sinope, ce philosophe cynique qui, par son détachement radical, incarnait une liberté absolue face aux conventions sociales et aux illusions du pouvoir ? La liberté maçonnique, celle que nous proclamons, n’est pas un simple mot d’ordre ; elle est une quête ardue, un chemin semé d’embûches où l’ego, les structures et les distinctions honorifiques viennent sans cesse entraver notre progression.

Pour comprendre cette quête, commençons par identifier nos chaînes. Elles prennent des formes multiples : les grades, les charges, les reconnaissances, les savoirs accumulés, tout ce qui, en loge, devient un critère de comparaison, un diabole – ce qui divise, sépare, oppose. À l’inverse du symbolum, qui rassemble et unit, ces éléments de différenciation nourrissent une dynamique perverse : celle de l’orgueil et de la vanité, ces poisons de l’âme qui éloignent le maçon de la véritable liberté. Car la liberté maçonnique n’est pas un état acquis par un titre ou une médaille ; elle est un processus, un travail incessant de dépouillement intérieur.

Grades ou degrés : une question de sens

Permettez-moi une digression sémantique, mais essentielle. Depuis longtemps, je m’efforce de bannir le mot « grade » de mon vocabulaire maçonnique. Ce terme, hérité d’une maçonnerie militaire et hiérarchique, évoque une récompense accordée à la soumission, à la conformité, à l’obéissance aveugle. Il est le reflet d’une structure où l’on gravit des échelons, non pas pour se rapprocher de la Lumière, mais pour s’élever au-dessus des autres. À l’opposé, le mot « degré » me semble infiniment plus juste. Il évoque une progression, une évolution dans l’espace et le temps, mue par les lois naturelles de l’univers. N’est-ce pas l’action du soleil qui fait monter les degrés du thermomètre ? De même, le maçon en quête de Lumière progresse par degrés, en harmonie avec les cycles de la nature et de la connaissance, sans chercher à dominer ou à se distinguer.

Dans nos loges, combien de fois voyons-nous des maçons se congratuler pour un grade obtenu, comme si celui-ci était une fin en soi ? Qui célèbre, en revanche, la chaleur du soleil qui fait réagir le mercure ? La véritable progression maçonnique ne se mesure pas à l’aune des décorations ou des titres, mais dans la capacité à se transformer, à polir sa pierre brute, à s’approcher humblement de l’harmonie universelle.

La vanité des charges et des décors

Cette logique s’étend aux charges obédientielles ou aux fonctions en loge. N’est-il pas paradoxal de féliciter un frère ou une sœur pour une élection à une charge, avant même que le travail ne soit accompli ? Dans le monde profane, personne ne reçoit un salaire avant d’avoir travaillé. Pourtant, dans nos ateliers, nous voyons trop souvent des maçons s’enorgueillir de leurs décors, de leurs tabliers richement ornés, comme si ces ornements étaient une fin en soi. Cette pratique, loin d’être un encouragement, frise la flatterie, alimentant l’orgueil de celui qui, pendant trois ans, portera ses insignes avec une satisfaction mal placée.

La seule reconnaissance légitime pour un officier de loge devrait intervenir à l’issue de son mandat, lorsque son travail aura contribué à l’harmonie de l’atelier, à l’élévation collective des frères et des sœurs. C’est là la véritable fierté maçonnique : celle qui naît du service désintéressé, de l’effort sincère pour faire progresser la loge sur la voie de l’Art Royal. Tout le reste n’est que vanité, un dévoiement de l’idéal maçonnique qui transforme l’atelier en un théâtre d’ego.

Fierté, Vanité, Orgueil : une distinction essentielle

Trop de maçons confondent la fierté, noble moteur du travail intérieur, avec la vanité et l’orgueil, ces vices qui gangrènent l’âme. La fierté est un sentiment intime, une satisfaction personnelle tirée d’un travail bien fait, d’une vérité approchée, d’une pierre polie avec soin. Elle n’a besoin d’aucune validation extérieure. La vanité, en revanche, est un besoin malsain d’être vu, admiré, reconnu par les autres. Quant à l’orgueil, il est le pire des maux : il pousse à nier, rabaisser ou écraser autrui pour se sentir supérieur. Ces deux vices sont des cancers pour le maçon en quête de liberté, car ils le rendent dépendant du regard d’autrui, prisonnier d’une validation extérieure qui le condamne à une servitude volontaire.

Pire encore, l’orgueilleux et le vaniteux deviennent à la fois otages et bourreaux de leurs propres chaînes. Croire qu’un gourou exerce un pouvoir absolu sur ses victimes est une erreur : il est lui-même prisonnier de son besoin de contrôle, tout comme le maçon qui se soumet aux hiérarchies, aux grades ou aux charges. Souvenons-nous de la réponse cinglante de Diogène à Alexandre le Grand, qui lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui : « Écarte-toi un peu du soleil ! » Cette injonction, d’une simplicité désarmante, est un appel à la liberté véritable : celle qui rejette les faux-semblants, les hiérarchies artificielles et les illusions du pouvoir.

Une maçonnerie étouffée par ses propres vices

Combien de maçons sont de véritables libres-penseurs, affranchis des structures, des médailles et des reconnaissances ? Notre maçonnerie souffre d’un mal profond, non pas extérieur, mais intérieur. Ce qui ronge l’Art Royal ne vient pas du monde profane, mais de nos propres faiblesses : l’orgueil, la vanité, la quête de pouvoir, le besoin de se distinguer. Chaque maçon connaît la formule rituelle qui nous enjoint de maîtriser nos passions, mais combien en saisissent les subtilités ? Combien savent en débusquer les effets insidieux dans leur propre cœur ?

Friedrich Nietzsche

Le maçon qui sacrifie sa liberté au profit de la sécurité, de la reconnaissance ou de l’orgueil fait un choix conscient. Il troque son âme contre une illusion de confort, cherchant un maître, une structure, une médaille pour se rassurer. Mais ce choix a un prix : il le condamne à pourchasser ceux qui incarnent une liberté authentique. Car l’être libre, par sa simple existence, devient un miroir insupportable pour celui qui a renoncé à sa propre liberté. Comme le disait Nietzsche, « celui qui ne peut commander à lui-même doit obéir ». Le maçon qui se soumet aux chaînes de l’orgueil ou de la vanité devient l’esclave de ses propres illusions, incapable de tolérer ceux qui osent marcher libres.

Vers une maçonnerie de la libération

La Liberté guidant le peuple. Eugène Delacroix

Alors, que faire ? La liberté maçonnique n’est pas un idéal abstrait, mais une pratique quotidienne. Elle exige de renoncer aux oripeaux de la vanité, aux mirages des grades et des charges. Elle demande de cultiver l’humilité, de se confronter à ses propres failles, de polir sans relâche la pierre brute de son ego. Elle invite chaque maçon à devenir un Diogène moderne, à rejeter les conventions inutiles et à chercher la Lumière dans la simplicité, la sincérité et le travail intérieur.

Nos loges doivent redevenir des ateliers de libération, des espaces où l’on apprend à se détacher des chaînes de l’ego, des hiérarchies et des illusions. Cela passe par un retour à l’essence de l’Art Royal : le travail collectif, l’écoute, le respect de l’autre, la quête d’une vérité toujours fuyante. Cela exige aussi de repenser nos pratiques : pourquoi glorifier les grades, les charges, les décorations ? Pourquoi ne pas célébrer, à la place, les progrès intérieurs, les efforts sincères, les petites victoires sur soi-même ?

La liberté comme horizon

Diogène le Cynique et Alexandre le Grand

La liberté maçonnique n’est pas un acquis, mais un horizon. Elle n’est pas un titre que l’on arbore, mais un chemin que l’on parcourt. Elle demande du courage, de l’humilité et une vigilance constante face aux séductions de l’orgueil et de la vanité. Comme Diogène, nous devons apprendre à dire « Écarte-toi du soleil ! » à tout ce qui nous détourne de la Lumière : les hiérarchies, les médailles, les flatteries. Car la véritable liberté, celle que nous chérissons dans nos rituels, ne se trouve pas dans la reconnaissance des autres, mais dans la conquête de soi.

Alors, maçons, combien d’entre nous sont prêts à emprunter ce chemin ? Combien sont prêts à abandonner les chaînes de l’ego pour embrasser la liberté véritable ? La réponse, comme toujours, se trouve dans le silence de notre cœur, là où la Lumière commence à poindre.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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